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Xavier-Marie Garcette : « Francis Poulenc était un agent double »

Xavier-Marie Garcette : « Francis Poulenc était un agent double »

Anaïs Delatour

Il faut croire que tous les chemins mènent à Rocamadour. C’est en tout cas le point de départ de la rencontre entre Xavier-Marie Garcette et le compositeur et pianiste français Francis Poulenc, touché par la grâce dès qu’il a vu la Vierge Noire. Une rencontre immortalisée dans un troisième roman, intitulé « La vierge noire et le voyou », paru le 30 janvier 2023 aux éditions Des auteurs, des livres. Et cette biographie romancée apparaît comme un hommage à l’occasion du 60ème anniversaire du décès de l’un des compositeurs français les plus mythiques et mystiques du 20ème siècle. Interview d’un mélomane converti.

Anaïs : Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer votre troisième roman à Francis Poulenc ?

Xavier-Marie Garcette : Quand on est un familier de Rocamadour, Poulenc fait un peu partie du paysage. L’histoire de ce compositeur, qui s’est converti à Rocamadour, m’intriguait. Je suis partie sans a priori en me disant que j’allais raconter sa vie sans très bien savoir ce sur quoi j’allais tomber. Je n’ai pas été déçu !

A. : Le connaissiez-vous déjà avant d’aller à Rocamadour ?

X-M. G. : Pas du tout. Je savais que Poulenc était un compositeur du 20ème siècle mais j’aurais été incapable de dire un mot de plus à son sujet. Et quand je suis allé à Rocamadour pour la première fois, je suis tombé par hasard sur Poulenc.

A. : Ah oui ?

X-M. G. : Complètement. Pour l’anecdote, j’étais en vacances en famille dans le Périgord pas très loin quand j’y suis allé la première fois. C’était à l’été 96. En arrivant sur l’esplanade en face de la basilique, on découvre le Musée d’Art Sacré Francis Poulenc. Il faisait extrêmement chaud ce jour-là et le musée nous tendait les bras. Nous qui cherchions un endroit calme et climatisé ! C’est à cette occasion que j’ai découvert que Francis Poulenc s’était converti à Rocamadour le 22 août 1936 et qu’il avait offert des objets liturgiques au sanctuaire Notre-Dame de Rocamadour qui sont exposés dans ce musée.

A. : Et vous n’avez pas été déçu d’être tombé sur lui par hasard. Diriez-vous que vous êtes tombé amoureux de ce personnage ?

X-M. G. : Ah oui, il est extrêmement attachant ! J’ai eu beaucoup de chance, j’aurais pu tomber sur un bonhomme odieux. Bien sûr, il n’était pas toujours facile à vivre parce qu’il était hypocondriaque, égocentrique et, comme tous les grands artistes, cyclothymique. Mais qu’est-ce qu’il est fascinant !

Francis Poulenc très sérieux à son piano.
A. : Qu’est-ce qui vous a le plus plu chez lui ?

X-M. G. : Une sincérité, une espèce de candeur, une naïveté. Il n’y a pas une once de méchanceté chez lui. C’est drôle parce que Francis Poulenc était comme un agent double. Il est à la fois moine et voyou, parisien et campagnard, etc. Mais paradoxalement, il n’y a aucune duplicité chez lui.

A. : Vous êtes mélomane mais pas musicien. Qu’avez-vous en commun avec Francis Poulenc ?

X-M. G. : D’être amoureux de Rocamadour (rires) ! Et du monde de la culture. C’est déjà pas mal.

A. : Comment avez-vous procédé pour écrire le roman ? Parce que vous avez amassé un nombre inqualifiable de détails sur la vie du compositeur.

X-M. G. : Je n’ai pas eu accès à des archives particulières. J’avais d’abord imaginé un peu naïvement que je pourrais me contenter d’une trame biographique un peu light sur laquelle je broderais. Mais, je me suis vite rendu compte que cela ne suffisait pas. J’ai donc commencé par la lecture de sa biographie par Renaud Machart mais je n’avais pas encore assez l’impression de cerner l’homme donc j’ai poursuivi par un pavé de 1500 pages qui s’appelle « J’écris ce qui me chante » qui est en fait un recueil des articles qu’il a rédigé et des interviews qu’il a donné. J’ai aussi lu la biographie que lui a consacré Hervé Lacombe. Et enfin, un dernier pavé de 1500 pages avec sa correspondance, qui est absolument passionnante.

