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Interview : Emma Birski, un arc-en-ciel dans l’objectif

Interview : Emma Birski, un arc-en-ciel dans l’objectif

Anoussa Chea
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Rencontre avec Emma Birski, la jeune photographe qui irradie de couleur et d’onirisme le milieu arty parisien.

Si tu étais connecté à Arty Magazine pendant le confinement, tu te souviens probablement de la contribution d’Emma Birski à notre rubrique S’en Sortir Sans Sortir. Mais si son nom ne te dit rien, ses photos te parleront à coup sûr.

Un univers hyper coloré et bucolique dans lequel une grande liberté s’exprime, son travail a été aperçu en couv’ de Technikart et Mosaïque, dans les couloirs du métro pour L’Impératrice, ou plus récemment pour la pochette du dernier album de Voyou. Et ce n’est qu’un échantillon de ses très nombreuses collaborations.

Rencontre avec une photographe à l’univers bien marqué et identifié, qui sait ce qu’elle veut et ne veut pas, au franc-parler direct et sans concession. Cet entretien a été l’occasion de revenir sur son cursus et sa forte sensibilité artistique, d’aborder sa passion pour Damon Albarn, mais aussi la santé mentale et ses prochains projets.

La série Amour toujours s’inspire de l’esthétique de The Grand Budapest Hotel © Emma Birski
Anoussa : Salut Emma. Commençons par le commencement, quel est ton premier souvenir photographique ?

Emma Birski : C’est compliqué comme question ! Je pense que mon premier souvenir remonte au moment où j’ai eu mon premier appareil vers 11/12 ans. C’était un Coolpix rose. Je faisais des photos moches pendant mes vacances, des gros plans sur du sable et j’étais persuadée d’être une artiste (rires).

A. : Quel a été le déclic pour devenir photographe ?

E. : C’est plutôt ma mère qui a eu ce déclic pour moi. Au lycée, j’aimais faire des portraits de mes potes avec un Reflex que je piquais à ma mère. Je séchais beaucoup et les cours étaient un désastre. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Ma mère m’a dit de faire un Bac pro photo, et j’ai suivi son conseil.

A. : Quel a ensuite été ton parcours ?

E. :  Le Bac pro était supposé m’apprendre à faire des photos en studio, mais ça a été le contraire. Ça m’a dégoûtée du studio. Pendant des années, je n’ai pas fait de studio parce que je pensais que c’était aussi compliqué que ce que l’on nous avait appris en cours. Trop technique, trop chiant, pas assez artistique. Ensuite, j’ai fait un BTS qui était aussi trop technique. C’est ultra stressant de te noter sur ces aspects techniques, alors que tu peux maîtriser par ailleurs la dimension artistique. On te note sur des choses qui n’ont finalement rien à voir avec la photo.

A. : Tu as également fait les Gobelins. Quelle expérience en as-tu tiré ?

E. : Les Gobelins est une école pour les gens qui ne savent pas quoi faire en photo. Moi, je le savais déjà. À titre personnel, et c’est seulement mon avis, j’ai perdu 1 an aux Gobelins et cela ne m’a rien apportée. Au contraire, ma phobie scolaire, déjà présente, a empiré. J’ai perdu 21,000 euros avec mon prêt étudiant. Je ne suis pas sortie de l’école avec des contacts. Par contre, ça peut être utile pour certaines personnes, d’autant que les Gobelins est une bonne école d’animation 3D, pas seulement pour la photo. Les écoles de photo t’apprennent à être un technicien plus qu’un.e artiste.

A. : Et quid de l’aspect artistique ?

E. : Le développement et de la sensibilité artistique ne s’apprend pas en cours. C’est à toi de t’éduquer en regardant des films, en trouvant de l’inspiration, en suivant d’autres photographes. Ça vient au fur et à mesure mais ce n’est pas une école qui va te l’apprendre. Pour les bases, tu peux facilement les apprendre sur Internet. J’ai eu la chance d’avoir un papa qui s’intéressait à la photo et à la technique. C’est lui qui m’a appris les bases, comme par exemple la vitesse d’obturation, les ISO…

A. : Te rappelles-tu de tes premières sources d’inspiration ?

E. : Quand j’étais petite, j’ai beaucoup regardé Tim Burton et la série Pushing Daisies qui parlait d’un pâtissier qui ramenait les morts à la vie en les touchant du bout des doigts. Le pâtissier finit par tomber amoureux d’une fille qu’il ramène à la vie sans le faire exprès. L’univers de la série est incroyable, les couleurs sont ultra saturées et colorées. Ca m’a beaucoup inspiré et influencé.

