Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
En première partie de Billie Eilish pour les 20 ans de Rock En Seine, la multi-instrumentiste Lucie Antunes a transformé le domaine de Saint-Cloud en un Carnaval électronique et bouillonnant.
Sous le soleil de plomb de Rock en Seine, Lucie Antunes en sortie de scène. Tout autour, l’excitation palpable dans les travées, où l’on attend la superstar américaine Billie Eilish pour son seul live de l’année en France. Mais c’est la super-instrumentiste française qui retient toute notre attention.
Depuis 2019 et ses débuts en solo, tout s’enchaîne pour Lucie Antunes. L’ex-batteuse de Yuksek et Moodoïd prend la lumière comme personne et n’oublie pas de la redistribuer sur son groupe. Et quelle lumière. Son projet a une force d’attraction que peu d’autres possèdent. Une sophistication mélodique, des métaux puissants, de l’élégance à tous niveaux de scénographie. En 2019, son premier album Sergeï réunissait dancefloor et émotion sur la même ligne vibrante. Son second, Carnaval, élargit le cercle de communion.
Avec Lucie Antunes, tout est hors norme. Son énergie inépuisable est la même sur scène qu’à la ville. Ce 23 août, elle ferait passer les sorcelleries de Thomas Edison pour un défibrillateur à la petite semaine. Alors, on s’est mis en tête de rencontrer l’instigatrice de ces étincelles scéniques, pour tenter d’en découvrir les secrets.
Marin : Salut Lucie, comment vas-tu, pas trop chaud ?
Lucie Antunes : J’ai très chaud, mais je vais très bien.
M. : Carnaval porte bien son nom sur scène : c’est un feu d’artifice, une surprise permanente, une célébration inclusive. Mener ce disque sur scène, c’est essentiel pour le faire vivre ?
L. : C’est essentiel parce que je pense pour le live chaque musique que je sors en studio. Inversement, c’est assez difficile de retranscrire ce que l’on fait en live dans une version à écouter chez soi. Déjà, parce qu’il y a une compression pour que l’on puisse écouter les morceaux partout. L’émotion que j’arrive à dégager sur scène à travers le processus de l’ambitus (ndlr : passer du très petit au très grand) est difficile à transposer dans ma musique. Certains y arrivent, moi pas encore. Alors je suis heureuse de pouvoir l’honorer en live.
M. : La voix dirige beaucoup les morceaux de Carnaval, mais tu n’es pas seule à chanter sur scène…
L. : J’ai cherché une chanteuse sur scène, parce que moi, je ne le suis pas. Je suis percussionniste, cela fait vingt ans que je m’enferme dans des salles pour en faire huit heures par jour. Je n’ai pas la même technique en chant et cela me met très mal à l’aise. La chanteuse Louise Botbol (ndlr, également multi-instrumentiste) et Clémence Lasme aux chœurs (ndlr, également bassiste) arrivent à transcrire à elles deux ce que je voulais en live.
M. : Vous êtes quatre sur scène avec le claviériste Franck Berthoux. Comment arrive-t-on à faire tourner un groupe en développement avec autant de monde ?
L. : Ce n’est pas évident, mais j’insiste pour que l’on y arrive. La musique vivante est essentielle. Mon camarade de toujours, Franck Berthoux, aux claviers modulaires, cela fait 10 ans que l’on travaille ensemble. La base du son en live, ce sont ses synthés. Je n’en veux pas d’autres, je veux les siens. Il me fallait globalement des performeur.se.s qui fassent tout, parce que je leur demande toujours plus qu’ils ne savent faire.
M. : Qu’est-ce que ça te fait d’être en lead de ton projet, toi qui a longtemps été percussionniste pour d’autres comme Yuksek et Moodoïd ?
L. : J’adore être cheffe d’orchestre, c’était mon rêve. Je me sens fière et honorée à chaque concert de défendre cette musique, et que les musiciens se mettent à dispo pour la défendre avec moi. Avant chaque montée sur scène, je suis toujours très émue, et consciente de la chance que j’aie.
M. : Plus particulièrement à Rock en Seine, sur la scène principale avant Billie Eilish ?
L. : Le simple fait que cette musique voit le jour à ce point, j’ai l’impression d’avoir atteint depuis quelques années un point qui me comble. En tant que performeur.se.s, on donne tout même s’il n’y a que dix personnes. Je me fais saigner les mains, je suis à fond. Je pense que les gens voient la générosité de ce live. Alors à Rock en Seine, je me sens comme un poisson dans l’eau et j’espère qu’il y aura encore de nombreuses scènes comme celle-là.
M. : Je n’avais pas vu ton nouveau live avant Rock en Seine, et en cherchant, j’ai découvert la live session envoûtante de Jacob avec les lumières à 360°. Comment gères-tu l’adaptation d’une scène fermée à une scène ouverte ?
L. : On s’est vu avec le groupe hier dans mon studio au Centquatre (ndlr, espace de résidences artistiques dans le 19ème arrondissement de Paris) pour éditer le live pour Rock en Seine. Ce qui est génial, c’est que je commence à avoir une équipe qui s’imbrique énormément.
M. : Et l’ingé lumières ?
L. : Mon ingénieure lumière, Abigaël, m’a écrit tout de suite pour me proposer des lumières au-dessus plutôt qu’au sol. Tout le monde s’adapte à chaque fois.
M. : Ce qui marche en festival ne fonctionne pas forcément en club, et inversement ?
L. : Je voulais une créa lumière élégante pour tourner en club. On s’est rendu compte que ce n’était pas assez efficace en festival. La fumée, la lumière cinématographique au sol, ça fonctionne en SMAC et sur les scènes fermées. On a eu besoin de s’adapter, chaque concert est une expérience en soi.
M. : C’était quoi ton climax à Rock en Seine ?
L. : Aujourd’hui, j’ai beaucoup aimé Jacob. Mais tu sais, les premières parties c’est assez dur. Il faut capter un public qui vient en l’occurence pour Billie Eilish. Ce qui est génial c’est que comme je n’attends rien, même si j’ai gagné trois personnes qui aiment ma musique, je suis heureuse.
M. : Au cours de cette tournée des festivals, j’ai entendu dire qu’il y avait un nouvel album en préparation…
L. : C’est plusieurs morceaux d’un EP. J’ai lancé une machine que je n’ai pas envie d’arrêter (ndlr, sont sortis successivement Sergeï en 2019, l’édition deluxe en 2022, Carnaval en 2023). Ce que j’aime par dessus tout c’est écrire, être en studio, faire des essais. Sur mes nouveaux morceaux, je travaille le traitement d’instruments acoustiques que j’amplifie en temps réel avec des pédales d’effet. J’invite des artistes à chanter sur des morceaux de deux/trois minutes. C’est nouveau pour moi et je m’éclate.
M. : On peut savoir quels sont les featurings ?
L. : Je te le dis en exclusivité : il y aura des featurings avec Anna Mouglalis et Baby Volcano.
M. : Comme tu es à la fois en tournée et en création d’EP, tu t’inspires de ce que tu peux voir en live ?
L. : Ah oui totalement ! Là on revient du Sziget, j’ai vu le live de Jamie XX. Ça m’a fait péter un câble. Après ça, j’ai fait le featuring avec Anna Mouglalis. J’adore écrire en tournée parce que ça m’inspire énormément.
M. : Dernière question, la signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?
L. : C’est un.e créatrice.teur ouvert.e, qui se remet toujours en question, et qui a envie d’expérimenter. Curiosité, curiosité, curiosité.