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Mandelbro : la relève de l’indie rock anglais passera par Paris

Mandelbro : la relève de l’indie rock anglais passera par Paris

Marin Woisard

Mandelbro, formation franco-britannique instiguée par Bartholomew Joyce, mène la danse avec des sonorités indie rock et une conscience sociale bien française, cristallisées dans l’EP Conditions.

Un air de Metronomy et de Two Door Cinema Club flotte sur Paris. Et ce n’est pas le multi-instrumentiste anglais Bartholomew Joyce qui pourrait dire le contraire. Son quatuor Mandelbro a la gouaille d’un parisien en manif’ et l’énergie rock’n’roll d’un titi londonien, soit l’alliance thématique et musicale du meilleur de nos patries tricolores.

Sans doute le charme de Mandelbro doit-il beaucoup à la rencontre de son équipe chic et choc, composée de Nicolas Le Bechec de Redon (guitare), Mathieu Rabet (basse) et Emmanuel Chevalier (batterie). Si le projet était solo lors de la sortie de l’album Oneitis en 2021, il est désormais devenu collectif avec l’EP Conditions en juin 2023. D’ailleurs, tout le monde chante, tout le monde écrit. Révolution sociale, promesse totale.

C’est d’ailleurs de cela que parle l’EP Conditions. D’une vie moderne face à de multiples crises qui l’intiment à se révolutionner. La jeunesse qui ne ferme plus l’œil dans une métropole grouillante (Eyes), la dépendance aux outils interconnectés (What Have You Done To Me ?), le rapport d’échelle entre l’individu et un monde devenu trop grand pour lui (Too Small For This World), ou encore les impasses humaines de nos sociétés (System Change et Gets You Down).

Si Mandelbro ne tire qu’un constat, il nous invite aussi à taper du pied ; celui de la danse et du changement. Nous avons rencontré les quatre artistes pour en savoir plus, morceau après morceau, sur ce premier EP inconditionnellement séduisant.

© Bartholomew Joyce
Marin : Salut Mandelbro ! On vous retrouve tous les quatre pour une interview « track by track », où l’on découvre chaque morceau de votre EP, Conditions. Il paraît que le groupe a commencé grâce à une fenêtre ouverte ?

Bartholomew : Je suis arrivé à Paris en septembre 2018, et le jour où j’ai déménagé pour aller dans mon propre appartement, j’ai entendu de la musique par la fenêtre. J’ai compris que c’était quelqu’un qui produisait de la musique en entendant le click d’un enregistrement. J’ai sonné au deuxième étage et je suis tombé sur Nicolas.

 

Nicolas : Sur le moment, j’ai pensé que c’était un voisin qui venait se plaindre (rires).

 

Mathieu : Ce qui est drôle c’est que comme Nicolas, j’ai rencontré Bartholomew par hasard, sur une fanpage du groupe Vulfpeck. Je venais d’arriver à Paris, et j’avais envie de rencontrer d’autres musiciens. Je lui ai écrit : « Viens, faisons un groupe. » C’est un coup de foudre musical qui s’est resserré autour de notre passion commune pour le jazz.

M. : Et toi, Emmanuel ?

Emmanuel : On s’est retrouvés aussi par hasard avec Mathieu, que je connaissais d’avant, à un concert de Myd à la Cigale. Bartholomew était là, et c’est parti.

M. : Le premier titre de votre EP, Eyes, transmet tout de suite votre signature anglo-saxonne qui sonne très référencée, et pour le meilleur.

B. : En terme de références, je n’en suis pas conscient quand quelque chose m’inspire. Et plus tard, Matthieu me dit : « Ah mais bien sûr, tel élément ou telle ligne de basse vient de là. »

 

M. : Je suis un peu l’agent Sacem du groupe (rires).

 

 B. : En tout cas, Vulfpeck et la scène jazz du sud de Londres sont de grandes sources d’inspiration, mais aussi Metronomy, LCD Soundsystem et Foster The People.

M. : Metronomy incarne ce lien entre la double culture franco-anglaise. Qu’est-ce que ça fait d’être à votre tour un groupe représentatif de cette connexion musicale ?

B. : Je suis venu par hasard à Paris. Avant, je n’avais aucun lien avec la culture française. Mais j’ai découvert une connexion cachée avec Paris de ce que je pensais une musique totalement anglaise, comme l’album Tourist History de Two Door Cinema Club qui a été mixé par Philippe Zdar à Motorbass Studio. Metronomy aussi, qui est mixé et produit en France.

M. : Eyes dresse le portrait d’une métropole qui ne dort jamais… C’est un point de convergence entre Londres et Paris.

B. : J’ai régulièrement des deep thoughts face à des événements qui sont à la fois étranges et habituels dans notre quotidien en ville. On a plein de raisons pour rester y vivre, mais en même temps on déteste tout ce qu’il y a autour de nous. Tout le concept d’habiter en ville, je trouve ça vraiment étrange (rires).