A. : Quel est ton rapport à l’image, que cherches-tu à transmettre ou à véhiculer ?

E. : Je veux juste véhiculer de la beauté. Que les gens se disent « cette image est belle ».

© Emma Birski
A. : Dans une précédente interview, tu as déclaré « Je savais déjà ce que je voulais prendre en photo : des portraits, de la mode et des groupes de musique »…

E. : Quand il n’y a pas d’humains sur la photo, j’ai l’impression que l’image n’est pas vivante et qu’il manque quelque chose. J’ai envie qu’il y ait un dynamisme dans la photo qui est apporté par des humains. Mais un photographe comme Jonathan Bertin qui fait beaucoup de photos de voyage et de reportages lifestyle, est pour autant très fort. Ses images sont de vrais tableaux. Respect à Jonathan !

A. : Quels seraient les 3 adjectifs qui définissent ton travail ?

E. : Je ne suis pas la bonne personne pour décrire mon travail car je ne suis jamais satisfaite. Je pourrais quand même dire que mon travail est coloré. J’insiste là-dessus parce que parfois, certains clients me contactent pour me proposer des shootings sur fond gris par exemple ; et je me demande s’ils ont bien regardé ce que je faisais. Le second adjectif serait « Liberté », parce que je n’arrive pas à faire des images sous contrainte. Sur des shootings, il m’arrive de complètement changer d’avis, de ne pas respecter le moodboard ou de ne pas en avoir, parce que je fais beaucoup à l’improvisation. Et enfin « poésie », parce que les gens décrivent souvent mon travail comme étant onirique.

A. : As-tu une série ou une photo dont tu es particulièrement fière ?

E. : Je peux être très fière d’une série après les retouches mais ce sentiment passe très vite. Une semaine après, je peux regarder cette même série et me dire que j’aurais pu faire mieux.

 

La photo de Marion Séclin, qui a le plus tourné, a été prise en impro totale. On voulait shooter sous l’eau. En post-production, j’ai ajouté des poissons, ce qui n’était pas prévu. Des années après, je trouve que le rendu paraît toujours aussi réaliste. Je me demande encore comment les poissons ont été aussi bien incrustés. Cette photo est toujours en accord avec mon univers et la retouche est propre.

Marion Séclin prise en photo par Emma Birski « Des années après, je trouve que le rendu paraît toujours aussi réaliste. Je me demande encore comment les poissons ont été aussi bien incrustés. » © Emma Birski
A. : Qu’est-ce que tu aimes le plus dans la photo ?

E. : Créer des univers pour chaque personne. Je vais peut-être paraître un peu imbue de ma personne, mais j’aime bien être reconnue en tant qu’artiste et non en tant qu’exécutante. Avec la photo, je suis dans l’ombre mais en même temps, je décide de tout et je commence un peu à me faire une place.

A. : Quels sont les autres artistes avec lesquels tu rêverais de travailler ?

E. : Shooter des artistes que j’écoute et dont je suis fan. Je suis contente d’avoir shooté L’impératrice et Voyou, je les écoute beaucoup. Mais j’aimerais shooter d’autres artistes avec des univers aussi ultra définis comme Redcar (Christine And The Queens), Juliette Armanet, Clara Luciani, où il y a une vraie direction artistique marquée.

Voyou au milieu des fleurs et sous l’objectif d’Emma © Emma Birski
A. : On a un gros point en commun : notre passion pour Damon Albarn ! Si tu pouvais le shooter, as-tu une idée du set que tu lui proposerais ?

E. : Si j’ai carte blanche, j’ai trop envie de le mettre dans mon univers avec des couleurs, des fleurs et des plantes partout. Mais honnêtement je ne préfère rien imaginer, si j’ai la chance de pouvoir le shooter, ça ne sera sûrement pas dans ces conditions. Ça sera un portrait pris en 5 minutes.

