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« PD » : L’histoire d’amour qui déconstruit l’homophobie sur YouTube 

« PD » : L’histoire d’amour qui déconstruit l’homophobie sur YouTube 

Camille Leigh

Le film PD, réalisé par Olivier Lallart, disponible en libre accès sur YouTube, connaît un succès qui ne cesse de grandir avec plus de 2 millions de vues. Le moyen-métrage avait déjà remporté 4 prix et été projeté dans plusieurs lycées.

PD nous plonge dans l’univers de Thomas, un jeune adolescent en proie à ses premiers émois amoureux. On se retrouve dans le microcosme de son lycée, sombre miroir d’une société dans laquelle l’homophobie ordinaire, banalisée, fait souffrir aussi profondément qu’une violence assumée.

C’est une histoire sur le fil, tout droit sortie du cœur, portée par le jeu troublant de justesse des deux jeunes comédiens, Paul Gomérieux (Thomas) et Jacques Lepesqueur (Esteban, le garçon dont s’est épris Thomas) et du bien connu Marc Riso (Je te promets, Bref). La charge émotionnelle du film tient aussi à une bande-son puissante mêlant des créations originales (Mekias, J-Zeus) à l’électro de Rone.

Pour l’amour et contre l’homophobie

En 35 minutes, ce film intime et essentiel dit le besoin viscéral de repères de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans les représentations encore trop hétéronormées de l’amour. Il montre aussi l’urgence de déconstruire l’homophobie du quotidien. PD porte un message d’espoir et de courage et invite à prendre conscience que chaque petit geste, même dérisoire, peut faire beaucoup, beaucoup de bien.

Camille : Bonjour Olivier. Ton moyen-métrage PD a été rendu accessible au grand public fin décembre 2020, et depuis son succès n’a cessé de grandir. De quoi parle-t-il ?

Olivier Lallart : PD raconte l’histoire de Thomas, un garçon qui se découvre une attirance pour un autre garçon. C’est quelque chose d’assez nouveau pour lui. Il se confie à l’un de ses meilleurs amis et la rumeur de son homosexualité se répand. Il commence à observer des changements de comportement dans le lycée, il se fait aussi rejeter par d’autres garçons. C’est le point de départ du film.

C. : Ce film arrive à une époque où on commence à avoir davantage de représentations de l’homosexualité et où l’ouverture est censée être plus grande. Tu vois une différence entre l’époque où tu étais toi-même au lycée, et aujourd’hui ?

O.L. : J’étais au lycée en 2002-2005, donc ça date un peu. Je n’ai pas eu les mêmes problématiques que le personnage parce que j’ai découvert ma sexualité très tard, bien après le lycée. Dans les années 90-2000, on ne parlait pas trop d’homosexualité, que ce soit à la télé, dans les séries, dans la famille, les amis il n’y avait pas trop de représentations. C’est vrai qu’on a bien évolué de ce côté-là. Les jeunes d’aujourd’hui parlent d’homosexualité, de pansexualité et de plein de trucs qu’on ne connaissait même pas avant.

C. : Pourtant, PD montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire ?

O.L. : D’un autre côté, il y a aussi une libération de la parole homophobe. Ça a commencé en 2012 avec la Manif pour Tous, ça continue avec les lois sur la PMA : les gens de la Manif pour Tous retournent dans la rue. Ce qui est fou – j’ai lu la dernière fois un historien qui disait ça – c’est que c’est une des premières fois de l’Histoire que des gens descendent dans la rue, non pas pour revendiquer des droits pour eux, qu’on leur aurait enlevés ou qu’ils voudraient, mais pour que d’autres gens n’aient pas de droits.

C. : Tu as été confronté à cette libération de la parole homophobe en montrant ton film ?

O.L. : Avec PD, on fait des interventions en milieu scolaire et il y a des lycées dans lesquels ça se passe très bien et des lycées où c’est très compliqué. Une fois, par exemple, la première scène de baiser entre les deux garçons a provoqué de grosses réactions de dégoût dans la salle : des « baaaah », des gens qui hurlaient et qui nous ont clairement dit à la fin être dégoûtés de voir ça. Donc on a encore plein de problématiques, et puis on a aussi des chiffres. L’insulte PD a été l’insulte la plus utilisée en milieu scolaire l’année dernière, selon un rapport. SOS homophobie dit aussi que les violences homophobes ont augmenté de 30% l’année dernière. Il y a des choses qui ont bien évolué et d’autres sur lesquelles il y a encore beaucoup beaucoup de boulot.