M. : Toi qui a vécu en Angleterre, qu’est-ce que tu trouves à Paris que tu ne trouves pas à Londres ?

B. : Vivre à Londres en tant qu’étudiant est très différent de vivre à Paris en tant que musicien. Sur les questions pratiques, j’aime beaucoup le fait que Paris soit plus petit, et que tu ne passes pas deux heures dans les transports pour rallier un point à l’autre. Et le vélo est beaucoup moins dangereux qu’à Londres, où tu manques à chaque fois de te faire écraser par les voitures.

M. : System Change, le second morceau de l’EP, tisse cette métaphore informatique pour parler de l’humain dans la société. Qu’est-ce qui a provoqué cette crise de conscience ?

B. : C’est drôle que tu me dises que System Change donne l’impression de cette métaphore informatique, parce c’était effectivement l’idée de base de créer un double sens sur chacune des phrases, et quand j’ai amené la démo au groupe, c’est là qu’on a commencé à le construire. J’ai donné au morceau une dimension beaucoup plus sociale au fur et à mesure de sa création.

M. : Et le morceau se caractérise aussi par sa montée instrumentale…

E. : Au départ on avait un couplet et un refrain, mais ça ne marchait pas. Dès qu’on jouait, ça partait toujours en crescendo. À un moment, on a essayé de mettre les couplets en premiers et faire exploser ensuite avec les refrains. C’était lié aussi aux paroles qui montaient en intensité. On l’a testé en concert, et les gens sont devenus fous.

M. : Vous sentez que cette chanson a un écho particulier, quelques mois après le passage en force de la réforme des retraites ?

N. : Totalement, on en reparlait hier en prenant un verre, et on ré-évoquait la destruction de l’association des Soulèvements de la Terre.

 

E. : Il y a tellement de mouvements dans des milieux sociaux différents pour que la société change, que ce n’est plus possible de continuer comme ça. Malheureusement, c’est passé par la violence (ndlr, à ce moment de l’interview, nous étions loin de nous imaginer que les émeutes de l’été 2023 éclateraient quelques jours après).

M. : Vous pensez que la musique a un rôle à jouer là-dedans ?

M. : Je pense que c’est un peu naïf de penser que la musique peut changer les opinions, mais par contre ça peut devenir un exécutoire et un endroit à rassemblement. C’est important de parler des problèmes sociaux sans être donneur de leçons, et c’est là où se place System Change. On est dans un système en bout de course, les choses doivent changer.

M. : Est-ce que les différents soulèvements sociaux que l’on a vécu, en peu de temps en France, peuvent se transformer en énergie créative chez vous ?

M. : C’est drôle que tu parles de ça, parce qu’on a théorisé notre premier EP comme une série de questions. On aimerait bien apporter des réponses avec un second EP, parce qu’il y a des choses qui sont belles et qui méritent de se battre pour, comme l’environnement.

M. : Et vous n’avez pas peur que l’état de fait social de vos morceaux prenne le pas sur votre musique ?

M. : On ne veut pas être enfermés dans un carcan de groupe politique.

 

B. : Je ne veux pas écrire de choses politiques, ça peut enlever la joie d’écouter de la musique. Mais je trouve qu’on a réussi à porter notre regard sur le monde sans cliver une idéologie contre l’autre.

M. : On parlait d’énergie, parlons du dialogue très intéressant entre la batterie et la voix sur Gets You Down. J’ai l’impression que l’une et l’autre se répondent, dès les premières mesures…

B. : Toutes les compositions de chanson ont commencé par la batterie. Ce qui est drôle, c’est que je les ai enregistrées sans être batteur.

M. : Ce morceau est une grande progression qui avance par nappes avec la batterie, puis le clavier, la guitare électrique, et enfin le synthé sur la fin. Chacun a amené son grain de sel petit à petit ?

M. : On est partis de la démo de Bartholomew pour trouver cette grande progression avec un pont au milieu, où il y a du synthé et de la guitare. Quand on fait de l’indie rock, on pourrait se dire que tous les morceaux doivent avoir intro, couplet, pré-refrain, refrain. Avec Gets You Down, il n’y a pas de couplet ni de refrain. Le fait d’avoir ce groupe nous permet d’enlever toutes les insécurités que l’on peut avoir. Niveau structure, il n’y a plus de convention.

M. : Quel est le processus créatif entre vous quatre ?

N. : Ça varie en fonction des morceaux. Gets You Down, c’était Bartholomew qui est arrivé avec une démo assez aboutie, tandis que sur System Change, le morceau s’est fait en studio à force de jammer. 

M. : What Have You Done To Me ? est mon coup de cœur de l’EP, avec son refrain catchy, sa topline au clavier, ses ruptures de rythme, mais aussi le final façon The Strokes. Comment est né ce beau bambin ?

