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Victoria Abril : « Je suis la Isabelle Huppert espagnole »

Victoria Abril : « Je suis la Isabelle Huppert espagnole »

Anaïs Delatour

Révélée en France par la troupe du Splendid qui lui offre ses premiers rôles, Victoria Abril s’impose progressivement comme une valeur comique sûre. En Espagne, on la retrouve davantage dans un registre dramatique. C’est à l’occasion de l’Étrange Festival, qui lui dédie cette année une carte blanche, que nous l’avons rencontrée. L’occasion de faire une rétrospective de sa carrière, autour de quatre films phares. Interview d’une actrice au caractère affirmé.

Victoria Abril a décidément plus d’une corde à son arc. Jeune fille, elle se passionne pour la danse classique, qu’elle pratique assidûment jusqu’à l’adolescence. Une fois diplômée de l’École nationale de danse de Madrid, en 1974, c’est son professeur de danse lui-même qui la dirige vers le cinéma. Elle fait ses débuts un an plus tard dans le film Obsession de Francisco Lara Polop. Elle ne s’arrêtera plus jamais.

C’est toutefois son rôle dans Cambio de Sexo en 1977 et sa rencontre avec Vicente Aranda, le réalisateur et scénariste du film, qui la convainc définitivement de poursuivre son métier d’actrice. Elle s’épanouit alors dans un registre dramatique. Elle est consacrée en 1996 lorsqu’elle reçoit le Prix Goya de la meilleure actrice pour son rôle dans le thriller espagnol Personne ne parlera de nous quand nous serons mortes.

Dans les années 90, elle se fait une place en France avec des rôles dans des comédies à succès comme Nuit d’ivresse et Gazon maudit. Victoria Abril s’épanouit aussi au théâtre, à la télévision et en chansons. D’ailleurs, dans ses films, ses différentes passions ne sont parfois jamais loin, à l’instar de Sans Nouvelles de Dieu, où elle interprète deux chansons, chorégraphie comprise, en plus d’y tenir le rôle de Lola Nevado, aux côtés de Penélope Cruz. Preuve d’une actrice qui explore tous les arts et tous les genres qu’il est grand temps de (re)découvrir.

Vendredi soir, 20h. Victoria Abril sort de la séance consacrée à Personne ne parlera de nous quand nous serons mortes. On la retrouve au photocall, où elle se fait photographier sous toutes les coutures dans une robe dorée. La séance finie, elle revêt un sublime manteau vert flashy. Nous voilà parties. Et pour l’occasion, nous avons le droit au bureau du Directeur du Forum des images et à deux gin-tonics.

Victoria Abril venue présenter Personne ne parlera de nous quand nous serons mortes dans une sublime robe dorée à l’Étrange Festival 2022, lors d’un focus qui lui est consacré
Anaïs : Vous avez plus de 45 ans de carrière et tourné dans plus de 80 films. En revanche, c’est votre première fois à l’Étrange Festival. Ça vous fait quoi de faire partie du focus de cette 28ème édition ?

Victoria Abril : C’est un grand bonheur. Cela fait 40 ans que je suis en France et que l’on parle de ma carrière espagnole à travers Almodóvar, qui est évidemment le plus international et le plus connu des réalisateurs avec lesquels j’ai tourné. Mais ça fait plaisir quand on vous sollicite pour parler de vos autres films. Quand l’Étrange Festival m’a proposé un focus avec des films moins connus en France mais très importants pour moi, j’ai tout de suite dit oui.

A. : En l’occurrence, ces quatre films sont : Cambio de Sexo, Mater Amatisima, Personne ne parlera de nous quand nous serons mortes et Sans nouvelles de Dieu. C’est l’Étrange Festival qui a choisi ces quatre films que vous ailliez présenter ?

V.A. : Oui, sans me demander ma permission ! Ils ne m’ont pas demandé ce que je voulais dans ma rétrospective mais quand j’ai vu leur choix, j’ai dit : « Ok j’arrive ! ».

A. : Pourquoi ces choix vous ont convaincue ?

V.A. : Ce ne sont que des rôles marquants. Pour ces quatre films, j’ai travaillé avec des auteurs, à la fois réalisateurs et scénaristes, parmi lesquels j’ai eu la chance d’avoir un maître comme Vicente Aranda.

A. : Cambio de Sexo, qui est l’un de vos premiers films, marque justement votre rencontre avec Vicente Aranda. Que représente ce film pour vous aujourd’hui ?

