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Interview : À la rencontre du peuple rwandais dans le sublime photo-reportage de Sandjill

Marin Woisard
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Peintre et photographe virtuose, Sabrina Forte (Sandjill) nous emmène à la découverte du peuple rwandais dans un photo-reportage aussi tendre qu’éblouissant. Son vernissage a lieu jeudi 19 septembre à partir de 18h à l’Impasse.

Un coup de cœur en amène souvent un autre. Notre premier béguin est artistique, et porte le nom de Sandjill. L’artiste s’est faite connaître pour ses couvertures d’album de Majeur Mineur, Dune et Sam Dian. Sa capacité à mêler photographie et peinture dans des œuvres texturées témoigne d’un travail en constant mouvement, qu’elle tient de l’enseignement expressionniste. Après avoir participé à deux de nos expositions collectives, en 2016 à l’Hôtel Particulier puis au début de l’année au Studio Human Paris, l’artiste signe un premier photo-reportage splendide.

« Chuchotements au Rwanda » est le premier photo-reportage de Sandjill

Notre seconde déclaration d’amour va au Rwanda et son peuple, qui après l’épreuve du génocide a su se relever avec une dignité sans pareil. Jusqu’à maintenant, seuls les récits saisissants de Gaël Faye nous permettaient de figurer ce « Petit Pays ». Vingt-cinq ans après le drame, le photo-reportage de Sandjill nous révèle les regards lumineux et les vastes paysages de la province rurale de Karembo. Les évocations littéraires prennent forme dans un nuancé de couleurs et de clair-obscur, témoin d’où la vie s’est arrêtée et d’où la vie a repris.

Marin : Hello Jill. Qu’est-ce qui t’as poussé à partir au Rwanda plus qu’ailleurs ?

Sandjill : Début 2018, j’ai fait plusieurs rencontres qui m’ont marqué. Jusqu’à alors j’avais beaucoup voyagé mais jamais en Afrique subsaharienne que j’ai eu envie de découvrir. J’avais tout de même en tête un cadre précis, à la fois de participer à une mission locale mais surtout de vivre avec les habitants. Deux missions m’ont été proposées et j’ai été très vite séduite par celle au Rwanda. L’idée d’effectuer une mission dans l’agro-écologie m’a plu par son caractère ludique et authentique mais aussi dû aux enjeux mondiaux actuels. J’étais très attirée par ce petit pays aux « mille collines » loin des clichés que l’on se fait de l’Afrique, et par son histoire et son héritage.

Marin : T’étais partie avec une idée précise en tête ? Les textes de Gaël Faye avaient influencé  ta vision de ce « petit pays » ?

Sandjill : Je suis partie dans l’inconnu total, je n’avais aucune idée en tête. C’est aussi cet inconnu qui me plaisait. J’ai commencé à lire plusieurs livres sur le Rwanda avant et pendant mon voyage, dont bien sûr « Petit Pays » qui avait une résonance bien particulière.

Marin : De quoi était fait ton quotidien une fois là-bas ? As-tu une anecdote particulièrement marquante ?

Sandjill : J’étais dans un petit village nommé Karembo, à deux heures de la ville et à 15 minutes en vélo de la ferme dans laquelle je travaillais. Mon quotidien ressemblait un peu à ça : Réveil chaque matin vers 7h, il fait encore brumeux mais la vue est magnifique, je prends mon petit déjeuner avec Liberata. Vers 8h je suis à la ferme, je travaille sur son développement et surtout sa communication. Il y a des moments de partage avec les locaux qui travaillent là-bas et m’expliquent ce qu’ils font avec passion. Vers midi je retourne à la casa, où des plats délicieux m’attendent [NDLR : grand smile], je déjeune et puis grosse sieste… La sieste est très importante là-bas (rires).

Vers 14h je retourne travailler à la ferme ou bien je travaille sur l’ordinateur depuis la maison. Les après-midis plus chill, Jean-Claude, mon référent à l’association, m’emmène découvrir la région. Le soir, on part parfois boire une bière dans le seul restaurant du village, où on ne mange que des brochettes de chèvre mais qui sont délicieuses. C’est « the place to be »… Et la seule à vrai dire (rires) ! Le soir, c’est très calme dans le village, donc je bouquine et je dors assez tôt. Quant aux week-ends, je pars découvrir d’autres régions du Rwanda dont la capitale, Kigali.

