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Nabil Malek : « Mon bouquin pourrait devenir une série d’espionnage »

Anaïs Delatour

En fervent connaisseur du Moyen-Orient, l’écrivain franco-égyptien Nabil Malek revient avec un cinquième roman animé par une recherche de vérité. Entre roman historique et fiction policière, Le Trille du Diable, paru le 20 janvier 2023 aux éditions Les Impliqués, nous immerge dans la République Démocratique Allemande des années 1970 et met en lumière les liens oubliés entre l’Egypte et la RDA. Une certaine histoire du socialisme en Egypte et de celle d’un espion amoureux envoyé en Allemagne. Rencontre avec l’auteur.

Anaïs : Vous avez fait toute votre carrière dans la haute finance et l’industrie et avez commencé l’écriture à l’âge de 58 ans. Pourquoi ?

Nabil Malek : J’écris parce qu’il y a beaucoup de choses à dire. Je véhicule des idées à travers l’écriture.

A. : Et vous avez l’air d’être très inspiré par le Moyen-Orient.

N.M. : C’est vrai que je n’écris que sur le Moyen-Orient. Déjà parce que c’est une région du monde que je connais bien, j’ai notamment vécu et participé à la construction de Dubaï mais aussi car il y a beaucoup de choses à en dire et à changer… C’est une région du monde où il y a énormément d’injustices, que ce soit au niveau des droits des femmes, de la religion…

A. : Comment avez-vous participé à la construction de Dubaï ?

N.M. : J’étais à Dubaï en 1993 et les banques pour lesquelles je travaillais ont financé le développement de la ville. Et évidemment, la finance a toujours un grand rôle dans la construction des villes. Dubaï n’avait pas d’argent, simplement des idées et des projets. Sauf qu’en construisant Dubaï, j’ai aussi observé toutes ses failles alors même qu’il y avait une telle publicité pour la ville. J’ai donc décidé qu’il fallait écrire sur le sujet. Cela a donné Dubaï : la rançon du succès en 2011. Je n’ai pas écrit contre Dubaï, j’ai simplement dis qu’il y avait des choses à changer. D’ailleurs, on avait fait des plans qui n’avaient pas plu au cheikh…

A. : Vous revenez en 2023 avec Le Trille du Diable, encore un roman historique, où se mêle bien évidemment la fiction. Comment avez-vous réalisé cet incroyable travail d’historien ?

N.M. : Je suis tout d’abord très proche de l’histoire de mon pays : l’Egypte. J’ai aussi utilisé les talents de deux journalistes. Pour la partie d’histoire sur l’Allemagne, ça a été beaucoup plus compliqué. J’ai fait un véritable travail de terrain en Allemagne. Je me suis installé pendant un certain temps à Berlin et j’ai eu accès à des documents déclassés. J’en ai consulté plus de 1000, en allemand, qui racontent l’histoire de la RDA, comment cela se passait, mais surtout les injustices perpétrées au nom du communisme. Vous pouviez être communiste, léniniste ou marxiste, si vous n’étiez pas tout à fait d’accord avec le parti, vous étiez fichu ! Ce sont tous ces documents déclassés qui ont clairement construit mon récit.

Dubaï : une ville en plein désert.
A. : Quelle est l’information que vous ne connaissiez pas qui vous a le plus marqué ?

N.M. : L’affaire Ben Barka. Avec cette affaire, on a appris qu’Israël avait fait un accord avec le roi du Maroc Hassan II pour éliminer ce chef de file de l’opposition qu’était Ben Barka au Maroc. Israël est allé voir le roi du Maroc pour lui dire que Ben Barka était communiste et allait le renverser. Israël a promis de régler ce « problème » et en contrepartie des espions du Mossad et du Shin Bet pouvaient infiltrer la Ligue arabe qui avait prévu de se rencontrer à Casablanca pour planifier la guerre. Ces espions israéliens savaient tout et Israël a gagné la guerre contre l’Egypte.

A. : Comment a-t-on su que c’était vrai ?

N.M. : Parce qu’il y a trois ans, les patrons du renseignement israélien ont avoué. Je ne connaissais pas cette information qui, pour moi, est très importante puisque la guerre des Six Jours est à l’origine de ce livre. D’ailleurs, elle n’a pas duré six jours mais six minutes, c’est le temps qu’il a fallu pour que l’aviation israélienne détruise l’aviation égyptienne et syrienne.

