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Le cinéma français à la Berlinale 2022, l’amour partout

Le cinéma français à la Berlinale 2022, l’amour partout

Luis Jachmann

Après une édition à huit clos en 2021, la Berlinale a fait son retour en février dernier dans un format raccourci faute à la vague Omicron. Au programme, des films français émouvants qui ont tous un point commun : après deux années compliquées, le besoin d’affection et d’amour est immensément grand. Et parfois, il surmonte même les clivages sociaux.

La Berlinale se considère souvent comme un festival politique. Un festival en présentiel malgré la pandémie est forcément politique. La présence à Berlin des équipes de tournage, issues d’une soixantaine de pays, apportant leurs histoires tournées pendant la pandémie, est un symbole fort. Claudia Roth, nouvelle ministre d’État allemande de la Culture, a défendu le festival lors du gala d’ouverture dans le somptueux Palais de la Berlinale : « Nous voulons envoyer un signe d’encouragement, un signe d’espoir, un signal fort au-delà de Berlin : Nous ne nous laisserons pas abattre par la pandémie. Nous avons besoin du cinéma, nous avons besoin de films. »

Un cinéma français obsessionnel

Loin du strass et des paillettes, le festival est soumis à des règles très strictes : pass vaccinal, certificat de test, port du masque obligatoire, un fauteuil sur deux occupé. Beaucoup de choses sont différentes en 2022 – mais pas la présence traditionnelle et incontournable des stars françaises à Berlin.

C’est le film Peter von Kant de François Ozon qui ouvre les festivités. L’adaptation du classique Les larmes amères de Petra von Kant, réalisé par la légende allemande Rainer Werner Fassbinder, n’est que moyennement appréciée par les critiques. Le jeu de chambre d’Ozon donne la direction que prennent tous les films français en compétition : l’intimité, les relations amoureuses en mutation – contre vents et marées, mais aussi les tendances sociales comme la xénophobie et le pouvoir silencieux des minorités.

Vincent Lindon a fait le déplacement jusqu’à Berlin pour présenter Avec amour et acharnement, l’histoire d’amour intense et passionnée de Claire Denis

Deux étoiles et un Ours d’argent pour la France

Au début de son film Avec amour et acharnement, Claire Denis utilise des images fortes pour faire passer son message : Jean (Vincent Lindon) et Sara (Juliette Binoche) se laissent flotter dans la mer chaude. Des regards amoureux, de l’intimité, de tendres caresses. Même le retour à la grisaille parisienne n’entame pas l’intensité de leur relation. Ils construisent leur petit nid d’amour dans la métropole trépidante – jusqu’à ce que le passé les rattrape. L’ex-mari de Sara réapparaît soudain et veut faire entrer Jean dans son agence de joueurs. Pour l’ancien professionnel de rugby, c’est une chance de reprendre pied après une peine de prison. Mais Sara électrise le retour de François dans sa vie, elle n’agit sereinement qu’en apparence. Jean perçoit le danger et la met face à un choix : si le passé revient, il s’en va.

Une relation amoureuse insouciante et intense est remise en question. À la fin, tout le monde est perdant. Claire Denis réussit un film d’amour tendre qui représente toutes les émotions d’une relation au sang chaud. La cinéaste a d’ailleurs reçu l’Ours d’argent. Quant au tandem Binoche-Lindon, il fonctionne à merveille en exprimant des sentiments extrêmement contradictoires avec une présence fiable devant la caméra.

Alain Guiraudie, prenant la pose à la Berlinale, signe avec Viens je t’emmène son sixième long métrage

Interruption du réel dans la fiction

Dans Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie, tout indique également au premier abord une relation atypique entre deux personnes. Dans le cadre tranquille de Clermont-Ferrand, un joggeur et une prostituée se donnent rendez-vous dans une chambre d’hôtel. Médéric (Jean-Charles Clichet) fait ses affaires avec Isadora (Noémie Lvovsky) quand le présentateur du journal télévisé annonce un attentat avec des morts, dans leur ville. Et les auteurs ? Probablement en fuite, le danger ne semble pas écarté. Pendant ce temps, l’aventure d’un soir se termine brusquement, quand le mari d’Isadora fait irruption dans la chambre d’hôtel. Par la suite, Guiraudie joue avec deux fils narratifs : des images de deuil, de bougies sur le lieu du crime, alternant avec ce qui devient une histoire d’amour. Mais les narrations s’entremêlent quand l’un des présumés assassins se présente devant la porte de Médéric et demande s’il peut s’installer chez lui.

L’histoire devient une immense projection des préjugés occidentaux envers une certaine catégorie sociale. C’est aussi pour cette raison que le film revêt un caractère actuel détonnant : il pose la question de l’acceptation des immigrés par la société française. Ce sujet sérieux est associé avec beaucoup d’humour à des punchlines amusantes et des situations burlesques. Guiraudie parvient à mettre à nu une société constamment méfiante.

