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Rencontre avec Sebastião Salgado, photographe humaniste de l’Amazonie

Rencontre avec Sebastião Salgado, photographe humaniste de l’Amazonie

Anoussa Chea
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Entre images et son, Sebastião Salgado présente Amazônia à la Philharmonie de Paris. Une exposition de ses photographies de l’Amazonie et des communautés indiennes qui y résident.

Après quarante-huit voyages en sept ans, Sebastião Salgado dévoile plus de 200 clichés en noir et blanc mettant en beauté la puissance de la Nature, de l’Amazonie et de ses habitants. On découvre d’abord le labyrinthe complexe que forment les affluents sinueux qui alimentent le fleuve, les montagnes qui culminent parfois jusqu’à 3 000 mètres, les cieux gorgés d’eau qui créent de véritables rivières célestes.

Dans son exposition Amazônia à la Philharmonie de Paris, le photographe franco-brésilien nous fait découvrir les membres des dix tribus qu’il a rencontrées à travers une série de portraits touchants et emprunts d’une humanité saisissante. Au sein de leur environnement, chaque communauté pose dans le studio improvisé de l’artiste en arborant avec fierté leurs tenues traditionnelles et leurs maquillages distinctifs.

Témoignage écologiste et sensoriel

Enfin, pour magnifier l’ensemble du travail de Sebastião Salgado, Jean-Michel Jarre est venu apporter sa pierre à l’édifice en créant l’ambiance sonore à partir de sons captés dans la forêt amazonienne. En totale immersion, l’exposition fait voyager le visiteur entre le bruissement des arbres, le cri des animaux, ou encore le fracas des eaux qui se précipitent du haut des montagnes.

Avec Amazônia, Sebastião Salgado livre un témoignage humaniste et engagé sur la protection et la préservation de la Nature, le respect de son prochain et met en évidence l’importance des relations sociales, comme fil conducteur pour l’équilibre et la diversité de l’Humanité.

Le Rio Jutai dans l’État d’Amazonas, photographié au Brésil en 2017 © Sebastião Salgado
Anoussa : Bonjour Sebastião. C’est un grand honneur de vous interviewer. Vous venez de recevoir le prix Praemium Imperiale, considéré comme le « Nobel » des arts, décerné par par la famille impériale du Japon au nom de la Japan Art Association. Que représente ce prix ?

Sebastião Salgado : Recevoir ce prix de la part de la famille impériale japonaise me touche beaucoup, parce que les liens entre le Brésil et le Japon sont très forts. Le Brésil possède la plus grande communauté japonaise du monde. Entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, des millions de japonais sont arrivés au Brésil pour aider le pays à se développer, notamment à Rio et São Paolo. Une grande partie de la population du sud du Brésil est d’origine japonaise. Je suis allé à l’école avec des enfants japonais qui avaient toute une logique de pensée et une culture japonaise. Avec ma femme Lélia, on a donné des cours pendant 15 ans dans la plus grande école de photographie du Japon.

A. : Quand on parle de votre travail, le terme qui revient systématiquement est l’adjectif « humaniste ». Comment l’expliquez-vous ?

S. : Pendant une grande partie, voire la majorité, de ma vie de photographe, j’ai photographié l’être humain. J’aime les gens, être intégré à une communauté et voyager avec elle. Mais, à partir du début des années 2000, j’ai commencé à photographier la nature, qu’on commençait à considérer d’une autre manière. J’ai photographié la nature de la même manière qu’un être humain. J’ai appris à la photographier, à m’en approcher, à connaître les autres espèces. Ces autres espèces possèdent autant de dignité que l’être humain. Pour les photographier, il faut aussi les aimer, être proche d’elles, obtenir des autorisations pour s’en approcher ; que cela soit pour des espèces animales, végétales ou minérales. Il faut bien les comprendre et les respecter pour transmettre des images de la manière la plus digne.

A. : Pour l’exposition Amazônia, vous êtes allé à la rencontre de 10 tribus vivant dans la forêt amazonienne. Comment le contact s’est-il fait ?

S. : Quand tu as ce projet d’aller à la rencontre de ces communautés, tu dois venir pour un certain temps parce que c’est loin et difficile d’accès. Tu ne peux pas simplement venir prendre quelques photos et repartir. Pour les rencontrer, il faut obtenir une autorisation qui peut prendre plusieurs mois voire années. La demande est adressée à la Fondation Nationale de l’Indien (ndlr, la FUNAI). Si la FUNAI accepte notre demande, elle envoie ensuite un émissaire à la tribu. Tous les membres de la tribu doivent être présents pour donner son accord mais parfois, toute la tribu est partie pêcher ou chasser. La FUNAI doit donc attendre plusieurs jours avant le retour de la tribu pour lui exposer mon projet. Si la tribu donne son autorisation, elle indique ensuite la date à laquelle je peux venir. On est donc attendus. Quand on vient, on emmène une personne de la FUNAI, un anthropologue ou un sociologue qui parle la langue de la tribu.