C. : Tu as mené de nombreux ateliers avec des collégiens et des lycéens pour produire des courts-métrages sur des sujets engagés. Le public scolaire te touche particulièrement ?

O.L. : Le point de départ du film, c’est cette insulte, « PD », lâchée à tort et à travers dans les cours de récré, pas forcément de manière homophobe d’ailleurs. Je cible davantage les jeunes dans ce film, même s’il s’adresse à tout le monde. Il y a plein de gens de 40-50 ans qui me disent bravo, qu’ils ont été touchés ou qu’ils auraient aimé voir ce film quand ils avaient 17 ans, que ça les aurait aidés. Mais les jeunes générations, ce sont celles qui commencent à penser par elles-mêmes et à se former. Dans une classe où on a projeté PD, il y a un gamin en 5e qui nous a dit « moi je suis homophobe ». Il a même pas 12 ans. On comprend que c’est par sa famille, l’institution, la religion. C’est à cet âge-là qu’il faut leur parler. Les gens qui ont déjà 50-60 ans ont grandi avec des choses qu’il sera difficile de leur faire oublier en 35 minutes. Dans les années 70, l’homosexualité était encore pénalisée. Mais pour des jeunes, on espère que ça peut faire son petit bout de chemin.

C. : Dans ton film, le professeur d’histoire aborde l’homophobie et le besoin de faire changer les mentalités avec ses élèves et leur dit : « Ça, y a que vous qui pouvez le faire ». C’est ça le message que tu veux faire passer aux jeunes générations : les inviter à s’emparer de la question ?

O.L. : Complètement.

« Moi, je rêve qu’un jour, partout, deux homos puissent se tenir la main et s’embrasser, sans que ça gêne personne, sans que tout le monde ne les regarde. Et ça, y a que vous qui pouvez le faire. »
C. : Pourquoi as-tu choisi Marc Riso pour porter ce discours ?

O.L. : Quand j’écris mon scénario, je ne pense pas à des comédiens. J’écris d’abord une histoire et je réfléchis à ce que j’ai envie de faire passer. Ensuite, quand j’ai réfléchi aux comédiens, je me suis dit « wow, ce discours fait quand même 4’30 ». C’était un gros pavé et j’avais un peu peur qu’il passe de manière indigeste, que le spectateur se dise « on me fait la morale » et que ça lui tombe un peu comme ça sur la tronche.

C. : Marc Riso était le choix idéal pour faire passer le message en douceur ?

O.L. : J’ai rencontré Marc à un festival où on avait tous les deux un court-métrage en compétition, chacun une comédie. J’ai passé un week-end à rire avec Marc, parce que c’est un personnage très drôle. Je me suis dit que ça pourrait être bien de lui proposer, parce qu’il ne fait que des comédies, et je pense qu’il a un potentiel qui va au-delà de ça. Pour ce rôle de prof, je voulais amener une touche de légèreté et d’humanité, que ce ne soit pas un discours plombant. C’est ce qu’on a retravaillé avec Marc.

C. : On a pu parler, à propos de ton travail, de cinéma « pédagogique » ou « militant » ? Ce sont des appellations dans lesquelles tu te reconnais ?

O.L. : C’est un peu nouveau pour moi parce que les films que j’ai faits avant étaient des comédies et un film un peu futuriste. En 2015-2016, j’ai fait deux courts-métrages avec des jeunes dans un collège, qui ont eu un gros succès sur YouTube. Ils ont été créés lors d’ateliers donc ce sont les jeunes qui écrivent et qui tournent. Pour autant, ça a eu un énorme écho et on a commencé à me dire que j’étais réalisateur engagé. Je me définirais pas comme ça, mais c’est sûr que ça me touche. J’ai commencé par de la comédie, là je vais faire des sujets plus graves qui touchent des gens et honnêtement ça me donne envie de continuer dans cette voie-là. C’est ce que j’ai fait avec PD.

C. : Et cinéma « pédagogique » ?

O.L. : « Cinéma pédagogique », je suis pas hyper fan parce que ça ramène le film à une simple pédagogie alors qu’il ne faut pas oublier que c’est avant tout une histoire d’amour. Au-delà du côté homo – d’ailleurs on ne dit même pas s’ils sont homo ou pas dans le film – c’est simplement un gars qui tombe amoureux d’un autre gars qui lui ne l’assume pas, et toute cette toxicité autour de leur relation. Ça reste une histoire d’amour avec des sentiments, des choses complexes, je ne veux pas qu’on la ramène juste à un film militant ou un film pédagogique. J’ai essayé de faire plus que ça, en tout cas.

