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Interview : Éric Judor revient avec son double parodique dans « Platane, saison tree »

Interview : Éric Judor revient avec son double parodique dans « Platane, saison tree »

Astrid Verdun

Photo par Jacques-Henri Heim.

Six ans après la saison 2, « Platane, saison tree » débarque sur Canal+. Diffusés sur la chaîne cryptée à partir du 9 décembre 2019, les huit épisodes sont également disponibles sur la plateforme MyCanal. Rencontre avec celui qui a malmené nos zygomatiques pendant une heure, (le vrai) Éric Judor.

Lancée en 2011, la série Platane raconte « la vie inventée » d’Éric Judor. Lâché par son acolyte Ramzy Bedia, il doit se réinventer, tantôt en réalisateur de films d’auteur, tantôt expatrié au Canada pour trouver l’amour. Avec un sentiment de madeleine de Proust, on retrouve son double parodique cette fois devenu réalisateur de publicités adoubé par Jacques Séguéla himself. Mais reste une constante ; c’est un indécrottable loser égocentrique.

À travers sa série d’échecs, il est toujours accompagné de Flex (Hafid F. Benamar), son beau-frère, sorte de sangsue lunaire qui habite chez lui, et surtout entouré par des personnalités qui jouent leur propre rôle. Six ans après la saison 2, le concept ne change pas, Éric Judor arrose son Platane d’une flopée de guests célèbres. Pour notre plus grand plaisir, Laurent Lafitte, Jamel Debouzze, Fred Testot, Florence Foresti, Mathieu Kassovitz ou encore Gilles Lellouche passent une tête pour un épisode ou plusieurs. Jubilatoire.

Astrid : Éric, bonjour. Est-ce que ton double mythomane et de mauvaise foi t’avait manqué pendant toutes ces années ?

Éric Judor : En quelque sorte, il m’a manqué parce que le personnage est jouissif à écrire. Il a tellement d’aspérités, tellement de défauts que tu le plonges dans n’importe quelle situation, il va en sortir un truc compliqué. Il est menteur, il est roublard, il est carriériste, il est égocentrique… Je lui ai mis une tonne de défauts pour pouvoir rigoler avec.

A. T’as travaillé sur d’autres projets depuis la fin de la saison 2, comme La Tour Infernale 2 et Problemos, mais t’étais très attendu pour la suite de Platane par les fans de la première heure. Finalement, quelle incidence ces six années ont eu sur cette saison 3 ?

E.J. En laissant passer six ans, on accumule des idées, on voit que le monde change, on voit que le monde de la série change aussi et surtout on voit que le monde de la comédie change. Pour y travailler depuis près de 23 ans, je me rends compte que la comédie évolue de plus en plus vite. Tous les deux-trois ans, t’as un nouveau style qui devient tendance sur lequel le public se jette, et les styles deviennent ringards très vite.

C’est en regardant aussi Catastrophe, une série britannique, et les séries que fait Phoebe Waller-Bridge comme Crash, Fleabag et même Killing Eve qu’on se rend compte que le rythme est intense. Ce ne sont pas que des situations drôles, chaque phrase est quasiment une punchline. Et donc, pour la saison 3, avec toutes ces nouvelles références, j’ai dû évidemment évoluer et ne pas revenir avec les temps et les silences de la saison 1 et 2, ce rythme-là qui était une écriture filmique et comique d’il y a dix ans. Si je revenais avec la même chose, j’étais un vieux con.

Photo par Jacques-Henri Heim
A. Encore plus dans cette nouvelle saison, tu repousses les limites de l’absurde, notamment lorsque ton personnage pense qu’il est la réincarnation d’Hitler ou lorsqu’il se retrouve à travailler sur un film avec l’église catholique et Florence Foresti (!). Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller aussi loin ?

E.J. On dit que cette saison c’est du n’importe quoi et que ça va dans tous les sens mais, il y a deux mois, le Vatican a lancé sa plateforme pour promouvoir et produire des séries et des films qui vont dans le sens de la morale de l’Eglise. Moi j’appelle ça un visionnaire, j’appelle pas ça un mec foutraque (rires). Donc « Hello, je suis super fort, j’ai des visions » ! Ce n’est pas totalement absurde, ça peut exister. Mais c’est vrai que j’avais envie de surprendre encore plus. J’avais peur que la mécanique de Platane, celle de disséminer des indices dans différentes séquences pour aboutir à une conclusion soit trop attendue, j’avais peur que les gens commencent à bien maîtriser cette mécanique et à anticiper la chute. Ça, ça m’angoissait. C’est pour ça que cette saison 3 est très tordue et difficile à anticiper.

A. On a parlé de ton double antipathique mais, cette fois, il a une vraie volonté de devenir meilleur et d’évoluer. Pourquoi lui laisses-tu la chance d’être quelqu’un de bien ?

