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Résistances Poétiques : le projet multi-arts de Cyril Dion et de Sébastien Hoog

Résistances Poétiques : le projet multi-arts de Cyril Dion et de Sébastien Hoog

Anaïs Delatour

Un spectacle, un livre et un disque : Cyril Dion et Sébastien Hoog vont définitivement au bout de leurs idées et de leur créativité. Nous les avons rencontrés, souriants, blagueurs et plus que jamais convaincus que la poésie, et l’art de manière générale, pouvaient être à la base d’une certaine résistance et de notre (re)connexion à notre part sensible.

De la poésie d’un côté et de la musique de l’autre est née une expérience en 2019 à la Maison de la Poésie à Paris : Résistances Poétiques, un concert poético-musical, ou musicalo-poétique comme se plaisent à dire les deux acolytes. Le projet aurait pu  néanmoins s’arrêter là mais c’était sans compter l’ambition des deux artistes.

Le projet s’est étoffé d’un livre, paru le 1er mars dernier chez Actes Sud, rassemblant les poèmes de Cyril Dion déclamés sur scène et d’autres œuvres contemporaines. On y retrouve notamment le travail de l’artiste plasticienne Prune Nourry, du photographe urbain et street artiste JR, ou encore du dessinateur et performeur Réjean Dorval. Un disque est sorti dans la foulée, le 10 mars.

Mais Résistances Poétiques est bien plus qu’un projet artistique. Il est une véritable photographie de notre époque et y expose autant ses déchéances que ses moments de grâce. Et si, nous aussi, suivions le mouvement ? Parce qu’il est temps de résister (poétiquement). Pour la chance que nous avons de vivre (encore) dans un environnement si beau, faisons l’effort d’aller puiser en nous des ressources insoupçonnées qui pourraient bien changer la face du monde.

Anaïs : Cyril, on s’était rencontrés à l’occasion de la sortie de ton dernier recueil de poèmes, À l’Orée du Danger, sorti l’année dernière. Sébastien, on ne se connaît pas encore. Qui es-tu ?

Sébastien : Ah… Demande à Cyril, il fait ça bien !

 

Cyril : De te présenter (rires) ?

 

S. : Oui !

 

C. : Ok ! Sébastien Hoog est musicien professionnel depuis de nombreuses années, réalisateur de disques et aime porter des peaux d’ours comme tu peux le constater ! Il a notamment accompagné Izïa Higelin en travaillant avec elle sur la composition de ses deux premiers albums et à la guitare. Il a également accompagné les plus grands sur scène dont Vanessa Paradis et Miossec pour ne parler que des derniers. Mail, il travaille aussi avec des jeunes auteurs compositeurs pour les aider à trouver leur voie et à se réaliser en tant qu’artistes. Et depuis peu, il réalise de la musique de films. Il a notamment composé la musique d’un film absolument magnifique qui s’appelle Animal.

 

S. : Franchement, il le fait super bien non (rires) ? Moi, je serais là en train de bafouiller et de dire n’importe quoi, à tel point qu’il faudrait me sous-titrer !

A. : Vous avez l’air de bien vous connaître. Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

C. : Sur Tinder (rires) ! Non en fait c’était sur Grinder !

 

S. : Bon, même si Cyril raconte mieux que moi, je veux bien essayer pour cette fois. On s’est rencontrés pendant la tournée du Chant des Colibris. C’est une tournée qui a eu lieu à l’occasion des élections présidentielles de 2017 pour faire parler d’écologie et d’urgence climatique. En fait, le mouvement Colibris est un mouvement citoyen, écologique et solidaire, cofondé par Pierre Rabhi et Cyril, qui avait organisé à cette occasion une tournée multi-artistes. Je faisais partie des musiciens qui accompagnaient les artistes. Chaque artiste chantait trois chansons et il y avait un changement de plateau pendant lequel Cyril lisait des textes à lui et nous, on continuait de jouer derrière. Cyril trouvait ça vachement bien et on a eu l’idée de continuer. On a enlevé les autres et on est resté tous les deux. C’est de cette manière qu’on s’est rendu compte qu’on s’aimait bien et qu’en travaillant ensemble, cela nous permettrait aussi de se voir plus souvent.

A. : L’idée de faire un spectacle autour de la poésie et de la musique en 2019 était donc la suite logique, si je comprends bien.

