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« Utama, la terre oubliée », drame familial sur fond de chaos écologique

« Utama, la terre oubliée », drame familial sur fond de chaos écologique

Thierry Champy

Grand prix de la compétition dramatique internationale du Festival de Sundance, récompensé au Festival Cinélatino de Toulouse, le premier long-métrage du photographe bolivien  Alejandro Loayza Grisi dénonce le cataclysme du réchauffement climatique et l’assimilation culturelle. Un film profondément humain.

Dans des endroits reculés de la Bolivie où la sécheresse bat son plein, Virginio (José Calcina) et Sisa (Luisa Quispe), éleveurs de lamas quasi septuagénaires, vivent humblement dans leur maison en pierre. Un jour, Clever (Santos Choque) rend inopinément visite à ses grands-parents et tente de les convaincre d’habiter la ville afin de fuir la misère sociale. Dès lors, naît une confrontation entre tradition et modernité.

Une Bolivie appauvrie mais magnifiée

Un ciel bleu azur, un soleil illuminant un paysage aride, une terre formant des écailles, des maisons en pierre au milieu du désert, des massifs montagneux à perte de vue, des lacs salés aux couleurs chatoyantes… Alejandro Loayza Grisi et Barbara Alvarez, directrice de la photo, magnifient le pays afin d’atténuer le drame familial et écologique qui y pèse. Un choix esthétique qui ne laisse pas le public de marbre. Le cadrage type National Geographic (du plan intérieur au plan panoramique) n’est pas anodin et la colorimétrie habilement agencée font voyager le spectateur dans les plaines boliviennes.

La pauvreté sociale et la richesse géographique sont constamment mises en parallèle. La dureté d’un paysage qui change constamment et où la vie humaine et ses traditions sont malmenées. Les villageois désertent, la pluviométrie faiblit ; l’exode rural est à son point culminant. Seuls deux agriculteurs ont décidé de rester. Le choix arbitraire et le refus catégorique de Virginio et Sisa afin de rejoindre la ville est justifiée : préservation des valeurs agricoles et culturelles (leur langue, leurs rites), de leur maison avec une immense valeur sentimentale et surtout, l’élevage des lamas.

Nos protagonistes, respectivement interprétés par José Calcina et Luisa Quispe n’ont aucun lien avec le monde du spectacle. Utama, qui signifie « notre foyer », raconte leur vie. Le jeu des acteurs amateurs oscille entre documentaire et fiction. Une naïveté, une spontanéité filmée, qui nous entraînent au cœur de cette famille et de son rude quotidien.

Avec ce film, le réalisateur souhaitait rendre compte des changements subis par la population rurale, dont le mode de vie est en train de disparaître, victime du changement climatique. « Un tel projet nous permet de prendre en considération les dégâts collatéraux liés à notre mode de vie actuel et d’envisager différemment notre statut d’habitants de La Paz (et de citadins, en général, qui vivons dans des conditions comparables). »

Une réflexion sur les valeurs familiales, culturelles et écologiques

À l’origine, Alejandro Loayza Grisi avait pour projet d’écrire une histoire d’amour qui se déroulerait au cœur de l’Altiplano. L’intrigue a profondément été bouleversée lors de ses voyages au cœur des paysages boliviens, des rencontres avec la population locale et des problématiques rencontrées par celle-ci. La trame scénaristique initiale prend donc un contre-pied. Le réalisateur bolivien, à travers ce drame assurément humain, intègre la notion de conflit générationnel, symbolisé par Virginio et Clever. Leur ego et leur obstination ne les aideront pas non plus – on pense à la scène où Clever doit rejoindre son grand-père pour promener les lamas. Le petit-fils tente de suivre la cadence. S’ensuit une compétition d’entêtés. Un moment à la fois drôle, anecdotique et touchant.

Le réalisme social et écologique sillonne les villages peu habités. Les terres boliviennes, victimes du réchauffement climatique, sont dépourvues d’humidité, mais riches en symboles. Clever, sweat à capuche et casque aux oreilles, et Virginio, gilet en alpaga et sombrero bolivien à la tête, incarnent à eux deux la modernité et la tradition. Tandis que les grands-parents doivent se soumettre aux exigences de l’espagnol, le quechua (prononcé « quichua »), dialecte parlé en Amazonie et aussi abstrait soit-il, subsiste. Loin des théories scolaires, Clever hérite des méthodes agricoles ancestrales. Alejandro Loayza Grisi se conforme aux codes du roman d’apprentissage et cela s’avère d’autant plus efficace.

La présence du condor, animal sacré en Bolivie, a une symbolique très forte. Il est le protecteur de la montagne et redonne vie à la nature environnante. Il est également associé au changement de cycle et à l’immortalité. Curieusement, seul Virginio aperçoit l’animal en question. L’assimilation du grand-père au condor n’est pas placée au hasard. Le règne éphémère humain et la transmission sont mis au premier plan. « [L]e condor est une espèce en voie de disparition. C’est donc une métaphore de ce qui est en train de se passer dans la montagne : avec le dégel qui tend à s’accélérer, le cycle de la nature est, lui aussi, menacé d’extinction. Si le condor meurt, il n’y aura plus de renouvellement du cycle, il n’y aura plus de protecteur de la montagne, et il n’y aura plus de vie dans la montagne. Cela peut sembler apocalyptique, mais c’est la réalité. » affirme Alejandro Loayza Grisi.

UTAMA, LA TERRE OUBLIÉE
Réalisé par Alejandro Loayza Grisi
Avec José Calcina, Luisa Quispe et Santos Choque
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Pour

Des visuels époustouflants

Une belle leçon d'humanité

L'engagement d'Alejandro Loayza Grisi

Contre

Une histoire de transmission petit-fils / grand-père déjà vue

Un registre documentaire type "National Geographic" qui peut rebuter

Pour les phobiques de lama

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