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Interview : Ed Picard déclare sa flamme au cinéma dans « Film Me »

Interview : Ed Picard déclare sa flamme au cinéma dans « Film Me »

Marin Woisard

Sept prix en festivals internationaux. Plus d’une vingtaine de sélections à travers le monde. Une aura de fashion film que l’on se passe sous le manteau entre gens de bon goût. Il était temps de mettre la lumière sur la dernière progéniture du réalisateur français Ed Picard. Son petit nom ? Film Me.

Parisien expatrié à Londres, Ed Picard fait partie de ces fonceurs qui franchissent La Manche en deux temps trois mouvements. Le réalisateur est rejoint par son pote d’enfance devenu motion designer, JM Seneca, pour fonder sur les terres anglaises le binôme créatif Tango & Cash. Le duo de choc s’arme de caméras, au nombre de cinq dans Film Me, et affûte son esthétique publicitaire, en réalisant du branded content. Comme Ed l’a appris aux côtés de Thierry Mugler, dont il fut l’assistant puis le directeur artistique, la différence réside dans l’attention portée aux détails. Un geste, un plan, une lumière.

Il n’y a pas de hasard si Film Me est un condensé de marques générationnelles et d’un attrait particulier pour la mode. Tout est là. Un haussement de sourcils pour une dégaine sexy. Un travelling longiligne beau à se pâmer. Des flashs qui crépitent sur le plateau d’une publicité de parfum. Ed Picard fait valoir sa mesure de l’artisanat filmique, des années 30 à aujourd’hui, en donnant un coup de jeune à Grace Jones et Steven Spielberg dans un ultime plaisir coupable. Film Me, conjugué à l’impératif, résonne comme l’injonction à être filmé, en tous temps et en tous lieux.

Marin : Salut Ed. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parle-moi un peu de toi. Tu as travaillé pour Thierry Mugler en tant qu’assistant puis directeur artistique de 2010 à 2015, que t’ont apporté ces différentes expériences ?

Ed Picard : Je travaillais sur des plateaux de ciné et d’un coup, je me suis retrouvé à bosser pour Mugler et son équipe, c’était un monde totalement nouveau pour moi. Ça m’a énormément ouvert l’esprit artistiquement. J’étais vraiment un produit de ma génération et là j’ai découvert un univers beaucoup plus vaste. Je pense que ce que je retiens principalement de ces années est comment Mugler se battait pour ses idées. Après tant d’années, il n’était pas blasé et se refusait à faire des compromis pour les mauvaises raisons. Il m’a aussi appris que « le diable est dans le détail » : c’est souvent un détail qui fait que le spectateur kiffe vraiment au moment T.

M. : En 2017, tu t’es associé à l’artiste VFX JM Seneca pour fonder le duo Tango & Cash. Quel était l’objectif derrière ce binôme ?

EP. : On est potes depuis le lycée avec JM, on était en section cinéma ensemble. Il a monté mes premiers court-métrages quand on était ado. Depuis quelques années, on bossait ensemble sur des projets où il apportait beaucoup de ses idées, prenait le lead sur la post-production et on avait envie d’officialiser notre collaboration en quelque sorte. On voulait créer une boîte et lui donner un nom pour produire nos projets de clips, de court-métrages et de documentaires. L’idée de Tango & Cash; c’est aussi l’association entre deux mecs aux parcours très différents mais qui ont la même vision.

« Film Me » remonte le temps avec cinq caméras différentes… Et donne un coup de jeune à Grace Jones au passage.
M. : Ce duo a abouti sur la création de Film Me. Comment t’est venue l’idée de traverser les époques et les formats avec ce film ?

EP. : J’avais trouvé une caméra 16mm Beaulieu de 1958 (celle que l’on voit dans la partie 50’s) dans un vide-grenier il y a 10 ans. J’avais toujours voulu l’utiliser mais je cherchais le bon projet. Quand Einat Dan m’a proposé de faire un film ensemble, je me suis dit que c’était la bonne occasion. Après avec Tobias Marshall, le chef op’, on s’est dit que ça serait cool de tester plein de formats différents et de tous les relier à un style et une époque du cinéma. Je n’avais jamais tourné en pellicule en tant que réalisateur et c’était un rêve de gosse. On est allé faire les premiers essais et on était étonnés de la qualité du rendu, la caméra n’avait pas tourné depuis 40 ans mais elle était en parfaite condition et elle sortait des images magnifiques.

M. : Les plans ont-ils été tournés avec les caméras que l’on voit à l’image (Super 8, 16MM, VHS…) ? Les caméras tournaient quand elles étaient à l’image ?