B. : C’est le tube de Mathieu (rires).

 

M. : À la base, c’était un exercice de piano pour que j’apprenne à faire des doubles croches. Les doubles croches, c’est quand tu fais quatre temps dans la mesure. Une topline est arrivée avec Bartholomew quand je l’ai joué à côté de lui :  « What have you done to me ? ». 

M. : Et ensuite la thématique est arrivée ?

M. : Je voulais parler de l’addiction aux smartphones et le fait que, tous les quatre, on fait partie d’une génération qui n’a pas grandi avec. J’ai eu mon premier téléphone à 15 ans, et maintenant je ne peux plus m’en passer. Notamment les paroles « Can’t sleep without your voice / But I wake up in agony » parlent du fait que je ne peux pas m’endormir sans regarder une petite vidéo YouTube. C’est terrible. 

M. : Le très imaginatif visualizer de Theo Collier-Giovacchini ajoute une nouvelle pierre à cet édifice digital. Comment est née cette collaboration ?

M. : Théo, c’était mon colocataire d’internat au lycée. Quand je l’ai connu, il s’intéressait déjà au motion design, et j’ai eu envie de l’inclure sur un projet pour Mandelbro. Avec le style musical très défini et les paroles percutantes de What Have You Done To Me ?, cette chanson était le challenge parfait. Il a réussi à conceptualiser cette lyric vidéo en une semaine et demi. 

 

B. : Habituellement, j’ai un petit côté obsessionnel où je veux faire toutes les vidéos, et avoir la main sur tous les choix artistiques. Théo a eu la chance de tomber à un moment où j’avais trop de choses à faire (rires). C’est lui qui a amené sa propre idée d’un visuel à mi-chemin entre l’analogique et des textures papier, mais aussi avec un aspect digital prononcé avec les textos.

M. : Too Small For This World est la parfaite conclusion downtempo et mélancolique à cet EP. Est-ce que vous pensez réellement qu’on est trop petits pour ce monde ?

B. : C’est le sentiment de sentir perdus en tant que personne qui doit bouger face à un immense mouvement. Ce n’est pas une émotion constante, mais cela peut nous arriver.

 

M. : C’est un sentiment récent quand t’y réfléchis, il y a 100 ans les gens ne voyageaient pas autant, n’étaient pas aussi connectés, restaient souvent à l’endroit où ils étaient nés. La vision du monde était plus locale et communautaire. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on veut tout savoir sur ce qu’il se passe dans le monde, tout le temps. On se sent submergé par la quantité d’informations.

 

E. : C’est un sentiment que l’on a par exemple avec les réseaux sociaux, quand nous en tant que groupe, on sort notre musique.

M. : Le fait d’être passés d’un projet solo à un projet de groupe, est-ce que vous vous sentez moins seuls face au monde ?

B. : Totalement, ça donne beaucoup plus de force d’être à quatre.

 

E. : C’est la première où je sens une telle symbiose entre les membres. Dans les moments où c’est plus difficile, le fait d’être à quatre nous permet de nous soutenir et prendre du recul. Ça fait beaucoup de bien.

M. : On peut dire que vous vous êtes trouvés avec Mandelbro ?

B. : Mandelbro est un laboratoire où l’on s’autoriser à tester des choses, mais aussi se développer individuellement, expérimenter dans différents styles, apprendre à faire de la musique. Cela ne fait même pas que deux ans que l’on joue en live, et je pense que ça va prendre au moins dix ans pour explorer suffisamment de toutes les possibilités qui s’offrent à nous.

M. : Et maintenant question signature chez Arty Magazine, avant de se quitter, quelle est votre définition d’un artiste ?

M. : Pour moi, l’essence même d’un artiste, c’est de prendre des risques. David Bowie disait : « En tant qu’artiste, ne reste jamais là où t’as pied, va où l’eau est un peu plus profonde, c’est là où tu crées. »

 

E. : Le mot lié pour moi est « passion » . Expression de sa passion, vivre sa passion, et si possible vivre de sa passion.

 

B. : Je pense qu’un artiste est quelqu’un d’obsédé par un monde imaginaire, avec plein d’idéaux qui ne sont pas accessibles, et qui a envie de les réaliser. C’est une insatisfaction permanente, parce que ce n’est jamais vraiment ce qu’il a imaginé. Mais cette envie reste, et il y a du plaisir dans le fait d’essayer. 

 

N. : J’ai découvert que le leader du groupe Queens of The Stone Age, Josh Homme, avait vécu une période très difficile entre 2007 et 2010. Un divorce avec sa femme, des problèmes de santé. Plein de sentiments contradictoires dans tous les sens. Cela a donné la création de l’album …Like Clockwork sorti en 2013, où tout s’est fait de manière spontanée, sans aucune stratégie. C’est l’un de mes albums préférés. Alors être artiste, c’est sûrement être capable de créer quelque chose de beau en parlant de ce que tu ressens. 

Mandelbro en showcase pour la fermeture d’Arty Magazine

Mezzanine, 64 boulevard de Clichy 75018 Paris
Samedi 4 novembre à partir de 19H
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