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Interview : FORM rend hommage à la jeunesse du Liban avec « Amal »

Interview : FORM rend hommage à la jeunesse du Liban avec « Amal »

Anoussa Chea

Quasiment un an jour pour jour depuis notre premier entretien, on retourne à la rencontre de Hausmane, Adrien et Aksel qui composent le trio FORM, à l’occasion de la sortie de leur dernier EP Amal, dédié au Liban.

Amal témoigne de la gravité de la crise économique et sociale, aggravée par l’explosion du mois d’août dernier, qui frappe le Liban depuis plusieurs mois. Afin de mieux comprendre ce qu’il se passe au-delà de nos frontières, on a voulu en savoir davantage sur ce projet collaboratif porteur d’espoir et de valeurs humanistes, plus que nécessaires aujourd’hui. FORM livre un témoignage poignant et surtout un vibrant hommage à celles et ceux qui sont au cœur même de l’émancipation du peuple libanais et qui continuent de se battre pour leurs idées et leur liberté.

Anoussa : Votre EP Amal, dédié au Liban, est sorti il y a une dizaine de jours. Comment vous sentez-vous ?

Hausmane : Ça fait du bien et c’est cool. On va faire plein de trucs avec des médias libanais. Ça a connecté beaucoup de monde au Liban. On a reçu des messages qui nous ont fait du bien. Ça, c’est déjà une victoire. L’accueil des médias va prendre son temps parce que c’est tellement blindé partout, c’est une promo un peu étalée mais c’est cool. Tout va bien, on est très contents, on aurait aimé le jouer sur scène rapidement mais… On le jouera à un moment. On incorpore les morceaux au live gentiment.

 

Aksel : C’est quelque chose qu’on avait besoin de sortir rapidement. On n’avait pas envie d’étaler le truc. Il fallait que ça sorte en 2020. On parle de quelque chose d’actuel. Avec le confinement, on avait pas mal de matières à partager donc on n’avait pas besoin de garder les trucs 1000 ans. On ne s’est pas bridé là-dessus.

A. : Hausmane, pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, peux-tu nous rappeler ton lien avec le Liban ?

Hausmane : Je suis franco-libanais. Jusqu’à il y a 4 ans, j’allais au Liban 3 fois par an. Toute ma famille paternelle y vit et j’ai beaucoup d’amis libanais. Depuis octobre 2019, j’ai eu une reconnexion virtuelle très forte avec ma famille. On a beaucoup discuté parce que j’avais envie de comprendre ce qu’il se passait au-delà de ce que disaient les médias. Je me suis rendu compte que l’information était très transformée malgré tout. Je demandais à mes cousins qu’ils m’expliquent ce qu’il se passait, ce qu’ils voyaient. Ils ont pris le temps de m’appeler, de m’envoyer des articles.

 

Le Liban se bat depuis très longtemps mais depuis octobre 2019, la jeunesse est sortie dans les rues. Les taxes augmentent tout le temps (ndlr : taxe sur WhatsApp) alors que le confort de vie ne s’améliore pas : certains n’ont pas encore accès à l’eau potable ou à l’électricité. Cette taxe est très grave pour un pays où il y a une énorme diaspora. WhatsApp un grand moyen de communication utilisé partout ! Taxer WhatsApp, c’est vraiment cruel !

A. : Le Liban est plongé dans une crise économique et sociale depuis plusieurs mois, aggravée par l’explosion du mois d’aout 2020. Quelle a été la genèse de cet EP ?

Hausmane : Ma famille est musulmane et vit à Tripoli. J’ai des amis chrétiens. J’avais besoin d’avis différents car la religion joue sur le spectre d’analyse. J’avais besoin de personnes qui étaient à Beyrouth. On m’a présenté Synthia que l’on entend sur le titre Beirut. On s’est appelés tous les 2 matins et on se parlait des heures. On s’est lié d’une amitié très forte alors qu’on ne se connaissait pas. On se disait tellement de choses. Elle s’est pris au jeu avec beaucoup de courage alors qu’elle était en train de gérer une révolution dans son pays.

 

Avant l’explosion, on avait commencé à se dire qu’on voulait faire un EP autour de ce qu’il se passait au Liban, avec des morceaux aux sonorités du Moyen Orient. Au moment de l’explosion, on a vraiment décidé de le faire. Synthia et mes cousin.e.s ont été les premières sources d’inspiration de l’EP. J’ai vécu l’explosion à travers le spectre de Synthia et Yasmina Hilal – qui a réalisé le clip de Came Out Here.