A. : Quels sont les projets où tu t’épanouis le plus ?

E. : Ce sont mes projets personnels, qui sont autofinancés, où je choisis la DA, le thème, le stylisme, qui m’éclatent le plus, même si c’est compliqué car parfois je dois tout faire toute seule.

A. : Concernant l’usage que tu fais de ton compte Instagram, j’aime bien les nombreux coups de gueule et messages que tu fais passer pour dénoncer certains comportements irrespectueux (droits d’auteurs non respectés, rémunérations du photographe, relation avec les clients) …

E. : C’est marrant que tu me dises ça parce qu’il y a plein de gens qui détestent. Je me suis calmée parce que c’était trop mal vu. Parfois, j’ai l’impression d’être une marchande de tapis. Les tarifs sont toujours ramenés à la baisse et cette discussion ne devrait même pas avoir lieu. Si tu veux plus de photos, on peut s’arranger mais il faut payer plus. Ça se passe toujours comme ça et avec tout le monde. Je pense que cela est dû au fait que j’ai souvent à faire à des productions qui ont un budget donné à répartir et c’est souvent sur le photographe, le stylisme ou le maquillage qu’ils essaient de grappiller. En fait, sur tout ce qui est artistique et visuel.

 

Maintenant, j’ai un agent qui est derrière moi, qui me rassure et qui est là pour gérer mes états d’humeur. Avant, quand j’avais une montée d’angoisse, il n’y avait personne pour me faire redescendre.

Un shooting que ne renierait pas Jacquemus © Emma Birski
A. : La santé mentale est un sujet que tu abordes dans tes stories de manière récurrente. Pourquoi ?

E. : C’est un sujet actuel. Beaucoup de gens en souffrent mais n’en parlent pas, moi la première. C’est thérapeutique d’en parler.

A. : Tu as également communiqué sur un projet perso autour de ce sujet. Peux-tu nous expliquer de quelle manière il s’exprimera ?

E. :  C’est un projet qui est toujours en cours de construction. Je vais interviewer 20 personnes atteintes de troubles psychologiques. Il y a cette question que je pose « Comment visualiserais-tu ton trouble ? » et qui aboutira sur un moodboard propre à chacun, pour prendre une photo en rapport avec le ressenti de la maladie et l’univers de la personne. Je construis vraiment un univers et un décor.

 

Le but est de faire une expo, sortir un livre et faire de l’affichage sauvage à Paris avec des photos issues de la série. J’aimerais aussi qu’il y ait des QR codes qui mènent vers des liens pour sensibiliser à la santé mentale. Je vais devoir faire une campagne de crowdfunding avec un objectif de 10 000 euros pour couvrir les tirages de l’expo, payer les éventuels set designers, le lieu qui accueillera l’expo, l’affichage sauvage, l’éditeur et l’impression du livre.

A. : Peux-tu nous parler de Marelle, ce compte instagram que tu viens de lancer ?

E. : Pour l’instant, j’ai créé ce compte Insta sur lequel je poste régulièrement des photos d’inspiration de photographes, de créateurs de mode, de designs graphiques. L’objectif est d’atteindre les 1000 followers. J’ai créé un Discord avec des personnes qui sont intéressées pour écrire des articles sur des designers par exemple. Là, on va sortir deux interviews de deux jeunes créateurs auxquels j’ai proposé de shooter leurs pièces pour illustrer les interviews. Ensuite, j’aimerais ouvrir un site web. Mais, j’ai besoin d’avoir des rédacteurs qui veulent écrire sur la mode, les photographes ou des sujets d’actualité. J’adorerais aborder la Fashion Week car c’est un milieu que j’adore et vers lequel je voudrais m’orienter. Et à terme, quand il y aura assez de gens qui suivront le projet et qui seront intéressés, j’aimerais faire un magazine papier auto-produit.

A. : Pour terminer, quelle est ta définition d’un.e artiste ?

E. : C’est quelqu’un qui a une imagination de fou, et qui fait tout pour créer ce que son imagination lui dicte.

Retrouvez Emma Birski sur Instagram.

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