Sandjill : Plusieurs anecdotes m’ont particulièrement marqué et ont d’ailleurs inspiré les textes qui accompagnent mes photos. Mais celle qui me vient en tête s’est passée le premier week-end où je suis arrivée. Pendant mon séjour, je vivais dans une maison avec une religieuse nommée Liberata. Liberata m’aidait pour les courses et cuisinait pour moi, c’était un peu ma « maman » là-bas. À mon arrivée, Liberata m’avait prévenu qu’elle serait là tous les jours sauf le dimanche pour aller à l’église. Les premiers jours, même si nous n’échangions pas beaucoup de mots à cause de la barrière de la langue, une certaine complicité s’était déjà créée. N’ayant rien prévu ce week-end, je lui ai proposé de l’accompagner à l’église, et n’étant pas sûre qu’elle ait bien compris mon langage approximatif, je me suis réveillée le lendemain à 6h, histoire d’être sûre de ne pas louper son départ.

Ravie que je l’accompagne, on a quitté la maison à l’aube, on a marché, on a traversé tout le village, puis un second village, et plus on avançait, plus une foule de villageois apprêtée se joignait à notre foule. On devait être une centaine de personnes à nous diriger vers la même destination. C’était un moment assez magique, tout le monde chantait, se saluait gaiement, demandait des nouvelles de telle ou telle personne. Je ne parlais pas beaucoup mais je souriais à plein de nouveaux visages accueillants, tout en observant le soleil qui se levait. Nous sommes arrivées presqu’une heure et demi plus tard, la paroisse était remplie, dedans et dehors. Cette traversée est restée dans ma mémoire comme un moment de quiétude un peu hors du temps.

Marin : Quel(s) appareil(s) as-tu utilisé pour les photos ?

Sandjill : Un numérique Canon EOS 700D et un argentique Canon. De base je bosse avec un appareil hybride, le Lumix GX8, mais je l’ai cassé 4 jours avant mon départ… Parfait timing. du coup il est parti en réparation 😢 (rires).

Marin : Pourquoi ce choix de la couleur et du noir et blanc ?

Sandjill : J’aime travailler le contraste, je trouvais intéressant de lier la légèreté de la couleur à la puissance du noir et blanc. La couleur me donne une impression de spontanéité et d’immersion, là où le noir et blanc magnifie d’une manière plus saisissante un moment figé dans le temps. Alterner les deux m’a permis de délivrer des émotions différentes. Les couleurs au Rwanda sont si puissantes : le vert des collines, la terre rouge, la poussière orange, que shooter certains clichés en couleur était une évidence.

Marin : Quelle était ton approche du photo-reportage sachant que les deux formats du portrait et du paysage se distinguent en se complétant ?

Sandjill : À vrai dire, j’ai commencé au début à prendre des photographies des personnes avec qui je travaillais à la ferme, puis je me suis retrouvée à me lever le matin à 5h en entraînant Liberata avec moi, pour prendre en photo les personnes qui travaillaient dans les champs. Je prenais des photographies dans le bus, des photographies de fleurs pour Jean-Claude, des photos des animaux à la ferme… En fait l’idée était de prendre tout ce qui avait du sens pour moi, tout ce qui m’entourait, tout ce qui était en vie.

La complémentarité s’est faite après, avec du recul pour raconter une histoire avec différents angles.

Marin : Comment vois-tu cette expérience maintenant, avec le recul de ton retour en France ?

Sandjill : J’ai retenu énormément de choses, j’ai beaucoup appris là bas, sur leur culture, leur histoire, les fondements et le savoir-faire de l’agro-écologie. Mais j’ai surtout retenu que le PARTAGE ne passe pas forcément par des mots, j’ai appris que des liens peuvent se faire sans parler. J’ai aussi appris qu’en regardant, en observant vraiment ce qui nous entoure, on y voit d’autres choses, qu’il faut écouter, les gens, comme le bruit. J’ai énormément appris parce que je suis sortie de ce que je connaissais, pas seulement de par le contexte, mais aussi de ce que je connaissais de moi-même. Enfin pour finir, leur histoire marque l’essence du pardon et ça m’inspire beaucoup au quotidien.

CHUCHOTEMENTS AU RWANDA

Jeudi 19 septembre de 18H à 02H
L'impasse, 4 cité Griset 75011 Paris
Entrée Libre

Événement Facebook
Merci Sandjill. Retrouvez l’artiste sur Instagram.

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