S. : Tout à fait.

 

C. : Oui. Et au-delà que je trouve ça intéressant à titre personnel, les autres artistes, notamment Dominique A et Arthur H, nous ont encouragés à faire quelque chose de cette première expérience improvisée.

Non, Sébastien ne portait pas sa peau d’ours ce soir-là… / Crédit photo : Fanny Dion.
A. : Comment cela a-t-il pris forme ?

C. : J’ai repris quelques textes lus lors de la tournée des Colibris et on s’est enfermés pendant trois jours dans la maison d’un ami qui a des studios de musique dans le Perche. On a beaucoup joué au ping-pong mais on a aussi composé. C’était assez facile en fait.

A. : Sébastien, comment met-on de la poésie en musique ? La lecture musicale est-elle aussi simple qu’on le pense ?

S. : A priori, on a envie de se dire qu’il ne faut pas que la musique prenne trop de place, sauf que moi j’aime bien quand elle n’est pas trop discrète. C’est pourquoi, il a fallu mettre la voix de Cyril très fort dans le mix ! Ceci dit, Cyril a de belles basses dans la voix donc on peut facilement mettre plus fort sans que cela dérange. Après, pour composer la musique, j’ai pioché dans tout ce que j’aimais comme musique et ça tombe bien, nous avons à peu près les mêmes goûts avec Cyril.

A. : Quelles références alors ?

S. : Gainsbourg, les Doors, Pink Floyd… De manière générale, on aime bien les harmonies un peu anciennes, entre 1965 et 1973. On aime bien quand la guitare chante et s’envole un peu dans les montagnes ou dans les forêts. On a écouté des trucs plus modernes aussi, je pense par exemple à Kae Tempest.

 

C. : On a aussi écouté Bashung ou Patti Smith. De mon côté, je regarde aussi pas mal ce que font les jeunes poétesses en ce moment, Rupi Kaur ou Amanda Gorman. J’aime bien également ce que propose Arthur Teboul de Feu! Chatterton qui est vraiment aux confins de la musique et de la poésie. D’ailleurs, il a sorti un recueil.

A. : Cyril, comment as-tu choisi les textes mis en musique ? Ou plutôt, comment se dit-on qu’un texte est propice à être accompagné ?

C. : J’avais envie de construire une sorte de cheminement, que les gens qui viennent voir le spectacle, écoutent le disque ou lisent le livre, sentent qu’il y a un début, un milieu et une fin. Après, j’ai choisi tout autant des textes narratifs, engagés que des textes qui sont purement des sortes de jaillissement artistique. Certains textes sont propices à la musique car ils racontent une histoire et donc on peut créer une sorte d’ambiance cinématographique. C’est le cas de Détroit. D’autres textes ont déjà une forme de musicalité particulière parce qu’ils sont dans une forme poétique classique, en vers, avec des rimes, etc. Quand tu lis un texte comme Rien à l’horizon, tu sens déjà qu’il y a un rythme naturel qui émane des mots donc la traduction en musique est facile.

A lire sans modération.
A. : Facile oui, mais mettre de la musique sur des textes aurait pu finir par être monotone au bout de quelques titres. Sébastien, comment as-tu fait pour ne pas que cela soit le cas ?

C. : Le talent !

 

S. : Cela aurait pu être le talent mais j’ai une théorie, inspirée des Beatles. Il y a une théorie dans les chansons des Beatles, qui sont quasiment toutes des tubes, est qu’il y a un événement toutes les 13 secondes. Cela peut-être une deuxième voix qui arrive, une harmonie ou encore une relance de batterie. Cette idée d’événements qui s’enchaînent me plaît et apparemment fonctionne. Cela permet qu’il y ait toujours un peu à manger au fur et à mesure que la chanson se déroule. J’ai intégré ce truc-là.

A. : En 2023, vous remettez ça avec un disque ainsi qu’un livre, Résistances Poétiques, qui contient des ajouts d’œuvres contemporaines par rapport au projet initial. Pourquoi avoir voulu faire un tel projet ?

C. : En fait, le spectacle devait initialement être un one shot créé pour la Maison de la Poésie.

 

S. : On a ensuite cherché un tourneur et on nous a dit, à ce moment-là, que ce serait plus simple avec un disque ou un livre. On a fait les deux !

