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« Le Sommet des dieux », l’animation française sur le toit du monde

« Le Sommet des dieux », l’animation française sur le toit du monde

Maxime Gros

Il y a ceux qui pensent que les dessins animés sont pour les enfants, que les adaptations de mangas sont pour les ados, ou ceux qui pensent qu’un animé ne peut être qu’un plaisir coupable. Une réponse : Le Sommet des dieux, de Patrick Imbert.

L’histoire se déroule en Asie, entre le Népal et le Japon. Le reporter japonais Fukamachi croit reconnaître Habu Jôji, un alpiniste que l’on pensait disparu depuis des années. Fait troublant, il semble tenir entre ses mains un appareil photo qui pourrait changer l’histoire de l’alpinisme. Cet appareil ressemble à celui de George Mallory et Andrew Irvine disparus lors d’une ascension de l’Everest. Et s’ils étaient les premiers hommes à avoir atteint le sommet de l’Everest, le 8 juin 1924 ? Seul le petit Kodak Vest Pocket avec lequel ils devaient se photographier au sommet pourrait livrer la vérité. Fukamachi va mener l’enquête.

Le long-métrage a été sélectionné en compétition officielle au  74e festival de Cannes

Des sommets et des Hommes

Après son formidable Le Grand Méchant Renard, Patrick Imbert revient là où on ne l’attendait pas – et si Le Sommet des dieux est dans un style différent, la réussite est encore au rendez-vous. Adaptation du manga à succès du même titre, cette saga fleuve écrite par Jirō Taniguchi (l’auteur, entre autres, de Quartier Lointain, 1998) est elle même adaptée du roman de Baku Yumemakura. Ici, le récit est condensé en un film puissant, efficace et poétique. Qui plus est, le réalisateur choisit de ne pas européaniser les personnages, et plonge le spectateur dans la vie japonaise des héros.

Co-écrit avec la scénariste Magali Pouzol, qui avait déjà proposé un film d’animation très maîtrisé, Funan, cette fresque épique et puissante conte comment des hommes minuscules s’attaquent à des montagnes gigantesques. Cette passion les dévore, littéralement, puisque la montagne avale peu à peu tous les grands alpinistes qui s’y frottent. Cette fatalité, cette attirance des sommets et du vide est parfaitement retranscrite. C’est avec un grand plaisir qu’on se perd dans le brouillard et que l’on s’enfonce dans le manteau neigeux. Le vertige des hauteurs, les mains caleuses, la chaleur des crêtes, le manque d’oxygène ou le vent qui balance la corde fragile, tout y est. En sortant du cinéma, tu auras une envie folle de t’inscrire dans un club d’escalade, te voilà prévenu.

En 1H30, le film réussit l’exploit de retranscrire l’essentiel des 1500 pages du manga de référence (vendu à 380 000 exemplaires dans les années 2000 en France) sans ne jamais décevoir les lecteurs de la première heure

À l’heure où blanchissent les montagnes

C’est une histoire d’aventure simple, mais sans temps mort. Plus qu’une quête de vérité, c’est une passion dans laquelle se lancent les Hommes à corps perdus, et la montagne semble prélever sa part des anges, puisque chaque année des alpinistes s’évaporent dans cette nature virginale et hostile. La brume avale les hommes, et les spectateurs. Le personnage du journaliste, qui vient observer et photographier les ascensionnistes, permet au spectateur d’assister au plus près, de voir toutes les beautés des paysages, qui sont par ailleurs admirablement retranscrites en animation. La mort est partout dans ces immensités, et on restera cramponné dans son siège apeuré à l’idée de voir un des alpinistes glisser, ou de tomber soi-même dans le vide.

L’animation réaliste, presque documentaire, dans un style proche de J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, est visuellement tout à fait maîtrisée. Le manque d’oxygène permet aussi au réalisateur de s’octroyer des libertés et d’utiliser une animation plus abstraite dans les délires d’altitude. La 2D numérique – qui donne la sensation d’un mélange de 2D et 3D, est très agréable à regarder. Tout devient très concret, les paysages, les personnages, l’histoire aussi. Cette nouvelle ère de l’animation a une grande capacité immersive et te plonge dans le récit sans problèmes, et offre une forte empathie avec le héros. De plus, la musique d’Amine Bouhafa (césarisé pour Timbuktu) évolue tout au long du film et souligne l’immensité des paysages et le mal-être intérieur des personnages avec finesse.

« Because it’s there »

Lors d’une conférence de presse, il avait été demandé à l’alpiniste George Mallory pourquoi il souhaitait à ce point gravir l’Everest, ce à quoi il avait répondu : « Because it’s there » (parce que c’est là). C’est exactement ce que transmet le film : un regard plein de candeur et l’envie d’explorer ces territoires et ces paysages qui n’en finissent jamais.

Le Sommet des dieux est la confirmation d’un renouveau dans l’animation française. L’animation en France et en Europe n’est pas morte : après Paul Grimault, Jean-François Laguionie ou encore Michel Ocelot, c’est au tour de Jérémy Clapin, Jérémie Périn (Lastman), et bien sûr Patrick Imbert de faire souffler un vent de fraîcheur et un style plus adulte, qui saura à coup sûr conquérir les petits (à partir de dix ans) et les plus grands, en France comme à l’étranger.

LE SOMMET DES DIEUX
Réalisé par Patrick Imbert, co-écrit par Magali Pouzol
Avec les voix de Lazare Herson-Macarel, Éric Herson-Macarel, François Dunoyer
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