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« Les Olympiades », chronique d’une jeunesse qui se cherche

« Les Olympiades », chronique d’une jeunesse qui se cherche

Maxime Gros

Jacques Audiard propose un genre hybride, une forme de cinéma qui n’existait pas jusqu’alors, afin de questionner le discours amoureux. Le récit morcelé mais ancré dans le réel construit une sorte d’essai, comme une étude du genre humain, d’une jeunesse qui commence sa vie active mais souhaite déjà changer son parcours.

Paris 13ème, quartier des Olympiades, des destins se croisent, ceux de quatre jeunes en particulier. Emilie trouve un nouveau colocataire, Camille. Elle l’aime. Mais Camille est attiré par Nora qui elle-même est obnubilée par Amber. En apparence, un triangle amoureux dans la construction, néanmoins ce n’est pas du tout si manichéen. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux. Au rythme d’une vie simple les chemins des uns et des autres s’entremêlent.

Récompensé en 2018 de la Palme d’Or pour Dheepan, Jacques Audiard était de retour avec Les Olympiades en compétition officielle au Festival de Cannes… Mais est reparti bredouille

La loi du désir au XXIe siècle

Les personnages vivant aux Olympiades, dans le 13ème arrondissement de Paris, sont en pleine quête de sens, de sexe et d’amour. Jacques Audiard et ses co-autrices Léa Myssius et Céline Sciamma n’explorent pas le quartier asiatique de Paris, les Olympiades, mais les émois d’une jeunesse trentenaire parisienne sans repère vivant dans ces tours et autour. Le long métrage est une véritable chronique d’un monde poreux, plus inclusif, moins patriarcal aussi, et fait l’expérience de raconter une histoire enracinée dans des problématiques de la société d’aujourd’hui. Plus spécifiquement, le scénario cherche où sont l’amour, le désir et le dialogue dans le rapport des jeunes adultes de la classe moyenne entre eux en 2020.

Ces personnages sont incarnés avec une grande vitalité par les acteurs Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, et l’hypnotique Jehnny Beth – qui vampirisait déjà l’écran dans Un Amour Impossible de Catherine Corsini. Cette dernière incarne Amber Sweet, une travailleuse du sexe spécialisée dans les live cams, dont l’histoire apporte des enjeux d’une forte et poétique modernité. Jamais Audiard ne juge, ne tombe dans le moralisme ou le pathétisme, et toujours sur le fil, il semble capter le réel sans être dépassé par son sujet. La sexualité, filmée à de nombreuses reprises et frontalement, a une place très importante dans le scénario, mais n’apparaît jamais comme vulgaire ou dérangeante, peut-être grâce à l’intimité créée par les clairs obscurs et l’utilisation du noir et blanc tout au long du film.

Les Olympiades sort des schémas habituels : le film se construit comme une chronique de la vie de la génération Y, où l’on discute plus facilement après l’amour qu’avant

Portrait d’une jeunesse en peine

La façon dont Audiard se saisit de son sujet est étonnante comme un premier film. Le cinéaste s’aventure dans quelque chose de nouveau, avec une première partie qui commence comme un essai sur la vie ordinaire, sans enjeux dramatiques. Mais où va-t-il, où va t-il nous emmener ? Avec l’arrivée d’Amber le film gagne en consistance, en urgence, en danger, et la vie anecdotique captive par l’universalité de ses micros-problèmes. Au fond, rien n’est grave, le plus important étant que l’on vive. Il y a cette très étrange sensation d’avoir vu le premier film d’un réalisateur émergent, qui reste en sortant de la salle, bien qu’il s’agisse de son neuvième film. Les questions que pose Les Olympiades sur le rapport au regard et les injonctions de la société, sur la place de la jeunesse et la légitimité de ses revendications, sont celles de la génération Y. Le film a ceci de singulier que c’est un renouveau complet, et un retour aux sources en même temps.

C’est un peu de Rohmer, de Rivette, de Garrel ; on parle beaucoup, on ressent le temps, puis se questionne sur l’amour. Cette jeunesse qui se cherche est aussi parfaitement incarnée par des rôles secondaires bien écrits et joués avec une grande véracité. La puissance de ce long métrage réside probablement dans sa distance, Audiard ne prend pas part pour l’un ou l’autre des personnages, et laisse les actions se dérouler quitte à construire son histoire plutôt dans les temps morts que dans des moments d’action. Il fait confiance à ses personnages très bien pensés parce qu’ils existent exclusivement grâce à leurs relations aux autres. C’est à la fois un regard sur une époque, une jeunesse qui se transforme, un quartier qui se construit, au rythme lent mais constant, accompagné par la musique du talentueux Rone – César 2021 de la meilleure musique originale pour La Nuit venue, de Frédéric Farrucci.

Certains plans et cadrages rappellent les expérimentations de Regarde les hommes tomber (1994) et Sur mes lèvres (2001). À la différence qu’ils ont pour but de poétiser le quotidien, comme par exemple ici, le vignetage qui obscurcit les bords du cadre quand Emilie court sous la pluie

Un point de vue sincère

Ce qui pourrait passer pour un projet très politiquement correct, scolaire et appliqué à ne froisser aucune communauté (sexuelle, ethnique, religieuse…) est en réalité une vraie prise de partie. Le film apparait comme très sincère et son réalisateur semble croire avec conviction que la jeunesse change les choses bien plus qu’elle ne les subit. On peut ne pas être d’accord, mais on ne peut nier la grande réussite de l’atmosphère qui se dégage, quand Audiard fabrique un espace-temps palpable.

Enfin, le dernier point fort de cette sortie dans les salles obscures reste que les formidables romans graphiques d’Adrian Tomine, dont est adapté le film, étaient peu accessibles en France et encore moins en français. Le film a probablement poussé Delcourt à rééditer deux recueils de l’auteur dont les histoires sont toutes basées sur des problèmes de relationnel. En sortant du cinéma, tu sauras quoi offrir au pied du sapin pour Noël.

LES OLYMPIADES
Réalisé par Jacques Audiard
Avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, Jehnny Beth
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