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« Babylon », une ode flamboyante au septième art

« Babylon », une ode flamboyante au septième art

Thierry Champy

Le cinquième film de Damien Chazelle marque le retour étincelant du réalisateur. Fruit de quinze ans d’écriture et de recherches, Babylon est considéré comme le film le plus attendu de 2023. En tout cas, il a déjà marqué les esprits de la cérémonie des Golden Globes, qui aura lieu le 10 janvier prochain, en obtenant cinq nominations, dont les catégories « meilleur film musical ou comédie » et « meilleure performance pour une actrice » pour Margot Robbie. Vivement le 18 janvier prochain pour sa sortie en salles.

Début du XXe siècle. Los Angeles, Hollywood. L’argent coule à flot. L’industrie cinématographique bat son plein. À travers cette ère de décadence et de dépravation sans limites, on y suit l’ascension et le déclin de l’acteur Jack Conrad (Brad Pitt), de la star Nellie LaRoy (Margot Robbie), du réalisateur Manny Torres (Diego Calva), du trompettiste Sidney Palmer (Jovan Adepo) et de la danseuse Lady Fay Zhu (Li Jun Li).

L’euphorie des années folles.

Hollywood, city of stars

En plein désert, au milieu de nulle part, Manny, un jeune homme d’origine mexicaine, et son employeur tentent de transporter un éléphant. Quelle idée ! Une commande à priori. Sauf qu’en plein chemin, l’arrière de la voiture s’effondre. Mais, le sens de la débrouillardise du jeune travailleur le mène à destination. À un manoir manifestement. Le volume sonore disproportionné aiguise la curiosité du protagoniste. La nôtre aussi. Et le décor est planté.

À l’entrée, la morosité et la fastidiosité sont proscrits. À l’intérieur, dans cette bamboche au rythme effréné du trompettiste Sidney Palmer, c’est tenue correcte exigée, explosion de confettis, champagne et martinis à gogo, consommation excessive de drogues et orgie sexuelle… autant d’éléments triviaux qui manifestent l’excès et la démesure. Imaginez le banquet du Satyricon à l’époque de Gatsby le magnifique. L’antre des pécheurs est franchie. Parallèlement, le public assiste à trois entrées de scène : celle de Jack Conrad, costume avec nœud papillon au cou et lunettes de soleil ; l’entrée magistrale, quoi que ratée, de Nellie Laroy, dotée d’un charme inouï et l’entrée sensuelle de Lady Fay Zhu. Sans oublier celle de l’éléphant, sans équivoque à celle d’Alexandre le Grand. Bim bam boum. Fin du prologue. Bienvenue à Babylon.

Sous le soleil implacable d’Hollywood, univers impitoyable dans lequel la loi glorifie le plus fort, les producteurs jettent de la poudre aux yeux des âmes crédules dont les esprits sont obnubilés par la notoriété. Pour Nellie LaRoy, Manny Torres, Sidney Palmer et Lady Fay Zhu, les dés sont lancés. Face aux différents vices auxquels ils seront confrontés, le fatum est inéluctable. L’ascenseur émotionnel est en marche avec tout le drame qui s’ensuit accessoirement. Contrairement à ses contemporains qui ont abordé la même thématique (on pense à Quentin Tarantino avec Once Upon A Time In Hollywood et Michel Hazanavicus avec The Artist), le réalisateur de La La Land expose de manière plus approfondie l’apogée de leur gloire jusqu’au déclin abyssal des protagonistes vivant dans cette cité qui ne redoute que la mort.

Un Vodka Martini, s’il vous plaît.

Voyage au pays du septième art

Damien Chazelle transpose le mythe de Babylone dans l’univers onirique et intransigeant d’Hollywood. Il a fallu plus de quinze ans de recherches dans les annales des studios de cinéma afin de recréer cette ambiance authentique. Merci à Paramount Pictures. « L’objectif que nous avions tous était de réaliser une grande épopée américaine sur les débuts d’Hollywood » précise le producteur Matthew Plouffe dans une interview. Cette observation aboutit également à un constat : Hollywood était plus libre qu’il n’y paraît.  » La réalité, c’est que ces gens évoluaient dans un monde où tous les coups étaient permis, où une industrie et une ville entières étaient construites à partir de rien, et cela demande une certaine forme de folie » affirme le réalisateur.

Hormis ce travail remarquable de reconstitution, la force du réalisateur de Whiplash réside dans son storytelling. Il nous lance à son tour de la poudre aux yeux. Damien Chazelle nous transporte, avec enchantement, dans son univers jazzy et nous offre un panorama des studios de cinéma d’antan. Au-delà de cette mise en abyme, le spectateur vit les années folles et l’Hollywood d’autrefois par substitution. La nostalgie prime et la magie du cinéma opère.

Le voyage ne s’arrête pas là. Le réalisateur américano-français déclare sa flamme au septième art à travers ce film. Il définit le cinéma à sa juste valeur et souligne son universalité. La preuve : l’ouverture gargantuesque, saupoudrée de trivialités, nous faisant indubitablement penser au banquet du Satyricon de Fellini, l’élégance de Wong Kar Wai, les scènes grotesques et le regard dédaigneux envers la bourgeoisie que l’on trouve dans le cinéma de Ruben Östlund, l’hommage à l’âge d’or du cinéma américain (du film muet en passant par l’apparition du film sonore sans oublier les films noirs) y sont référencés.

Outre l’intertextualité cinématographique, la caméra de Damien Chazelle ne cesse de pivoter avec dynamisme exprimant métaphoriquement l’allure cataclysmique d’Hollywood. On pense au plan séquence, sous les yeux de Nellie LaRoy, cheminant tous les plateaux du Kinoscope en plein désert. La première partie du film exprime avec une certaine rigueur, et parfois de la dérision, cette ébullition. L’apparition du cinéma sonore et des nouveaux codes moraux dont vont pâtir les personnes dites de couleur ébranleront le système hollywoodien. La condition de ces artistes victimes de cette déchirure est remise en question.

Bien que Damien Chazelle soulève un problème qui est toujours d’actualité et mène le spectateur à la réflexion, l’engagement critique n’est pas le pivot central de son film. Lors d’une projection, il s’avère primordial d’être dans des conditions propices à l’expérience. Ressentir est le mot phare au cinéma. Le jeune réalisateur a saisi les codes et s’en donne à cœur joie. Sa grammaire du cinéma ne montre aucune maladresse. L’épilogue en est la preuve. Damien sait pourquoi il fait et continue de faire du cinéma. En somme, difficile d’éprouver de l’ennui devant cette grande épopée de trois heures et supposée suite spirituelle de La La Land dans laquelle on imaginerait volontiers Fellini mettre en scène Gatsby le magnifique. Sans oublier le final dantesque. Un pur chef d’oeuvre.

BABYLON

Réalisé par Damien Chazelle
Avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jean Smart, Jovan Adepo, Li Jun Li, P.J. Byrne, Lukas Haas, Olivia Hamilton et Tobey Maguire
Au cinéma le 18 janvier 2023

Note : 10/10

POUR :
– tu vas trouver ce film jubilatoire
– si tu es un véritable amoureux du cinéma
– si tu kiffes le délire des années folles
– si tu aimes le taff de Damien Chazelle

CONTRE :
– en vérité, dur de lui trouver des défauts
– si tu n’aimes pas les films à paillettes
– si tu ne supportes pas d’être cloîtré plus de trois heures dans une salle de cinéma

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