C. : Ce qui rend le film aussi émouvant, c’est que tout semble venir du cœur. Comment est-ce que tu as travaillé avec tes comédiens pour créer cette charge émotionnelle très forte ?

O.L. : Avec Marc Riso, on s’est vus deux fois à Paris et on a répété, réécrit. Je réécris pas mal avec les comédiens, je les laisse se réapproprier le texte. Je suis pas un réalisateur qui considère qu’une fois que le scénario est écrit, il est figé, bien au contraire. Pour moi c’est important de réadapter le texte avec eux, lors des répétitions, et même le jour du tournage. Tu arrives dans un décor avec une ambiance, une lumière différente, il y a des facteurs qui font que certaines répliques ne vont pas bien passer, donc il faut encore se réapproprier le texte. Par contre, une fois que j’ai fait une prise en plan large et qu’elle est bonne, dans les plans serrés je demande qu’on me dise la même chose avec la même émotion pour que ce soit raccord. Mais je laisse toujours cette liberté aux comédiens au départ.

C. : Tu procèdes aussi de cette manière quand tu travailles avec de jeunes comédiens ?

O.L. : Avec les jeunes comédiens, ce que j’ai fait c’est que dès l’écriture, j’ai fait relire mon scénario par des jeunes de 15-16 ans. On ne peut pas, à 33 ans, écrire des dialogues de jeunes de 15 ans, c’est pas le même langage. J’ai appris des mots avec eux. En faisant des lectures, ils m’ont dit « ça c’est has been, ça se dit plus, Olivier ». C’est hyper important. Je ne suis pas le réalisateur qui va être au mot près, parce que j’ai envie d’un côté naturaliste et que le spectateur croie à ces dialogues, quitte à ce qu’il y ait des chevauchements de phrases, des hésitations, des petits mots en plus.

Depuis sa sortie le 27 décembre 2020 sur Youtube, PD a cumulé plus de 2 millions de vues
C. : Tu as un moment marquant du tournage à nous raconter ?

O.L. : Il y a la scène d’agression dans le recoin caché. Je l’avais fait passer en casting à Jacques, l’acteur qui joue Estéban. Il nous avait bluffés. Il se mettait beaucoup la pression sur cette scène. On l’a tournée l’avant-dernier jour, donc pendant 4 jours il a pas mal stressé et la veille du tournage il m’a dit « j’aimerais bien que tu me la fasses répéter dans la chambre, avec Paul ». On a répété puis il m’a dit « voilà Olivier, demain avec Paul, on a décidé qu’on n’allait pas se parler ».

C. : Et c’est ce qu’ils ont fait ?

O.L. : Quand je suis arrivé le lendemain matin, il y avait une ambiance un peu électrique sur le tournage alors que d’habitude, il y avait des vannes, ça rigolait. Je suis allé voir au maquillage, et Paul et Jacques étaient chacun à un bout de la pièce et ne se parlaient pas. Quand je posais une question, aucun des deux ne me répondait. C’était très très étrange. Mon premier assistant m’a dit qu’ils s’étaient esquivés toute la matinée, même au repas ils s’étaient mis loin l’un de l’autre, ils se sont même pas dit bonjour en se levant alors qu’ils dormaient à côté. Ils se sont vraiment préparés à se détester, à cette confrontation.

C. : Cette préparation a créé quelque chose de spécial quand vous avez tourné la scène ?

O.L. : On a fait plusieurs prises. Au bout de la 6e prise, j’ai laissé tourner la caméra très longuement, quand Jacques part et qu’il laisse Paul tout seul à la fin. J’ai laissé tourner une minute, deux minutes, et là, Paul s’est mis à pleurer sans pouvoir s’arrêter. Il m’a dit qu’il a vraiment ressenti tout le harcèlement, tout le poids de ces choses-là. Il s’est vraiment mis dans le personnage. Il a tellement pleuré que quand je suis allé le voir et que je lui ai dit que c’était super et que j’aurais aimé faire encore une autre prise, il n’a pas réussi à se calmer. Pendant une demi-heure il n’était vraiment pas bien. On a dû arrêter. Pendant cette dernière prise, il y avait ma script à côté qui pleurait, des gens dans l’équipe qui n’étaient pas bien. Il s’est passé un truc très fort dans cette scène, qu’on a faite en plan séquence, on a senti une tension. Les acteurs étaient totalement dans leurs personnages, à tel point que la 6e prise est celle qu’on a gardée au montage, on n’a pas pu en refaire.