Une comédie autour d’un attentat terroriste ? Guiraudie démontre que c’est possible, puisque la tragédie n’est que le point de départ. Ensuite, il illustre la transformation de la méfiance envers l’étranger.

Sur les écrans, des films français et internationaux. Dans la salle, un fauteuil sur deux volontairement laissé vide.

Un avant, et un après Bataclan

Le film franco-espagnol Un año, una noche commence également par un attentat. La différence : celui-ci n’est tristement pas une fiction. Isaki Lacuesta s’intéresse à la vie des survivant.es du Bataclan – après le 13 novembre. C’est une adaptation du roman autobiographique Paz, amor and Death de Ramón Gonzalez.

Où y a-t-il encore de la place pour l’amour quand des souvenirs douloureux prennent le dessus sur tout ? Céline (Noémie Merlant) et Ramón (Nahuel Perez Biscayart) sont dans la salle de concert du Bataclan quand les terroristes ouvrent le feu. Céline parvient à se réfugier dans une loge et à s’y cacher avec d’autres. Avant de se sauver à son tour, Ramón voit le massacre de ses propres yeux. Les images ne le quittent plus pendant les jours et les semaines qui suivent. Des crises d’angoisse l’assaillent presque quotidiennement. Le moindre bruit dans le quotidien parisien, le moindre hélicoptère dans le ciel, le moindre soldat armé d’un fusil d’assaut le font paniquer. Noémie gère le traumatisme de manière très différente : elle refoule et essaie de retrouver rapidement un quotidien normalisé.

Les scènes de fusillade, d’évacuation, de gens qui crient : le réalisateur Lacuesta les insère régulièrement dans le récit de la vie après l’attentat, comme des pièces de puzzle. Au lieu d’un lien encore plus fort, ce que Céline et Ramón ont vécu ensemble devient un péril pour leur relation.

Plus que le récit des attentats, Un año, una noche est consacré aux survivants du Bataclan et leur difficile retour à la normalité. Cela fait mal, terriblement mal de voir ce film. Mais il est nécessaire de le voir. Lacuesta rend la souffrance des survivant.es plus tangible. Ce portrait intime d’un couple qui a vécu le pire moment de son histoire rappelle le devoir de mémoire vis-à-vis de centaines de personnes à Paris et en France qui ont survécu à un attentat terroriste.

Charlotte Gainsbourg, muse éternelle du cinéma français, franchit la frontière sous la caméra de Mikhaël Hers

Retour en décennie socialist-émouvante

Le film Les passagers de la nuit se déroule à une époque bien antérieure à la série de terreurs islamistes en France : en mai 1981. En cette année, la joie est sans limite dans les rues de Paris. Des cortèges de voitures, des drapeaux rouges, des klaxons. Une nouvelle ère politique et sociale s’ouvre, avec les socialistes à l’Élysée. Mais trois ans plus tard, que reste-t-il de cette ambiance de renouveau ?

Pour Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), c’est une nouvelle étape de sa vie qui commence : fraîchement séparée de son mari et père de ses enfants, elle doit s’occuper seule de ses deux adolescents dans son appartement – sans qu’il ne la soutienne financièrement, sans emploi. Après une recherche d’emploi démoralisante, Elisabeth décroche sa chance chez France Inter. Elle répond aux appels des téléspectateurs et les place à l’antenne. Une nuit, Talulah (Noée Abita), 18 ans, est l’invitée du studio. À Saint-Malo, elle a arrêté l’école et quitté le domicile familial pour Paris. Dans la capitale, elle glisse dans le milieu de la drogue et n’a pas de logement pérenne. Elisabeth décide sur le champ d’accueillir la jeune fille à la crinière noire et rouge dans son immeuble des bords de Seine. Une relation intime s’installe entre les deux femmes – ainsi qu’entre le fils adolescent d’Elisabeth et la mystérieuse Talulah.

Charlotte Gainsbourg fait preuve de beaucoup d’empathie pour son rôle – une femme qui doit devenir indépendante après des années de dépendance vis-à-vis de son mari. Le jeu de Noée Abita n’est pas moins impressionnant. Elle prouve une fois de plus qu’elle fait partie des actrices françaises les plus talentueuses de sa génération.

Mikhaël Hers réussit un drame social émouvant. Il travaille le terreau fertile d’images qui rendent nostalgiques – et avec une magnifique bande-son tirée des années 80, qui t’emmène dans un voyage musical à l’époque de la synth-pop.

Charlotte Gainsbourg, Juliette Binoche, Vincent Lindon : telles sont les stars françaises qui ont fait le déplacement à Berlin malgré la pandémie, pour n’en citer que quelques unes. Seule ombre au tableau, une icône du cinéma français n’a pas pu fouler le tapis rouge : Isabelle Huppert a été honorée pour l’ensemble de sa carrière en distanciel lors de cette 72e Berlinale, suite à un test positif. Il est probable que sa visite à Berlin ne soit que reportée.

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