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« Madres Paralelas », le faire-part féministe de Pedro Almodóvar

« Madres Paralelas », le faire-part féministe de Pedro Almodóvar

Luis Jachmann

Acclamé en ouverture de la Mostra de Venise, le nouveau film d’Almodóvar, Madres paralelas, sort enfin en salles. Deux ans après le succès de Dolor y gloria, le cinéaste espagnol le plus important du cinéma contemporain offre de nouveau un portrait intime de femmes fortes.

Deux femmes à deux stades différents de leur vie se trouvent dans la même chambre à l’hôpital. Ce qui les unit : elles attendent toutes deux leur premier enfant et le père ne sera pas présent à la naissance. L’enfant est un accident – c’est ce qu’elles disent elles-mêmes.

Ce qui les différencie : Janis a à peine 40 ans et est au milieu de sa vie professionnelle. Elle est photographe publicitaire à succès. Sa liaison avec un charmant anthropologue, Arturo, n’était pas destinée à avoir des enfants ensemble. La deuxième future mère, Ana, est encore mineure lorsqu’elle sort avec des amis d’école et qu’un des adolescents la viole. Elle souhaite toutefois garder l’enfant. Ses parents refusent la naissance hors mariage.

Penélope Cruz utilisait durant le tournage une poupée en tant que substitut du bébé. Lorsque l’équipe lui prenait cette poupée, l’actrice refusait de l’abandonner : « Ça me faisait peur. […] je devenais folle. C’était mon bébé. »

Tout sur mes mères

Janis et Ana, les deux futures mères interprétées par Penélope Cruz et Milena Smit, sont livrées à elles-mêmes – ensemble à l’hôpital. Au moment du grand bonheur, mais aussi du plus grand effort, quelques instants suffisent à faire naître une relation particulière entre les deux. Mais même après l’arrivée de leurs filles, les deux femmes restent en contact. Le temps passé ensemble à la maternité va les rapprocher de manière tragique.

Pedro Almodóvar ajoute à l’histoire de ces deux mères un autre fil narratif, essentiel pour comprendre le personnage de Janis, la mère aînée. Elle fait la connaissance d’Arturo lors d’une séance photo pour un magazine. D’une part, leur liaison se développe, d’autre part, il l’aide dans une mission de vie : elle veut rendre hommage à ses arrière-grands-parents, assassinés pendant la guerre civile espagnole et enterrés dans une fosse commune. Arturo retrouve le lieu du crime remontant à 1936. Cette dimension politico-historique de la deuxième histoire confère une profondeur inattendue à Madres Paralelas et place la naissance de la fille de Janis dans un contexte familial : sa mère est morte quand Janis avait cinq ans, laissant sa grand-mère l’élever.

Dans le rôle de Janis, Penélope Cruz incarne en quelques gestes et autant de regards une mère souveraine qui, dans le même temps, cache ses doutes et ses peurs tantôt avec habileté, tantôt avec maladresse. Ana, de vingt ans sa cadette, interprétée par la révélation Milena Smit, forme un contraste intéressant. Au cours des 123 minutes riches en événements, Ana connaît une évolution qui est également due à un tournant tragique. Au début, l’entourage des deux mères, qui les confronte à la question de l’avortement, provoque ponctuellement des scènes conflictuelles. Mais le grand désarroi et la tragédie du film résultent surtout de la relation ambivalente entre Ana et Janis, comme de l’amour infini qu’elles portent à leurs filles.

« We should all be feminists » porte en toutes lettres le message tacite du film, et plus généralement, du cinéaste Almodóvar depuis ses débuts

Entraves brisées

Almodóvar place habilement les deux protagonistes dans la lumière, en parsemant régulièrement le film de portraits de Penelope Cruz et Milena Smit qui habitent tout l’écran. Ainsi, il donne l’espace nécessaire à leurs personnages pour qu’elles puissent suivre leur chemin de découverte de soi. La scène initiale de l’accouchement reflète déjà le paradoxe de ce moment central : Almodóvar met en scène la naissance pour ce qu’elle est, une alternance constante entre des efforts douloureux et un grand bonheur.

Avec ce dernier film, le vénérable maître espagnol construit des mondes de vie moderne et s’oriente vers le précepte de l’amour libre. Il réussit à embrasser une vision intime de femmes fortes qui suivent imperturbablement leur chemin – sans se laisser détourner de leurs décisions. Almodovar partage ce message de nombreuses manières – parfois même de manière très directe, par exemple quand Janis porte un T-shirt avec l’inscription : « We should all be feminists. »

Madres Paralelas est une tragédie complexe qui résume diverses formes de vie de mères célibataires, à travers deux trajectoires à la fois croisées et distinctes. Si quelques liens paraissent parfois tirés par les cheveux, la vision d’ensemble n’en pâtit pas pour autant.

MADRES PARALELAS
Réalisé par Pedro Almodóvar
Avec Penélope Cruz, Milena Smit, Aitana Sánchez-Gijón…
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