C. : L’émotion est aussi portée par la musique, très présente dans ton film. Comment s’est organisé ce travail autour de la bande son de PD ?

O.L. : C’est la première fois que je faisais un film dans lequel dès l’écriture du scénario, j’avais pensé à la musique. J’avais des musiques en tête qui m’inspiraient des séquences. D’habitude on n’a pas le droit de faire ça, mais c’était à tel point que dans le scénario, j’ai mis des passages avec la musique, en disant « telle musique démarre », avec un lien qui menait directement sur YouTube au bon timing. Quand les gens lisaient le scénario, ils avaient déjà la musique en tête.

C. : Pourquoi était-ce si important pour toi ?

O.L. : Pour moi, la musique était une composante, un personnage à part entière dans les séquences. Elle venait vraiment accompagner les émotions. On a pas mal de scènes où on n’a aucun dialogue, où tout se passe dans un regard, dans une émotion. C’était essentiel à tel point que même sur le tournage de la scène du bal, j’ai diffusé deux musiques : une qu’on a pu garder dans le film et une qu’on n’a pas gardée parce qu’on n’a pas pu avoir les droits. Je les ai diffusées toute la journée pendant le bal.

C. : Ça a créé une atmosphère particulière ?

O.L. : Ça a vraiment procuré une émotion aux acteurs, aux figurants. Les acteurs sont venus à la maison il y a encore quelques jours et Jacques me disait à propos de la musique de Rone : « quand je vois la scène, j’entends encore tes « tops ». Parce que sur des notes précises, je leur donnais un « top » au micro, où ils devaient arrêter de s’embrasser, passer la main, tourner la tête légèrement vers la caméra. Il y avait un top pour que la caméra avance. Tout était pensé et très rythmé.

C. : Tu n’as pas pu faire figurer toutes les musiques auxquelles tu avais pensé dans ton film ?

O.L. : Sur les cinq musiques, il y en a deux sur lesquelles on a eu les droits, et les trois autres, on a dû les recomposer spécialement pour le film. Ça s’est vraiment bien passé. Pour la scène du slow, ça a été très compliqué pour moi. J’avais vraiment une musique en tête dont tout le monde s’était imprégné et que tout le monde adorait. On n’a pas eu les droits dessus, mais la nouvelle musique qui a été composée, même si elle a été compliquée à composer, tout le monde en est très content. Et aujourd’hui, plein de gens nous l’ont demandée sur YouTube, à tel point qu’on a même dû sortir la BO du film. Cette musique a pas mal de succès sur YouTube. C’est vraiment super.

C. : Les compositeurs ont complètement réussi à s’imprégner de ce que tu avais en tête au départ ?

O.L. : Complètement. L’un des deux compositeurs a fait quasiment toutes les musiques de mes courts-métrages depuis le début. Il est à la Réunion maintenant donc on compose à distance, ce qui est un peu spécial mais il comprend tellement bien que parfois en deux appels c’est bouclé. Et l’autre compositrice, elle avait 18 ans au moment où je l’ai rencontrée et elle m’a dit dès le départ : « si c’est pour refaire la même musique que celle que tu voulais, ça m’intéresse pas ». Elle voulait mettre sa patte. Elle a vraiment bien perçu ce qui se dégageait dans la séquence du slow, et elle a même rajouté des paroles alors que je n’en avais pas forcément demandé. Un jour elle m’a envoyé une version avec des paroles qu’elle a chantées elle-même, et j’ai dit « wow, c’est génial », et on les a laissées.

C. : Ce que j’ai trouvé très fort et très juste dans ton film, c’est ta manière de représenter l’homophobie, sans forcément de grand éclat, de coups physiques… C’est ça, le sujet de PD : la dangerosité d’une homophobie banalisée, ordinaire et quotidienne ?