A. : Comment se déroule votre arrivée au sein des tribus ?

S. : J’ai rencontré 12 tribus et dans chaque tribu, les choses se déroulaient de la même manière. On fait une réunion avec tous les membres de la tribu pour expliquer notre présence et qui nous sommes. Quand je pars à la rencontre de ces tribus, je viens avec une expédition. Par exemple, nous n’avons pas le droit de manger leurs denrées. On doit donc amener notre propre nourriture et un cuisinier. On vient avec 3/4 pirogues, des capitaines de brousse qui savent monter un campement, pêcher, chasser, se déplacer dans la foret. Au total, on est entre 10 et 15 personnes. Ensuite, en fonction de la culture de la tribu, on s’installe dans un coin du village ou la tribu nous attribue un coin de leur maisonnette et on installe notre campement.

Famille Korubo, État d’Amazonas, Brésil, 2017 © Sebastião Salgado
A. : Comment se passe la vie sur place avec ces communautés ?

S. : On participe aux tâches de la vie quotidienne de la tribu : agriculture, pêche, chasse, artisanat, récolte de fruits dans les arbres. On s’installe dans leur vie et on vit avec eux. On reste entre 1 et 3 mois en fonction de la facilité d’accès et de l’emplacement. Si la tribu doit partir pour un campement de pêche ou de chasse pendant notre présence, on part avec elle et on marche 3/4 jours dans la forêt. En réalité, on connaît la date à laquelle on entre dans la tribu mais on ne connait pas la date où on la quittera.

A. : Qu’avez-vous appris à leur contact ?

S. : La première chose que j’ai apprise est la bonté qui correspond à ce que ma mère m’a appris en premier. J’ai réappris la bonté avec les Indiens. Il n’y a pas d’agressivité et de violence chez eux. Dans toutes ces tribus où j’ai vécu, la violence est la dernière valeur dans leur échelle de valeurs.

 

J’ai réappris à vivre avec les Indiens. J’ai réappris que nous étions Nature, ce que nous avons oublié. Nous sommes tellement des êtres urbains que nous avons oublié que nous faisions partie de la nature, que nous sommes des animaux comme les autres, que nous vivons autour de la Terre, du sable, de l’eau, des feuilles, des autres animaux. C’est une leçon car les Indiens s’identifient totalement à la nature, ils sont la Nature. Et en même temps, ils sont comme nous. Nous avons les mêmes préoccupations, les mêmes principes essentiels. Ils aiment de la même façon, ils ont la même solidarité, le même esprit communautaire. Tout ce qui est important pour nous, l’est pour les Indiens. Tout ce que nous avons d’essentiel dans notre société, les Indiens l’ont. Nous appartenons à la même espèce, il n’y a pas de différence.

A. : Avez-vous des exemples ?

S. : Pour se soigner, ils ont des antibiotiques, des anti-inflammatoires qui sont issus des arbres. Aussi, on pense souvent qu’il n’existe qu’un seul chaman dans ces communauté, mais il y a différents types de chamans : celui qui chante, celui qui est spécialisé dans le jus d’écorce, celui qui communique avec l’au-delà. Il peut y avoir 7/8 chamans différents dans une tribu. Les chamans représentent la super structure d’une tribu.

 

Toutes les lois que nous avons existent aussi chez les Indiens. Par exemple, les lois de la balistique sont maîtrisées par les Indiens. En fonction des plumes ou de la pointe de la flèche, ils savent calculer la trajectoire et l’endroit où tombera la flèche pendant la chasse. C’est un confort de savoir que lors de ces expéditions, je retourne dans mon histoire que je viens consulter. Pour moi, c’est grandiose !

A. : Pensez-vous leur avoir appris ou apporté quelque chose ?

S. : Quand on vient, ils nous demandent beaucoup de cadeaux. Un des cadeaux que l’on apporte, c’est nous-même. Comme ils sont d’origine asiatique, ils n’ont pas beaucoup de poils. Comme je suis très poilu, ils étaient intrigués par mes poils, ma tête sans cheveux. Ils te dévisagent et te découvrent vraiment de la tête aux pieds. Ils sont tellement attachants et purs. Ça crée une chaleur humaine et met en évidence que ce qui est important dans la vie, c’est la relation aux autres. L’être humain est un animal grégaire qui vit en communauté.