EP. : Oui, à part pour la VHS. La grosse caméra qu’on voit dans le film ne marchait pas le jour du tournage et on a dû utiliser la caméra VHS back-up que l’on avait, qui était beaucoup moins intéressante visuellement. Je voulais garder la grosse caméra VHS, elle me rappelait celle de Marty McFly dans Retour vers le futur. Pour les autres, on tournait réellement avec les caméras qu’on voit à l’écran, pendant les prises, et après le chef op refaisait une prise de sécurité, au cas où. C’était important pour moi de procéder comme ça, je pense que le spectateur ressent cette impression de réalisme et aussi ça fait beaucoup plus sens pour le montage.

M. : Quelle est la part de post-production pour obtenir le grain et la texture des images de l’époque ?

EP. : Il n’y a pas d’effets visuels dans le film. Il y a juste de l’étalonnage, le but était de renforcer le style d’origine de l’image. Pour la dernière partie, il fallait trouver une vraie différence dans le style car les deux sont tournées en numérique. Même si la deuxième partie est tournée avec une petite caméra. Il n’y a pas non plus de retouche beauté. Aujourd’hui, beaucoup de plans dans les films de beauté sont truqués et on voulait filmer nos modèles de manière brute et vraie.

M. : Il y a aussi la mode qui est indissociable des époques que tu traverses avec Film Me. Comment as-tu bossé avec la direction artistique ?

EP. : Einat Dan, la directrice artistique, s’est occupée de cette partie. Avec Joey Bevan, le styliste, ils m’ont présenté des idées de tenue qu’on a validé ensemble. Notre objectif était d’allier une certaine qualité, une originalité – qui sont nécessaires pour un fashion film – avec des éléments clés faisant partie de l’inconscient collectif qui nous ramènent directement à une époque. Pour le noir et blanc, Joey a trouvé une designeuse de robe vintages qui a fait un super boulot. Pour les années 80, c’est peut-être là où j’avais l’idée la plus précise, je voulais Grace Jones ! Après, il fallait travailler aussi la tenue du réalisateur, je voulais qu’elle ne soit pas trop marquée, que juste des éléments changent. J’avoue qu’on s’est fait kiffer là aussi sur les 80’s, quand Joey m’a proposé une tenue Steven Spielberg période E.T. avec la casquette, les lunettes aviator et le blouson en jean trop grand.

« Le plateau est devenu silencieux, on entendait juste la pellicule tourner dans le magasin. C’est peut-être con dit comme ça, mais c’est là qu’on sent la différence de tourner en pellicule, il y a quelque chose d’artisanal et d’assez religieux. »
M. : OK, vous vous êtes fait plaisir ! Tu me racontes une anecdote particulièrement représentative du tournage ?

EP. : On mettait de la musique pendant le tournage en rapport avec l’époque qu’on filmait, ce qui donnait une super ambiance sur le plateau. C’était un joyeux bordel nécessaire pour toutes les séquences Behind the scene. On voulait que l’équipe continue à vivre normalement sans se préoccuper qu’on tourne ou non. Ça a été un peu différent quand on a tourné en pellicule. On en avait une quantité limitée pour des raisons de coûts, et il fallait que ça marche vite. Aujourd’hui, on a tendance à filmer les répètes. Là, on a fait ça à l’ancienne avec des vraies répètes et quand on était rodé, on a filmé. Le plateau est devenu silencieux, on entendait juste la pellicule tourner dans le magasin. C’est peut-être con dit comme ça, mais c’est là qu’on sent la différence de tourner en pellicule, il y a quelque chose d’artisanal et d’assez religieux.

 

Je pense spécialement à notre génération qui a fait le pont entre la pellicule et le numérique. Quand j’ai commencé, tout se tournait encore en pellicule et en l’histoire de quelques années, tout a changé. Je pense que c’est important de continuer d’utiliser différents formats si possible, plutôt que d’essayer de les reproduire en post-prod.

M. : Tu as reçu 7 prix dans des festivals internationaux et plus d’une 20aine de nominations. Il y a un prix ou une nomination dont tu es particulièrement fier ?

EP. : Le prix de meilleur film au Lyon Fashion Film festival nous a fait vraiment plaisir. C’était notre premier prix de meilleur film et la première projection en France.

M. : Dans quel festival rêverais-tu que le film soit sélectionné ?

EP. : J’aimerais bien faire un festival à Paris car c’est ma ville, et peut-être toucher des festivals plus grand public et généralistes. Après on peut toujours rêver avec les grands festivals de court-métrage à travers le monde.

M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine : quelle est ta définition d’un artiste ?

EP. : « Artiste » est souvent synonyme de qualité de création, mais je le vois plutôt comme une manière de vivre que comme un label de qualité. Un artiste pour moi, c’est un artisan qui a besoin d’exprimer sa vision du monde à travers un art de manière sincère. C’est quelqu’un qui associe savoir-faire, instinct et sensibilité.

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