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Interview : Corneliu Porumboiu nous parle de son nouveau film « Les Siffleurs »

Interview : Corneliu Porumboiu nous parle de son nouveau film « Les Siffleurs »

Astrid Verdun

Réalisateur emblématique du cinéma roumain, Corneliu Porumboiu a été primé plusieurs fois au Festival de Cannes. Projeté en compétition en mai dernier, son nouveau film « Les Siffleurs » sort en France le 8 janvier 2020. Interview.

À 44 ans, Corneliu Porumboiu peut se vanter d’avoir remporté plusieurs prix prestigieux en France, dont la Caméra d’Or de la Quinzaine des réalisateurs en 2005 pour son premier long-métrage 12h08 à l’est de Bucarest et deux fois le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard pour Policier, adjectif et Le Trésor. Il est pourtant reparti bredouille en 2019 avec Les Siffleurs, présenté en compétition. Différent de son cinéma qu’on lui connaissait jusqu’alors, ce septième film est un polar international où se croisent plusieurs pays (la Roumanie, l’Espagne, Singapour) et plusieurs langues (l’espagnol, le roumain, le silbo).

Corneliu a reçu la Caméra d’Or en 2005 et deux fois le Prix du Jury à Un Certain Regard

On suit un inspecteur de police de Bucarest, Cristi, interprété par l’acteur Vlad Ivanov que Corneliu Porumboiu a déjà dirigé, corrompu par des trafiquants de drogue. Pour libérer en Roumanie un mafieux de prison et récupérer 30 millions d’euros, il doit apprendre une langue codée, le silbo. Ce langage sifflé ancestral permet de communiquer sur de longues distances et est utilisé sur l’île de la Gomerra, dans les Canaries, l’occasion pour Cristi de profiter d’un brin de soleil en sifflotant. Mais tout n’est pas si simple ; soupçonné par ses supérieurs, il est mis sur écoute, il joue constamment un double jeu, et surtout, il tombe amoureux de la superbe Gilda, personnage de femme fatale dans toute sa splendeur.

Film policier rythmé et bien structuré, Les Siffleurs mène efficacement le spectateur dans les méandres de la duplicité. Suivant l’affable et énigmatique Cristi, on ne sait qui croire ou encore qui est avec qui. Pourtant, on se laisse volontiers embarquer dans les pérégrinations de ce policier corrompu. Si le film manque un peu du charme dont nous a habitué Corneliu Porumboiu avec ses précédents long-métrages, le genre est maîtrisé.

Astrid : Bonjour Corneliu. Comment as-tu eu connaissance du silbo et qu’est-ce qui t’as intéressé dans ce langage sifflé ?

Corneliu Porumboiu : J’ai vu une émission de télé il y a dix ans qui expliquait ce qui se passait sur l’île (ndlr, La Gomerra), c’est comme ça que j’ai découvert le langage sifflé, ça m’a beaucoup plu. Il y a de la poésie dedans, c’est drôle aussi, c’est étrange et c’est comme un code. J’ai commencé à me documenter et tourner là-bas s’est imposé à moi. Il y a 40 zones dans le monde je crois où l’on communique avec des sifflements, notamment un village en Grèce, un en Turquie… Mais c’était intéressant pour moi d’aller aux Canaries et de jouer avec des acteurs espagnols.

A. Le silbo est un vrai langage, chaque syllabe a son sifflement particulier. Comment les acteurs s’en sont sortis avec cette langue à part entière ?

C.P. Le silbo est classé au patrimoine de l’Unesco et par ce biais-là ils proposent des cours sur l’île. J’étais en contact avec eux, un professeur est venu en Roumanie pour l’enseigner aux acteurs pendant deux semaines. Mais même s’il y avait du doublage, c’est très difficile de doubler si tu ne connais pas les poses ; ils ont dû apprendre à placer leurs doigts et leurs bouches pour être crédibles. Vlad Ivanov (ndlr, Cristi) était très fort, j’ai dû le doubler seulement deux fois dans le film.

Ça ne se voit pas mais ça s’entraîne dur à siffloter, là
A. Comment est venue cette idée de film policier ? Est-ce un genre qui t’intéressait déjà ou il s’est imposé à toi avec l’idée du silbo ?

C.P. Je me suis dit « comment utiliser ce code très ancestral dans un monde aujourd’hui moderne » . Ça faisait sens de l’utiliser dans une histoire où l’on cache des choses alors j’ai voulu tourner un noir classique. Pour moi le concept du langage sifflé et codé ressemble au cinéma, qui est codé par rapport à la réalité. Ça m’a donné envie de jouer avec les spectateurs et de continuer le parallèle avec le cinéma. Les personnages jouent la comédie mais aussi entre eux, il y a plusieurs niveaux de duplicité. Et puis la présence de la caméra renvoie à la fois au système de surveillance utilisé plusieurs fois dans l’histoire et à la caméra de cinéma.

A. Pourquoi choisir un anti-héros comme Cristi, un policier corrompu et désabusé ? Qu’est-ce qu’il raconte de toi ou de ta vision de la société ?

C.P. C’est un peu une continuation si tu veux de mon personnage de Policier, adjectif (2009). Là j’avais un personnage secondaire qui était très idéologique, il croyait dans une espèce d’État policier. Dans ma tête, je me suis demandé comment on pouvait retrouver ce mec-là dix ans après, totalement perdu, dans un monde qui a complètement changé. Mais dans le noir classique beaucoup de détectives sont un peu des anti-héros.

Gilda, la femme fatale au cœur de Cristi
A. Tes personnages sont peu bavards, est-ce une volonté de placer ton histoire plutôt dans l’action ?

C.P. Je voulais que les personnages utilisent le langage un peu comme une arme, autant la parole que les sifflements. Ils se cachent toujours, ils ont une double intention, ils disent quelque chose mais pensent autre chose. Ils ne parlent que pour arriver à leur but qui est de récupérer l’argent.

A. La dernière question est la question signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’un artiste ?

C.P. J’ai trouvé dans le cinéma le langage avec lequel je m’exprime le mieux, c’est mon médium et j’aime beaucoup faire ça. Et j’ai la chance de pouvoir vivre de ça. On peut dire que j’ai trouvé ma voie.

LES SIFFLEURS

 de Corneliu Porumboiu 
Avec Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar 

En salles mercredi 8 janvier 2020
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