A. : Avec toutes ces lectures, vous en êtes devenu le spécialiste, non ?

X-M. G. : Il y a plus spécialiste que moi. Disons que j’ai un peu approfondi le sujet. En plus, j’ai espéré avoir accès à des choses un peu plus inédites mais sans grand succès. J’ai réussi à retrouver la trace de sa fille, Marie-Ange, avec qui j’ai amorcé une correspondance. Sauf qu’après avoir échangé deux courriers, cette dame s’est montrée aussi charmante que renfermée. Il me manque certaines informations. Je n’ai aucune information sur la mère de Marie-Ange par exemple. Quand on n’a pas de matière, l’imagination du romancier prend le relais.

A. : Qu’est-ce qui vous a attiré dans le travail de biographe ?

X-M. G. : Je trouve que c’est passionnant d’aller à la rencontre de quelqu’un et de chercher à le comprendre dans son intégralité.

A. : Ecrit-on une biographie comme on écrit un roman ?

X-M. G. : Ce n’est pas si différent. Je fais explicitement des citations ici qui n’ont pas lieu d’être dans un roman mais la démarche est un peu la même. Car, que ce soit un roman ou une biographie, l’idée est d’essayer de comprendre ce qui s’est passé dans telle situation pour tel personnage.

A. : Quelle est la part de vrai et la part fictive dans votre livre ?

X-M. G. : La fiction se glisse seulement dans des interstices. Bon, les dialogues sont imaginaires par la force des choses mais il y a relativement peu de choses inventées. Et de toute façon, la réalité est tellement extraordinaire que je n’aurais jamais osé inventer au-delà. Je pense par exemple au réveillon qu’il passe en tête à tête avec Raymonde dans sa maison de campagne alors que trois mois avant, il la demandait en mariage et qu’elle l’avait envoyée paître !

A. : Poulenc vouait une véritable adoration et obsession pour la Vierge noire de Rocamadour. Il prétend même avoir eu des échanges spirituels avec la Vierge à travers sa statue. L’a-t-elle véritablement aidé à créer ?

X-M. G. : C’est archi évident ! Quand on écoute sa musique à partir de 1936, c’est complètement un nouveau Poulenc. Celui des guinguettes existe toujours. On le voit notamment avec son concerto pour piano en 1950 qui a fait scandale parce qu’il avait utilisé des thèmes populaires. Alors que tous les compositeurs ont fait ça ! Les critiques à son encontre viennent justement du fait qu’il avait habitué son auditoire à des oeuvres plus « sérieuses » depuis 1936. Mais c’est vrai qu’il y a une veine plus profonde qui s’est ouverte, à partir de sa conversion, avec une véritable dimension sacrée dans sa musique. Imaginer que c’est le même type qui a composé la valse de L’Embarquement pour Cythère et la Salve Regina est assez incroyable.

La mystique Vierge Noire aux yeux fermés de Rocamadour.
A. : Sa personnalité était ambiguë jusqu’à sa fluidité en termes de genre et d’attirance sexuelle. Il était homosexuel. Comment a-t-il réussi à concilier son orientation sexuelle et sa croyance religieuse ?

X-M. G. : Cela reste pour moi la principale énigme de savoir comment il a réussi à vivre sans devenir fou. Peut-être faisait-il une séparation très nette entre son corps et son esprit ou était-il schizophrène. Ce que je trouve particulièrement comique, c’est quand il décide d’offrir un calice à Notre Dame de Rocamadour pour la remercier à la fois des Dialogues des carmélites et de lui avoir trouvé un nouvel amant !

A. : En un mot, pourquoi doit-on absolument s’intéresser à Francis Poulenc ?

X-M. G. : Parce qu’on passe des moments vraiment délicieux avec lui et qu’il serait dommage de s’en priver.

A. : L’écriture de cette biographie vous a-t-elle donné envie d’en faire d’autres ?

X-M. G. : Sans doute oui.

A. : Des idées ?

X-M. G. : Dans un registre complètement différent, j’ai envie d’écrire sur Jean l’Evangéliste.

A. : Pour finir sur Francis Poulenc, vous dites que c’est un personnage qui doute. Le doute est-il indissociable de l’artiste ?

X-M. G. : Ah complètement ! Je pense que si on est trop sûr de soi, on ne fait pas forcément quelque chose de très bien.

A. : Et vous, quelle est votre définition d’un artiste ?

X-M. G. : Quelqu’un qui sait partager et transmettre ses émotions.

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