A. : Comment la production de l’EP s’est-elle imbriquée dans ce contexte ?

Aksel : On s’est rendu compte qu’Hausmane, dans sa voix, avait cette envie d’avoir cette sonorité orientale qui venait naturellement mais qu’on n’avait pas capté au début. On s’est dit « Pourquoi pas le jouer complètement ?« .

 

Hausmane : On nous disait de plus en plus qu’on entendait des harmonies arabisantes dans ma voix. Ce sont des gammes et des montées qu’on aime beaucoup. En faisant cet EP, on en a profité pour pousser cet aspect sans se brider.

 

Adrien : Il y a eu un déclencheur avec le morceau The Switch. On trouvait que les rythmiques étaient assez orientales, on s’est dit qu’on pouvait pousser un peu et proposer un featuring à Sofiane Saïdi. On tenait une track avec des sonorités orientales et on en a profité pour faire un EP dans la continuité de ce premier morceau et sur ce même ton.

 

Hausmane : Au fond de moi, je ne me sentais pas légitime pour raconter l’histoire, parce que je n’étais pas présent. Ce qui était intéressant, c’était ce travail de sampling des slogans qu’on a fait grâce aux vidéos que nous ont envoyées Synthia, Judy qui vit en Australie, et mes cousins.

De gauche à droite : Adrien, Hausmane et Aksel © Anoussa Chea
A. : Cet EP est-il une façon de donner la parole aux libanais afin de sensibiliser la France et les français sur ce qu’il s’y passe actuellement ?

Hausmane : À fond ! On voulait en faire parler ici, bien que la France a été active sur le sujet. L’idée était d’en parler sans se politiser, d’informer, de montrer ce qu’il se passe avec leurs mots ; d’où le travail de sampling des slogans qui a été important. Dans l’esthétique, ça les a fait kiffer d’avoir ce truc de foule car ça donnait une puissance qu’on aime beaucoup. Adrien a fait tout un taff de design sonore, d’aller chercher le son qu’on voulait en partant des rythmiques d’Aksel et de ma voix.

A. : Vous avez collaboré avec des artistes libanais. Pouvez-vous nous en parler ?

Hausmane : Yasmina Hilal a clippé le titre Came Out Here. On a tout de suite pensé à elle au moment où on cherchait une vidéo pour illustrer l’EP. Elle a shooté au Liban en exprimant ce que représente Beyrouth pour elle aujourd’hui. Elle cherchait de l’aide pour les aspects techniques. J’ai donc appelé Synthia et elles ont tourné la vidéo ensemble.

 

Yasmina a eu un rôle assez important grâce à ses photos sur la Révolution. Pendant l’explosion, elle a commencé à pouvoir présenter son travail et à avoir de la visibilité grâce à ses photos très fortes qui m’ont marqué. Elle s’arrêtait dans la rue et prenait des photos en demandant aux gens de raconter leurs histoires pour accompagner ses clichés. Elle a ensuite été relayée par de nombreux médias, notamment en France et aux États-Unis.

 

Ivan Debs, qui est un dessinateur oufissime, a fait la cover de l’EP. Je l’ai découvert pendant la Révolution. Des gens imprimaient ses dessins pendant les manifs. Je l’avais contacté sur Instagram mais il ne m’avait pas répondu. J’ai fini par juste lui envoyer les sons en me disant qu’en écoutant, il serait chaud. On a beaucoup échangé mais ça s’est fait très rapidement.

A. : L’EP s’appelle Amal qui signifie « espoir » …

Hausmane : On est passé par plein de choses. Au début, il y avait beaucoup d’émotions, on voulait appeler l’EP « Thawra » (qui signifie « révolution ») parce que ça avait du sens. Il y avait quelque chose de très énervé. Mais, plus on en parlait et plus on se disait qu’il y avait aussi de l’espoir. On a bâti autour de Amal avec Ivan en cherchant à représenter l’espoir au Liban. Il m’a envoyé ce personnage dans cette fumée. On va faire des lives Instagram avec eux pour discuter du Liban, leur donner la parole.