E.J. Tout sale personnage a le droit à la rédemption. Je pense que le plus méchant des personnages a eu, au moins une fraction de seconde, envie d’être bon un jour dans sa vie. Contrairement aux saisons précédentes, j’avais conscience dès le premier épisode de cette saison qu’il fallait faire évoluer mon personnage et tenter de le rendre bon. Une fois qu’il a fait son expérience d’Ayahuasca au Pérou, ça l’a profondément changé, et sa première étape ça va être d’aller s’excuser auprès de tous les gens à qui il a fait du mal toute sa vie. Et la première personne qu’il a le plus blessée c’est sa fille qu’il n’a jamais vue. Cette rupture-là, pour la série, nous amène vers une autre façon d’être drôle. Il est drôle parce qu’il essaye d’être bon naïvement. Il pense que dire la vérité est bien et qu’il faut être franc, quitte à dire des horreurs à sa fille, comme cette phrase misogyne qui me revient : « Dix ans, même pas réglée, déjà folle ».

« Tree, j’ai dit Saison Tree »
A. Dès le début, le concept de Platane est d’intégrer à l’histoire des personnalités jouant leur propre rôle. Comment as-tu choisi les guests de cette saison 3 ?

E.J. La question des guests se pose en amont. Avec qui on a envie de déconner ? Qui est chaud pour Platane, aussi ? Cette fois-ci, il y a des guests qui ont manifesté l’envie de jouer dans la série, ce qui est la grande différence avec la saison 1 où il fallait que je réussisse à convaincre les gens de venir. Là, ils avaient déjà eu le loisir de voir les deux premières saisons donc ils savaient à quoi s’attendre. Par exemple, avec Jamel on s’était un peu perdus de vue depuis quelques années et il m’a fait comprendre qu’il avait envie de venir dans Platane. Moi j’étais comme un fou, j’étais ravi de retrouver mes bases comiques, nos fondements « Eric, Ramzy, Jamel ».

A. Et parmi les guests de cette saison, quelle rencontre t’a le plus marqué et pourquoi ?

E.J. C’est clairement ma rencontre avec Florence Foresti. Je ne la connaissais pas, je la regardais de loin parce que j’avais toujours l’impression qu’elle était « homogyne »… Comment on dit « qui n’aime pas les hommes » ? (Astrid : On dit misandre). Oui, bah tu diras que j’ai trouvé le mot tout de suite (rires). Donc j’essayais d’éviter du regard Florence Foresti parce qu’elle me faisait peur. Mais par l’intermédiaire de Jamel et de Ramzy qui la fréquentaient beaucoup, j’ai compris que ça lui plairait de passer sa tête dans Platane alors on a bu un café ensemble et à partir de là je suis tombé amoureux… d’une misandre. En réalité, elle est hilarante et d’une gentillesse incroyable. Je vous la conseille, franchement.

Depuis, le moral est au beau fixe
A. Sans trop en dévoiler, le crossover avec Le Bureau des Légendes est assez magistral. Pourquoi faire venir Malotru (interprété par Mathieu Kassovitz) dans l’univers Platane et comment s’est créée cette collaboration ?

E.J. Je trouve que Le Bureau des Légendes est la meilleure série française de tous les temps, j’adore tout ce que fait Eric Rochant (NDLR : le créateur de la série), et le personnage de Malotru est ultra sérieux, sinistre, il est vraiment interdit en comédie. J’ai eu envie de me servir de ça. On prépare un late show (NDLR : pour Canal+) avec Ramzy pour lequel on a enregistré quelques sketchs et on avait fait participer Mathieu Kassovitz. La collaboration était déjà très très drôle donc je lui ai proposé de venir dans Platane. Pour moi, ce rôle d’agent secret est à l’opposé de l’humour. C’est vraiment le négatif du comique, c’est comme la matière noire qui absorbe l’humour et qui l’éteint. Je trouvais ça génial de jouer face à ce mec qui absorbe toute matière drôle, je me débats et fais tout mon possible pour être marrant face à un trou noir, et en même temps, ça le rend hilarant, lui. Il me fallait le personnage le moins drôle du monde, comme un challenge. Si on arrive à faire rire avec ce personnage c’est qu’on a atteint le graal ; savoir faire rire avec un trou noir.

A. La dernière question est la question signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’un artiste ?

E.J. C’est quelqu’un qui, malgré lui, est obligé de vomir des choses, de les sortir de lui, pour un public ou pour personne. Mais qui le fait de manière compulsive et incontrôlable. Il est obligé de sortir des choses inutiles qui saupoudreront peut-être des petits moments joyeux, étincelants, beaux sur la vie des gens. Un vomi scintillant. De la gerbe étoilée, c’est ça un artiste.

PLATANE, SAISON TREE 

Série écrite par Eric Judor, Thomas Bohbot, Baptiste Nicolaï, Cheikna Sankare
Réalisée par Eric Judor

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