A. : Votre livre est tout autant un roman historique qu’un roman d’espionnage. Vous êtes un fan du Bureau des Légendes ?

N.M. : Oui ! Mon bouquin pourrait d’ailleurs servir de toile de fond à une série d’espionnage sans problème ! Le type est en Egypte, il y a la guerre, les égyptiens ont un accord avec le bloc de l’Est et il est envoyé en mission en Allemagne. Sauf qu’entre-temps, le président Nasser meurt, Anouar el-Sadate lui succède et renie l’URSS au profit des américains. L’espion se retrouve chez les soviétiques et devient alors un traître. Et évidemment dans l’histoire, il y a une histoire d’amour parce qu’il faut toujours une histoire d’amour. On la fait quand cette série ?

A. : D’autres oeuvres vous ont-elles influencé ?

N.M. : On est toujours influencé par des tas d’oeuvres. Une des oeuvres qui m’a le plus marqué est le Seigneur des Anneaux. Je pense aussi à Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman pour la partie où Amin est dans la clinique. J’ai enfin évidemment lu et vu beaucoup d’oeuvres sur l’espionnage.

Je m’appelle Malek, Nabil Malek…
A. : Le point de départ de votre roman est la défaite de la guerre des Six Jours en 1967. Qu’évoque pour vous cette défaite ?

N.M. : C’est une défaite douloureuse dont l’Egypte ne s’est jamais relevée. Nasser a fait beaucoup de mal à l’Egypte. La guerre des Six Jours est une histoire un peu oubliée aujourd’hui. Elle est aussi une véritable humiliation pour l’ex-président Nasser dont il ne s’est jamais remis. D’ailleurs, il est mort trois ans plus tard.

A. : En parlant d’histoire oubliée, vous mettez aussi en lumière les liens entre l’Egypte et la RDA dans les années 1970, que l’on connaît peu aujourd’hui.

N.M. : Oui complètement. Alors que l’Egypte était sous perfusion de l’URSS, tout comme la Syrie. Le bloc soviétique avait fait des ramifications extraordinaires en Egypte. Je voulais comprendre ce qui s’était passé et je n’ai pas été déçu ! J’ai notamment appris que Nasser envoyait des armes au bloc de l’est et recevait des avions. Ces liens m’ont servi pour l’intrigue de mon roman. Je trouvais intéressant d’envoyer Amin, mon personnage principal, qui est communiste, dans un pays où il pourrait expérimenter le communisme : la RDA. En plus, l’histoire du socialisme est une histoire assez incroyable.

A. : Votre livre est également une réflexion sur divers systèmes politiques il me semble. En tout cas, vous donnez des pistes de réflexion intéressantes sur le communisme et sur un modèle davantage basé sur la propriété.

N.M. : Ce qu’il faut peut-être retenir est que tout système extrémiste est mauvais. En tout cas, revenir sur le passé permet de mieux analyser le présent.

A. : Cette toile de fond sert une intrigue policière, fictive, avec cette jeune femme assassinée, qui est l’amante du protagoniste. D’où vient cette intrigue ?

N.M. : En RDA, tout le monde espionnait tout le monde à l’époque donc l’intrigue est totalement plausible. Vous pouviez très bien former un couple avec une espionne sans le savoir en étant vous-même un espion et réciproquement.

L’affaire Ben Barka et la guerre des Six Jours sont à l’origine du Trille du Diable.
A. : Amin El Foda, votre personnage principal, est courageux, fier et ne cesse de se poser des questions sur lui et sur le monde. Vous ressemble-t-il ?

N.M. : Déjà, je suis égyptien comme lui, je parle allemand, mes parents sont aussi divorcés et ma mère a connu un allemand. Ensuite, je pense effectivement comme lui que l’être humain doit constamment réfléchir et se reconstruire. J’aborde, à travers Amin, des thèmes qui me sont chers comme celui du retour au pays ou de l’absurdité de la nature humaine. Je me demande toujours qui je suis, d’où je viens. Je crois qu’on écrit pour se reconstruire.

A. : Aujourd’hui, vous sentez-vous proche de votre pays : l’Egypte ?

N.M. : C’est difficile ! J’ai énormément de compassion pour l’Egypte. Mais j’aimerais que le pays redécouvre ses splendeurs d’antan. L’Egypte d’aujourd’hui fait aussi face à d’importantes contradictions, notamment celle d’un président qui se construit un palais à 70 kilomètres du Caire alors que son peuple vit dans la misère. Mais, vous ne pouvez pas remettre en question cette décision…

A. : On arrive à la fin avec la question signature Arty : quelle est votre définition d’un artiste ?

N.M. : C’est quelqu’un qui souffre mais qui n’accepte pas de souffrir.

A. : L’artiste doit nécessairement souffrir ?

N.M. : Je pense que chez tout artiste, il y a une part de souffrance, nécessaire pour créer. Pour moi, l’art sublime la vie de tous les jours, sinon elle n’en vaut pas la peine. Après, l’artiste peut tout autant sublimer un malheur qu’un immense bonheur. L’un n’exclut pas l’autre.

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