 

C. : Pour ce faire, on a un peu amélioré les morceaux, on a essayé de les orchestrer, enfin surtout Sébastien. En gros, il fallait que ce soit un peu plus présentable sur un disque.

A. : Comment avez-vous choisi les artistes qui vous ont rejoint sur le projet ? Fallait-il qu’ils aient un degré d’engagement minimal ?

C. : Ce sont d’abord des copains dont je connais bien le travail et dont il me touche. On voulait que Résistances Poétiques soit un vaste projet qui raconte la conjoncture actuelle et qui montre qu’il faille résister. Il y a le changement climatique, la guerre en Ukraine, la montée des extrêmes, l’apocalypse des insectes. La nuit tombe et pour que l’on ait une chance d’éclairer la nuit, il faut mobiliser en nous des ressources de vie. Finalement, ce que tous ces problèmes racontent est que l’on a besoin que nos sociétés se réorientent vers une forme d’essentiel et que l’on se demande où on a collectivement envie d’aller.

A. : Quelle est la réponse selon toi ?

C. : On ne peut la trouver qu’en se reliant à ce qui est le plus important : la beauté, le bonheur d’être en vie, la connexion avec toutes les formes de vie autour de nous… Et il me semble que l’art permet tout cela. Car, il peut nous ramener à cette dimension sensible plus vaste que nous. C’est un peu l’idée autour de résister poétiquement. On peut résister à travers la poésie, la musique, le cinéma, l’art contemporain, et particulièrement celui qui vient interpeller dans l’espace public. Par exemple, dans le travail de Prune, elle le fait en plaçant des femmes-vaches dans l’espace public en Inde. En substance, elle met en parallèle quelque chose de très important : le fait que les vaches en Inde soient sacrées mais qu’il y ait des féminicides toutes les cinq minutes. De quoi s’interroger… L’art est une forme d’engagement.

 

S. : Il parle bien t’as vu hein (rires) !

A. : Comment votre projet est-il perçu du côté du public, en particulier les concerts ?

C. : Les gens sont souvent assez surpris lorsqu’ils sortent des concerts. Je crois qu’il y a déjà pas mal de personnes qui viennent sur un malentendu. Ils s’attendent à voir une conférence sur l’écologie donc je pense que les cinq premières minutes, ils se disent : « merde… ça dure combien de temps déjà ? » (rires) ! Et souvent, ils ressortent assez bouleversés avec l’impression d’être entrés dans une sorte de bulle qui les a fait voyager, qui les a touché, interrogé, parfois fait rire, d’autres fois pleurer. Bon, parfois on fait des blagues pour essayer de dédramatiser le truc et le rendre moins solennel. Si les gens peuvent ressortir un peu différents de ce qu’ils étaient, c’est très cool. C’est aussi le projet du disque. J’adorerais que les gens prennent un petit moment ne serait-ce que pour se plonger dans un seul morceau et qu’ils soient touchés.

A. : Avez-vous tranché : est-ce un concert poétique ou un spectacle littéraire ?

C. : C’est une expérience poético-musicale ou musicalo-poétique. Ce n’est pas un spectacle littéraire parce que la musique et la poésie sont à égalité. Ce n’est pas un musicien qui accompagne un poète. On se rapprocherait plus d’un concert mais je ne chante pas. Cela étant dit, doit-on forcément chanter pour que ce soit un concert ? Je ne sais pas.

A. : C’est quoi la suite pour vous ? Collaborer de nouveau ensemble ? Autour d’un projet similaire ?

C. : Je n’en peux plus moi ! Il a un humour de merde, il met des peaux d’ours, il habite dans le Perche où c’est très humide ! C’est trop…

 

S. : On va faire le deuxième album quand même ! Il va juste falloir que Cyril écrive de nouveaux textes parce que là il a pioché dans ses vieux textes. Ça va pour une fois, mais c’est un peu facile !

 

C. : C’est prévu. On aimerait aussi emmener le truc plus loin dans l’interprétation. On se demande si on ne mettrait pas un peu de chant et de percussions.

 

S. : On envisage aussi des animaux sur scène pendant les représentations. Et bien sûr, des week-end dans le Perche avec du vin nature.

Cyril Dion et Sébastien Hoog seront en concert au Trabendo le 12 mai 2023. 

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