V.A. : C’est mon cinquième film, en effet. Mais c’est surtout grâce à lui que j’ai décidé d’être comédienne pour de bon. Et suite à ma rencontre avec Vicente Aranda, j’ai travaillé avec lui pendant 30 ans, sur 14 films, c’est-à-dire qu’il m’a choisie à mes 14 ans, mes 24 ans, mes 34 ans et mes 44 ans. C’est un metteur en scène qui ne te choisit pas seulement quand tu es jeune et jolie, mais à tous les âges. Quant à ce premier film avec lui, c’est un film avant-gardiste qui marche complètement aujourd’hui.

A. : Comme Mater Amatisima qui raconte la manière dont une mère s’occupe de son enfant autiste. Ce n’est pas un thème dont on parlait dans les années 80.

V.A. : Non, c’est sûr. D’ailleurs, c’est un film qui n’a pas été très vu en Espagne. C’est un film difficile qui n’a pas connu un grand succès. À ce moment-là, je croyais que j’avais fait un boulot de dingue pour rien puisque personne ne l’avait vu. Puis, il est quand même passé à la Quinzaine des réalisateurs l’année de sa sortie. Et peu de temps après, c’est la Filmothèque de Paris qui m’invitait pour parler de ce film pour la première fois. J’étais très émue. C’était étrange de parler de ce film, qui n’avait eu ni bonnes, ni mauvaises critiques. Quarante-cinq ans plus tard, l’Étrange Festival décide de le mettre dans son programme et cette rétrospective de ma carrière.

A. : Quant aux deux autres films, vous avez travaillé avec Agustín Díaz Yanes avec lequel vous avez développé une grande complicité. Qu’a-t-il apporté à votre carrière ?

V.A. : Il m’a apporté l’un des plus beaux rôles de ma carrière avec le rôle de Gloria Duque dans Personne ne parlera de nous quand nous serons mortes. Au-delà, nous nous sommes beaucoup apportés mutuellement. De mon côté, j’ai su comment faire pour qu’il se révèle en tant que scénariste. J’avais déjà joué dans trois de ses scénarios mais avec différents metteurs en scène dont je n’étais pas satisfaite du résultat final. J’en avais assez d’accepter des scénarios formidables et de me retrouver avec des films médiocres. Ma condition était donc qu’il mette en scène lui-même son scénario. Autrement, je ne faisais pas le film. Il a accepté. Il a réitéré avec Sans nouvelles de Dieu et m’a aussi donné plus de liberté en me laissant interpréter deux chansons. J’ai eu une carte blanche complète sur les chansons, les arrangements et la chorégraphie.

« Cambio de sexo est mon cinquième film, mais c’est surtout grâce à lui que j’ai décidé d’être comédienne pour de bon. » © Karmafilms Distribution
A. : En France, on vous connaît surtout dans un registre comique. Mais, vous êtes aussi une actrice dramatique confirmée. À travers cette rétrospective de votre carrière, on vous redécouvre finalement dans un autre registre.

V.A. : Ce n’est pas que l’on me redécouvre, on me découvre. Cette partie de ma carrière a été complètement étouffée en France mais je m’y étais faite. Je savais que l’on allait parler de Gazon Maudit et d’Almodóvar, comme si je n’avais pas fait autre chose dans ma vie. C’est tellement agréable de pouvoir présenter d’autres films au public français, même avec quarante ans de retard.

A. : Parce que ce sont les comédies qui vous ont faite connaître en France.

V.A. : Oui. Alors qu’en Espagne, je suis Isabelle Huppert. Ici, je suis Josiane Balasko, le Splendid, Gérard Jugnot. Mais en Espagne, je suis plutôt une actrice dramatique. Après, les deux me vont très bien.

A. : En même temps, vous prouvez, de cette manière, que vous pouvez jouer de nombreux rôles.

V.A. : En fait, si on me donne un rôle, je vais le travailler à fond, jusqu’à la mort. Ce qui caractérise mes rôles, c’est que ce sont des rôles forts dans lesquels je lutte pour l’égalité des droits, la liberté d’expression, la différence, la pluralité, la tolérance. Jamais je n’ai jugé un personnage. Je les ai toujours pris et défendus. Je ne suis pas une actrice, je suis une avocate.

A. : Aimeriez-vous jouer dans des drames français ?

V.A. :Je suis toujours disponible ! Mon mail est sur mon site officiel, je n’ai même pas d’agent, tout le monde peut me contacter directement. Celui qui me veut me trouve.

Cambio de sexo bénéficiera d’une ressortie dans les salles françaises le 23 novembre prochain.

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