O.L. : Oui, c’est ça. Pour moi il y a deux choses. Il y a cette homophobie ordinaire, latente, qu’on a laissé passer. Quand je suis allé chercher des figurants, je suis allé distribuer des petits papiers dans des classes en demandant à des jeunes s’ils voulaient participer à la scène de bal à la fin, et quand j’ai commencé à raconter l’histoire, il y a des gars qui se vannaient entre eux et qui se disaient « ah, tu vas faire le PD ». La prof l’entendait et ne disait rien. Je me suis dit qu’il y avait un vrai problème, parce que si on laisse passer ce mot, on banalise le fait qu’on peut l’utiliser à tout va, et ça donne ce qui arrive en ce moment, c’est-à-dire que c’est l’insulte la plus utilisée, et donc ça donne ce qui est dit dans le film. Donc oui, il y a cette homophobie latente.

C. : Et la deuxième face de tout ça ?

O.L. : Il y a aussi la psychose. Je pense par exemple à la toute première scène où Thomas est en cours : il y a les gens qui le regardent en se retournant vers lui. J’ai fait exprès qu’on n’entende pas ce qui est dit dans les chuchotements, parce que si ça se trouve, peut-être que la fille qui le regarde dit juste à sa copine « regarde sa veste, elle est cool, j’aimerais bien avoir la même ». Ou peut-être qu’elle dit « t’as vu, il paraît que c’est lui le PD ». Ce qui m’intéressait, c’est de se dire qu’après, on est dans cette psychose, à se demander si on ne pose pas un regard différent sur nous. Il y a cet espèce de mal-être qui est quotidien. Or, il y a des gens qui nous regardent vraiment mal, mais il y a peut-être aussi des gens qui nous regardent juste pour autre chose. C’est encore pour ça que j’ai voulu que le prof rappelle qu’il faut juste regarder les homos comme n’importe qui d’autre en fait, puisque c’est n’importe qui.

C. : À la fin du film, au moment du baiser, tout le monde les regarde et puis finalement, retourne à sa danse. C’est ça aussi que tu as voulu représenter, le fait que finalement tout le monde accepte ?

O.L. : La fin est un peu onirique. C’est volontaire parce que je voulais envoyer un message positif. Heureusement parce que dans les temps qui courent, ça m’aurait embêté qu’on finisse sur un ton dramatique. Souvent les films LGBT finissent assez mal. Je voulais une note positive et simplement dire aux gens « vous voyez, juste en faisant ça, et ce n’est pas grand-chose : détourner un regard ou laisser tranquille des gens, vous faites beaucoup de bien, et beaucoup plus que ce que vous pourriez penser ». C’est un simple geste mais qui pour moi est énorme : ces homophobes qui au départ faisaient des vannes dans les vestiaires ou en cours et étaient les premiers à dire le mot « PD », le simple fait qu’ils laissent faire, ça demande très peu d’efforts, mais c’est un geste énorme. C’était ça le message de fin, c’est sur ça que je voulais que le spectateur reste.

C. : Ce qui m’a le plus émue, c’est la manière dont tu montres le besoin viscéral, quand on ne correspond pas à la « norme hétérosexuelle », d’avoir des modèles, et à quel point c’est salvateur de voir que l’on n’est pas seul. Je pense notamment au moment où Thomas suit un couple de deux hommes pour leur demander « Comment vous faites ? » ou au prof d’histoire qui dit qu’il est « PD ». C’est l’un des buts de ton film, donner des repères, faire que l’homosexualité fasse de plus en plus partie de nos horizons ?

O.L. : Il n’y a pas d’adultes dans le film, à part ces trois adultes-là. Je voulais qu’on soit vraiment avec ce personnage, dans son microcosme du lycée, avec ses codes, entre ses quatre murs. Je voulais qu’on soit prisonniers avec lui dans cet univers entre jeunes dans lequel les adultes n’existent pas parce que c’est un âge à partir duquel on commence à penser par soi-même et on se détache un peu des adultes. Finalement, les seuls repères adultes qu’il va y avoir dans le film sont des repères dans lesquels il peut se représenter plus tard.

C. : Par exemple ?

O.L. : Il y a notamment ce couple d’homos qu’il croise dans la rue. Il se dit « ben tiens, eux finalement ils ont l’air pas trop mal ». Quand il va les voir, il leur demande comment ça se passe pour eux. Et ils ont un discours assez mitigé, ils lui disent : « ouais, ok, on ne va pas non plus te mentir, ça ne va pas non plus être la grande joie ». Je voulais cette nuance. Je ne voulais pas non plus un film happy end où on dit « t’inquiète, après le lycée, tout va bien ». Non, ce n’est pas le cas. Moi-même aujourd’hui, après 22h, je ne tiens pas la main de mon copain dans la rue.