A. : Le titre Beirut est sans doute le morceau central et le plus poignant de l’EP. Il y a à la fois une tension et une urgence plus que palpable, mais aussi de la lumière…

Adrien : Complètement ! Il y a ce contraste de puissance et cette fin avec le piano. J’ai toujours des frissons quand on arrive sur cette fin parce que tu ressens vraiment ce relâchement. Il y a la colère qui gronde et à la fin, il y a cette douceur. Le morceau, en lui-même, prend vraiment son sens.

 

Hausmane : Synthia m’a envoyé ce premier record juste après l’explosion. Ce qui était hyper fort, c’est que la veille de l’explosion, elle m’avait dit : « C’est trop dur, on n’a plus d’énergie, ça fait 1 an qu’on est dans la rue, les gens n’ont plus d’argent. Je perds un peu espoir ». C’était super compliqué. Et le lendemain, il y a eu l’explosion. Son message vocal était vraiment très sincère, elle nous a donné beaucoup de détails. On avait très envie de lui donner la parole.

 

Synthia a joué un rôle de ouf. Elle m’a mis en contact avec tout le monde et m’a donné toutes les connaissances de ce qu’il se passait. Elle ne s’en rend pas compte mais c’est super fort de réussir, dans des moments pareils, à prendre le temps pour quelqu’un que tu ne connais pas. Elle était touchée par notre démarche, de mettre en avant ce qu’il se passait. Elle a eu le courage et la force de parler et d’analyser ce qu’il se passe avec si peu de recul. Je ne la remercierai jamais assez pour ce qu’elle a fait pour nous. Elle fait pleine partie de cet EP.

 

Aksel : Ce qui fait la force du titre c’est qu’il y avait une connexion particulière, un lien direct avec eux au moment de la création de l’EP.

Au centre de l’image, Hausmane Jamaleddine, le chanteur de FORM, a noué de forts contacts avec des artistes libanais© Anoussa Chea
A. : Malgré cette année confinée, vous avez sorti cet EP et produit le dernier album de La Chica. Vous n’avez clairement pas chômé…

Aksel : On ne s’est pas trop laissé submergés. On a eu la chance que le Musée Sauvage nous ait laissé bosser comme bon nous semblait.

 

Adrien : On a profité du confinement pour bosser et rebondir au mieux. Comme plus de 50% de notre boulot est consacré à répéter et à faire du live, on a donc eu 50% de temps en plus pour faire de la prod. On nous a enlevé des choses mais ça nous a laissé de la place pour pousser autre chose.

 

Hausmane : On s’est lancé dans des trucs qu’on a toujours voulu faire comme produire pour d’autres artistes. On ne savait pas si on savait le faire. La Chica nous a fait confiance en premier. Ça a été une super expérience. Son album a été une grosse aventure émotionnelle et artistique. Ça a été un gros taff et un énorme kiff. On est tellement fier. C’était trop cool. Ça nous a donné confiance, c’est inspirant et ça nous nourrit de produire et de réaliser pour d’autres artistes.

 

Aksel : C’était aussi un challenge. On n’a pas l’habitude de faire ce genre de prods très épurées, très acoustiques, très simples au final.

A. : Que nous réservez-vous pour 2021 ?

Hausmane : On adore la prod pour nous et pour les autres. On va continuer sur cette lancée. Il y a quelques nouveaux titres qui sont prêts qui devraient sortir en février. On est aussi en train d’explorer d’autres choses. On a de la matière pour se permettre de sortir des choses. Il y a des collaborations qui arrivent, notamment avec Fakear. On travaille sur des albums pour d’autres artistes. On fait de la musique à l’image qu’on va pousser. Et, on espère que le live va nous aider à aller chercher le public.

A. : L’année dernière, on vous avait posé notre question signature Arty sur la définition d’un artiste. Vous aviez répondu « Il s’agit de création. C’est quelque chose qui te ressemble, ou pas d’ailleurs, quelque chose qui transporte des émotions, ou même un simple message ». Aujourd’hui, souhaitez-vous compléter cette définition ?

Adrien : On n’était pas cons ! On valide carrément cette définition. Un artiste, c’est quelqu’un qui crée quelque chose qu’il va trouver beau, quel que soit le contenu. Et surtout, c’est quelqu’un qui exprime quelque chose qu’il a en lui, quelle que soit la manière, quel que soit le public qu’il va toucher. Il faut que ça soit sincère, authentique. Ce sont deux aspects qui sont difficiles à transmettre mais qui sont les plus importants.

Amal de FORM est disponible sur Spotify.

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