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Cannes 2022 : un festival de toutes les surprises

Cannes 2022 : un festival de toutes les surprises

Thierry Champy

Après 11 jours et 21 films en compétition, le jury présidé par Vincent Lindon a remis ses précieux sésames samedi 28 mai, au cours d’une cérémonie présentée par Virginie Efira. Le réalisateur suédois Ruben Östlund remporte la Palme d’or avec Sans Filtre, une satire acerbe sur les nouveaux riches.

17 mai 2022. Cannes. Déroulé du tapis rouge. À l’entrée, exit le pass sanitaire. Déferlement de robes à paillettes, parfois collier Chopard au cou, nœud de papillon et Santoni scintillantes exigées. Sous les feux de la rampe défilent les stars. Par-ci, des photographes acharnés les tiraillent de flashs. Par-là, des journalistes enflammés en compétition pour la meilleure citation du jour. On monte les marches. On salue. On se retourne. On pose.

À l’auditorium Louis Lumière, l’attente est palpable. Le rideau s’ouvre. Sa maîtresse de cérémonie, Virginie Efira, sous ses allures de blonde hitchcockienne, également venue présenter Don Juan de Serge Bozon et Revoir Paris d’Alice Winocour, prononce les premiers mots dictés par le prompteur. L’inauguration de la 75ème édition du Festival International du Film de Cannes peut enfin avoir lieu.

Cannes se pâme pour Virginie Efira

Et le prix est attribué à…

Dans un temps limité, soit onze journées de projection dont une vingtaine de films en compétition sur la Croisette, moment crucial pour Vincent Lindon accompagné de tout son jury de brasser les boules et décider du sort des cinéastes. Après maintes réflexions, sous la bienveillance cannoise, la fortune en a décidé ainsi : récompenses ex æquo à tire-larigot afin que chaque compétiteur ne reparte pas bredouille.

Séduit par la « farce sardonique » (Le Monde) de Ruben Östlund, le jury a décrété par la présente lui remettre le Graal, le prix ultime, plus sommairement, la Palme d’or. Un honneur pour le Molière suédois. D’ores et déjà couronné à Cannes en 2017 pour The Square, satire du milieu de l’art contemporain, il obtient également le Prix du Jury en 2014 pour Snow Therapy. Autant dire que le festival ne laisse pas le pasquin indifférent et que la critique sociale soit devenue une norme – la preuve avec Parasite, Moi, Daniel Blake et Entre les murs.

Sans ses illustres influenceurs que sont Buñuel et Wertmüller, Sans Filtre n’aurait jamais sans doute eu cette « férocité pour brocader la cupidité de la société actuelle » (20 Minutes). Triangle of Sadness (titre original), dont le propos est curieusement similaire au chef d’œuvre de Lina Wertmüller, Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été, narrant l’histoire de deux mannequins dont leur voyage tourne à la catastrophe. Le réalisateur suédois, marqué par le socialisme de Marx, soulève le problème de l’individualisme occidental et souligne que « les rapports humains seraient [plus] authentiques sans barrière de classes. »

Trêve d’éloge panégyrique et place au palmarès du festival, sans oublier le palmarès de la sélection Un certain regard et de la Semaine de la Critique (SACD) outrageusement évincées du public. Ces sections, essentiellement centrées sur le cinéma d’auteur et de découverte, regroupent plus d’une vingtaine de films en compétition. Le Jury de la section Un certain regard était cette année présidé par la réalisatrice, actrice et productrice italienne Valeria Golino. À noter que les films de la sélection Un certain regard seront projetés du 1er au 7 juin à Paris, au Reflet Médicis.

Seconde Palme d’or en cinq ans pour Ruben Östlund, ça méritait bien une accolade © Christophe Simon / AFP

… Des polémiques en or

Cette année, c’est sans contexte la couverture journalistique de l’événement qui a le plus laissé perplexe. CANAL+ laissant les droits de diffusion au profit de France Télévisions et Brut, le choix n’en est que purement stratégique et marketing.

Sur le plateau, Daphné Bürki et quelques critiques cinéma piochés sur France Inter. Sur le tapis rouge, Louise Ekland, la bilingue de service, remplace Laurent Weil. On se souviendra du fameux « Yes » de la part de Tom Cruise. Ne parlons pas de l’erreur commise par une de ses consœurs concernant l’actrice Tang Wei, llors de la montée des marches (la journaliste ayant affirmé que l’actrice chinoise ait joué dans Tigre et Dragon d’Ang Lee au lieu de Lust Caution, ndlr). Le casting journalistique proposé par le service audiovisuel français n’était malencontreusement pas assez briefé pour ce type de manifestation culturelle.

Un autre invité surprise a fait irruption sur la Croisette, le TikTok Short Film Festival. Le but étant de récompenser les vidéos dans un format bien précis : ne pas excéder 3 minutes, le tout dans un cadre vertical. « Le format vertical oblige à réinventer une grammaire du cinéma après des décennies d’horizontalité », souligne la réalisatrice Camille Ducellier.