C. : Tu voulais quand même faire passer un message d’espoir ?

O.L. : Oui, en même temps je voulais quand même que ce message soit positif parce que le personnage n’est pas capable de se projeter dans 10 ans. C’était important pour moi de montrer aussi aux jeunes qu’il y a de l’espoir : oui, on peut s’assumer, on peut sortir dans la rue, il y a peut-être des gens qui vont mal nous regarder comme c’est le cas dans le film avec les mecs qui sont dans le bar, mais on s’en fout en fait, faut avancer et pas s’arrêter sur chaque regard. Ou alors les regarder droit dans les yeux et leur dire du regard qu’on les emmerde. Comme ce que font les deux personnages principaux à la fin du film quand ils regardent le public. Pour moi le message c’est « on s’assume, on sait pas comment vous nous regardez, mais en tout cas, nous, on est comme ça ».

« Il faut les regarder droit dans les yeux et leur dire du regard qu’on les emmerde. »
C. : PD est un film qui a un pouvoir libérateur : tu reçois des témoignages de personnes de tout âge qui auraient aimé avoir des modèles comme celui-là plus tôt. C’est quoi, toi, les œuvres qui t’ont servi de repère, qui t’ont donné de la force, de l’énergie, et ont libéré ton envie de créer ?

O.L. : Je pense que ça a été des films de Xavier Dolan. C’est un réalisateur qui a à peu près le même âge que moi et qui a déjà fait sept ou huit longs-métrages. C’est un repère dans le sens où c’est un gars qui a commencé à faire des films très tôt, avec ses tripes, où on sent que même si c’est parfois maladroit, y a beaucoup de choses qui viennent du cœur. Et il y a aussi, un peu comme dans PD, des envolées pop, clippesques avec de la musique très présente, parfois très populaire, et ce sont des choses dans lesquelles je me retrouve. Il y a quelque chose de très dialogué, avec beaucoup de scènes auxquelles j’ai cru. Je me suis beaucoup repéré dedans. Il faisait des films qui parlaient d’homosexualité notamment masculine. Ça a été les premiers films que j’ai vus à un moment de ma vie où je me suis posé des questions donc ça m’a beaucoup aidé.

C. : Tu as eu d’autres repères ?

O.L. : Il y a aussi eu une série, il y a 4 ans, qui m’a beaucoup chamboulé. C’est la série Skam (la série norvégienne, j’insiste) dans laquelle j’ai trouvé en termes de direction d’acteurs et de propositions de mise en scène des choses que je n’avais jamais vues avant. Ça a été aussi très déterminant dans mon écriture et dans la réalisation de PD. C’était une direction d’acteurs avec quelque chose de très naturaliste, des personnages avec lesquels on a l’impression d’être H24 tellement ils sont criants de vérité. Il n’y avait pas de surdramatisation, il y avait toujours quelque chose de très sur le fil, très réaliste. J’ai trouvé ça génial.

C. : Pour terminer, c’est notre question signature chez Arty Magazine : quelle est ta définition d’un artiste ?

O.L. : Je pense qu’on est tous des artistes mais qu’on ne le sait pas forcément, ou qu’on ne l’exploite pas tous dans notre vie. Un artiste, c’est quelqu’un qui s’est, à un moment de sa vie, emparé de la possibilité de créer et de faire les choses que chacun de nous peut faire. Quelqu’un qui va trouver la force de mener ses projets artistiques, et de dire à tout le reste « je laisse ça de côté et je vais à fond dans ce que j’ai envie de créer, et j’y mets toutes mes tripes, et j’y mets une bonne partie de moi, et ça va être difficile et je vais avoir des doutes et je vais vouloir revenir en arrière mais je vais y aller à fond ». Ça pour moi, c’est un artiste. C’est quelqu’un qui propose, et qui va au fond des choses, qui prend des risques et qui s’empare de cette possibilité qu’on a tous de pouvoir créer.

C. : Dans quoi est-ce que tu mets tes tripes en ce moment ?

O.L. : Je travaille sur un projet de série, sur les mêmes thématiques que PD, mais dans un univers plus futuriste, une société d’anticipation avec des technologies plus évoluées et un gouvernement d’extrême-droite. Qu’est-ce que ça donnerait, dans ce contexte, d’être homosexuel, de se cacher, de se découvrir ?

Olivier Lallart est sur Instagram.

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