Rivière Cauaburi, Territoire indigène yanomami. État d’Amazonas, Brésil, 2018 © Sebastião Salgado
A. : Pour l’exposition Amazônia, vous avez fait appel à Jean-Michel Jarre pour composer l’ambiance musicale. Pourquoi l’avoir choisi ?

S. : On a choisi de faire cette expo à la Philharmonie parce qu’on voulait y amener de la musique. Lélia (ndlr, Wanick-Salgado, commissaire de l’exposition) voulait absolument qu’on ait les sons de la forêt amazonienne pour cette exposition. La Philharmonie, qui entretient de très bons rapports avec Jean-Michel Jarre, nous l’a présenté et on lui a expliqué le projet. Jean-Michel est quelqu’un de très accessible. Il est comme un indien, tellement délicat et doux. En cherchant, on a découvert que le Musée d’Ethnographie de Genève avait capturé tous les sons de l’Amazonie. Ces sons ont été mis à sa disposition. Il a ensuite composé sa musique par dessus en utilisant ces sons. C’était un complément énorme.

A. : Vous travaillez toujours en étroite collaboration avec Lélia, votre femme. Quel a été son rôle pour Amazônia ?

S. : Lélia a fait un travail fabuleux pour cette exposition. Elle a conçu l’exposition en ne voulant aucune lumière ailleurs que sur les photos. Ce sont les photos qui illuminent l’exposition. La lumière sort de l’Amazonie ce qui crée une ambiance très intéressante.

A. : Selon vous, quel est l’avenir de l’Amazonie ?

S. : J’aimerais qu’on arrête de détruire l’Amazonie et qu’on comprenne qu’elle est très importante pour la planète. Si on continue de la détruire, les communautés indiennes disparaîtront. Dans l’Amazonie brésilienne, il y a 102 groupes qui n’ont jamais été contactés. Le contact ne peut s’établir qu’à leur demande et la FUNDAI veille à leur isolement. Jusqu’en 1988, il y avait des expéditions pour rentrer en contact avec ces groupes isolés qui ont ensuite été interdites. Tous les indiens que j’ai photographiés ont déjà été contactés, certains plus récemment que d’autres. Tant que la demande ne vient pas d’eux, je ne veux pas les rencontrer. Il faut respecter le souhait de ces groupes de vouloir rester isolés.

Indienne Yaminawá, État d’Acre, Brésil, 2016 © Sebastião Salgado
A. : Sur France Inter, vous avez récemment déclaré « Il y a beaucoup de gens avec un appareil photo mais il y a très peu de photographes. » Que vouliez-vous dire ?

S. : Un photographe, c’est quelqu’un qui croit que l’image est la référence, la mémoire de la société dont il fait partie. Un photographe imprime, touche ses photos. Ce qu’on prend en photos avec nos téléphones ne sont pas des photos, ce sont des images qui ne seront jamais utilisées. C’est un langage de communication à travers des images mais ce n’est pas de la photographie. Aujourd’hui, on fait moins de photographies qu’il y a 20 ou 30 ans. Avant, on faisait vraiment de la photo : on développait les films, on faisait l’album, il y avait une mémoire avec une histoire. Il n’est pas nécessaire d’être professionnel mais il est nécessaire d’aimer capturer des images, d’aimer les développer et les garder pour qu’elles soient la mémoire du temps.

A. : Quelles sont les qualités pour être un bon photographe ?

S. : Il y a tellement de qualités nécessaires. La première est d’être vraiment photographe. C’est à dire qu’il faut aimer prendre des photos, aimer approcher l’autre, aimer représenter la société à travers l’image. Ensuite, il faut avoir une patience énorme parce qu’il faut attendre qu’il se passe quelque chose, chercher, insister, capturer, venir, retourner voir. Il faut aussi avoir un énorme imaginaire : imaginer les choses que tu vas trouver, la manière dont tu vas les trouver et les transmettre. Et, il faut faire les choses qu’on aime simplement et avoir du plaisir.

A. : On arrive à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est votre définition d’un artiste ?

S. : Un artiste, c’est quelqu’un qui travaille avec l’un des concepts les plus essentiels : la beauté, que cela soit à travers une sculpture, une peinture, une composition musicale, une photographie. Un artiste est à la recherche du sublime.

SALGADO AMAZÔNIA
Jusqu’au 31 Octobre
À la Philharmonie de Paris

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