Ce partenariat avec le Festival de Cannes a pu voir le jour grâce à Éric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok. Toutefois, le jury présidé par le cinéaste cambodgien Rithy Panh a manqué d’indépendance et subi des « pressions ». On parle alors de démission. Le lendemain suivant ses déclarations, retournement de situation.  « Les artistes sont libres. Ils respirent la liberté. Il faut les respecter » affirme le réalisateur de L’Image manquante « Il est important de venir les soutenir. » Il distingue « le chemin marketing et industriel » que suivent les TikTokers tandis que le cinéma serait d’ordre de la création. Le président finit par obtenir gain de cause, ou plutôt tombe en accord sur le désaccord. Le bad buzz est fait.

Une interférence de TikTok dans les choix artistiques du jury de son Short Film Festival, et un président au bord de la démission… Le mal est fait © Christophe Simon / AFP

Une certaine idée de la politisation

Question géopolitique et sociétales, le festival n’a pas été en reste. Au cours de la cérémonie d’ouverture, nul ne s’attendait à un tel accueil. Celui du président Volodymyr Zelensky. Après avoir récompensé un monstre du cinéma américain, Forest Whitaker, les lumières s’éteignent. Les yeux sont dérivés vers l’immense écran. Poings posés sur la table, t-shirt kaki, barbe de trois jours, et comme l’exige traditionnellement le festival, monologue de l’invité-président.

Son discours, aussi sartrien soit-il, reste louable. La question de l’engagement et de l’action sont au cœur de ce discours. Les comparaisons explicites du dictateur de Chaplin au chef du Kremlin ne sont pas anodines. Et si ce conflit n’avait pas eu lieu ? Le président Zelensky avait-il sa place au festival ? On connaît la réponse. Tout est question de communication.

Un dernier fait marquant a secoué le festival, pour le plus grand bien des droits des femmes. À l’occasion de la présentation du documentaire Riposte féministe réalisé par Marie Perennès et Raymond Depardon, le collectif féministe « Les colleuses », mains au ciel, affiche sur le tapis rouge le nom de 129 victimes de féminicides depuis juillet 2021. Une démarche qui pourrait susciter de l’indignation auprès des cinéastes visés par cette polémique. Cet élément déclencheur n’est que la continuité du la protestation de l’actrice Adèle Haenel, symbolisé par son départ inopiné de la Cérémonie des César, le 28 février 2020.

Cannes, lieu propice, des problèmes sociétaux tu dénonceras.
Quelque liberté au festival de Cannes, on se permettra.
Le septième art tu célèbreras.
Dans les écrans la magie du cinéma résidera.
Comme Tarantino, vive le cinéma tu crieras !

Sur les marches du festival de cinéma, les noms de 129 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon ont été affichés par « Les colleuses » © John Phillips
PALMARÈS DU 75e FESTIVAL DE CANNES
  • Palme d’Or : Sans Filtre (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund
  • Grand Prix, ex æquo : Close de Lukas Dhont et Stars at Noon de Claire Denis
  • Prix de la mise en scène : Decision To Leave de Park Chan-wook
  • Prix du 75ème Anniversaire : Tori et Lokita de Jean-Pierre et Luc Dardenne
  • Prix du jury, ex æquo : Les huit montagnes de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, et EO (Hi-Han) de Jerzy Skolimowski
  • Prix d’interprétation masculine : Song Kang-ho pour Les bonnes étoiles de Hirokazu Kore-Eda
  • Prix d’interprétation féminine : Zar Amir Ebrahimi pour Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi
  • Prix du scénario : Tarik Saleh pour Boy from Heaven
  • Caméra d’Or : War Pony de Riley Keough et Gina Gammell
  • Mention spéciale de la Caméra d’Or : Plan 75 de Chie Hayakawa
  • Palme du court-métrage : The Water murmurs de Jianing Ghen
  • Mention spéciale du court-métrage : Lori de Abinash Bikram Shah
PALMARÈS UN CERTAIN REGARD
  • Prix Un certain regard : Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret
  • Prix du jury : Joyland de Saim Sadiq
  • Prix de la mise en scène : Metronom de Alexandru Belc
  • Prix de la meilleure performance ex æquo : Vicky Krieps dans Corsage et Adam Bessa dans Harka
  • Prix du meilleur scénario : Mediterranean Fever de Maha Haj
  • Coup de cœur du Jury : Rodéo de Lola Quivoron
PALMARÈS DE LA 61ÈME SEMAINE DE LA CRITIQUE
  • Grand Prix : La Jauría d’Andrés Ramírez Pulido
  • Prix French Touch du jury : Aftersun de Charlotte Wells
  • Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation : Zelda Samson pour Dalva d’Emmanuelle Nicot
  • Prix Découverte Leitz Cine du court-métrage : Ice Merchants de João Gonzalez
  • Prix SACD : Andrés Ramírez Pulido, auteur de La Jauría
  • Prix CANAL+ du court-métrage : Sur le trône de Xerxès d’Evi Kalogiropoulou

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