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« Pleasure » : choquant, dingue, enivrant, génial

« Pleasure » : choquant, dingue, enivrant, génial

Olivier Fade

Elle est là, la claque de la semaine, et peut-être aussi de ces derniers mois de l’année. Pleasure, par la suédoise Ninja Thyberg, est une plongée édifiante et sans concession dans l’industrie contemporaine du X de Los Angeles. Un film marquant, parfois dérangeant, qui va te rester en tête bien, bien longtemps.

Une jeune suédoise de 20 ans arrive à Los Angeles dans le but de faire carrière dans l’industrie du porno. Sa détermination et son ambition la propulsent au sommet d’un monde où le plaisir cède vite la place au risque et à la toxicité.

Le choc de la fin d’année

Pleasure devrait durablement marquer tous les spectateurs dont le bon sens et la curiosité leur auront fait acheter une place de cinéma. Si le sujet n’est pas tout à fait accessible, son traitement est quant à lui profond et intelligent, balisé par le jeu habité et authentique de sa comédienne principale. Sofia Kappel, parfaite inconnue de 35 ans, hante chaque plan dans lequel elle incarne avec férocité Bella, 20 ans, qui ambitionne sans autre forme de procès de devenir la nouvelle grande star du porno californien. Bella est prête à tout, quitte à repousser ses limites physiques. Elle incarne parfaitement les nouveaux standards de la célébrité : expresse, virtuelle, aux dents de requin. Ninja Thyberg délivre une œuvre choc, jusqu’au-boutiste et sans complaisance. Une expérience physique à s’en décrocher le bulbe rachidien.

Au travers de l’élévation professionnelle de Bella, on plonge avec brutalité dans le rythme de vie des comédiennes qui toutes veulent percer. Les maisons de colocation des quartiers excentrés, propriétés de macs 2.0. L’ascenseur social des soirées et avant-premières des agents les plus installés dans le métier. La mise en scène de la cinéaste oscille entre les instants de répit et de camaraderie, des liens qui se tissent entre filles volontaires mais parfois perdues ; et la plus pure violence, physique et psychologique, majoritairement sexuelle, qui laisse nécessairement les plus consciencieuses sur le carreau. Difficile de créer des amitiés durables dans un monde où la retraite se prend (se reçoit) à 24 ans. Ninja Thyberg intègre plutôt savamment la symbolique des plans fixes, plus calmes, et la caméra portée qui joue sur le regard, l’excitation qui se construit, l’éveil conscient du spectateur qui subit certaines images.

La montée en puissance de Bella pour détrôner la reine du moment est particulièrement savoureuse, et donne lieu à une scène pleine de tension érotique violente

L’enfer du plaisir industriel

Le film interroge les notions de plaisir, de consentement, de respect, de harcèlement. Surtout, il met le spectateur face à ses propres dérives. De nombreux plans face caméra, souvent lors d’occurrences violentes, imposent au voyeur un questionnement plus personnel : en cliquant sur ces vidéos, tu cautionnes ces comportements. L’industrie pornographique n’est pas un univers aussi éveillé que certaines productions veulent bien le laisser croire. Derrière les contrats et la bienveillance des consentements, il y a aussi le poids de la culpabilité et de la performance d’un monde qui reste évidemment masculin. Personne n’y est à l’abri. Ni la starlette soumise aux exigences d’un réalisateur qui lui impose « de ne pas faire de vagues », ni l’acteur-roi qui doit lui aussi satisfaire des exigences de prouesses sexuelles continues et presque inhumaines.

Pleasure a également une certaine voix documentaire. On y croise Mark Spiegler, l’un des producteurs les plus influents du porn américain, mais également Evelyn Claire, Michael Omelko dit Mick Blue, Kendra Spade, Chris Cock… Tous ces noms qui te diront peut-être quelque chose, selon ta consommation habituelle de sites pornographiques. Tous ont joué à ce jeu presque dangereux d’apparaître dans un film qui évoque sans détours les dangers et les malheurs de leur industrie parfois vérolée. Ninja Thyberg le déclarait : « Il a fallu être rusée pour accéder à certaines communautés moins bienveillantes ». Attention, tout n’est pas noir dans le porno, bien que tout ne soit clairement pas rose. Prix du Jury au dernier Festival de Deauville, Pleasure mérite absolument toutes les récompenses du moment qu’il arrache sur son passage en talons hauts.

PLEASURE
Réalisé par Ninja Thyberg
Avec Sofia Kappel, Revika Reustle, Evelyn Claire
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