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Interview : Dans les loges du Festival Chorus avec UssaR

Interview : Dans les loges du Festival Chorus avec UssaR

Anoussa Chea
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Quelques heures avant son concert au Festival Chorus, on s’est entretenu avec UssaR dans sa loge avant de le suivre pendant ses balances.

Cela fait maintenant un peu plus d’un an que UssaR est entré dans le paysage musical français avec son titre 6 Milliards. S’en est suivie, quelques semaines plus tard, la sortie d’un premier EP sobrement intitulé UssaR. La première écoute a été une véritable claque. Voix chaude et grave, productions léchées et accrocheuses, morceaux piano-voix intimistes, le chanteur nous balade entre Paris et la Normandie, entre le brut et le sensible. Sa mélancolie en toile de fond, il nous propose des Étendues de paysages à découvrir.

On avait croisé UssaR la dernière fois lors des auditions des iNOUïS du Printemps de Bourges à FGO-Barbara. Aujourd’hui, on le retrouve à La Seine Musicale, quelques heures avant son concert au Festival Chorus. On s’est entretenu avec l’artiste dans le calme de sa loge où trônait un magnifique piano quart de queue. Après l’interview, on a pu assister à l’installation de son matériel et à ses balances. L’occasion pour nous de capturer quelques instants entre le rush des préparations, l’excitation et l’énergie du concert. C’est avec un plaisir non dissimulé et accompagné d’un large sourire qu’UssaR est monté sur scène pour présenter son projet avec cette volonté sincère de se livrer et de se confronter à son public, tel une mise à nu de ses émotions, de son univers et de sa mélancolie, sans toutefois jamais y succomber.

Anoussa : Hello UssaR ! Comment vas-tu à H-2 de ton concert au festival Chorus ?

UssaR : Ça va au top. La reprise du live est un vrai bonheur et fait beaucoup de bien. Ce soir, c’est déjà ma sixième date. On peut commencer à parler de tournée (rires). La seule et dernière date où j’ai joué devant un vrai public remonte au 26 février 2020 aux Trois Baudets. Là, je commence tout juste à faire vivre le projet sur scène pour de vrai.

A. : Comment appréhendes-tu le live ?

U. : C’est cool parce que ça fait bouger tellement de lignes. Avoir des gens en face de toi permet de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Tu vois les transitions qui fonctionnent ou les morceaux qui sont esseulés. Je réajuste mon live de date en date sur le son, les transitions ou la tonalité. D’une date à une autre, le show n’est pas le même. Par exemple, j’ai passé certains morceaux en piano/voix. Pour le premier concert, je ne faisais pas 6 milliards en piano/voix, je la faisais avec des machines et des synthés qui se baladaient un peu partout, c’était que de la texture. Aujourd’hui, j’aurais un peu de mal à la triturer et me ferais insulter si je ne la jouais pas en piano/voix.

A. : Tu es seul sur scène. Aimerais-tu évoluer vers une formation à plusieurs musiciens ?

U. : Pourquoi pas. Mais on ne va pas se mentir, il y a des réalités économiques et sanitaires qui font que quand ton projet est en développement, il faut que tu sois mobile, que tu puisses bouger en train. On te propose aussi beaucoup de premières parties, tu as donc des patchs réduits, c’est à dire que le nombre de tranches qu’on t’ouvre en console façade est moindre.

A. : D’où l’utilisation des machines ?

U. : Ma musique vient des machines. Je n’ai pas renié quelque chose pour pouvoir jouer solo car c’était une vraie volonté d’être solo. Mais pour le moment, je ne veux pas donner des parties qui ont été pensées pour des machines à des humains. En revanche, ajouter des choses, réinterpréter dans un esprit différent est très intéressant. Aujourd’hui, la plupart des gens qui viennent me voir ne connaissent pas l’EP. Je me dois d’être un peu fidèle à ce qui est sur l’EP. Je ne peux pas leur proposer quelque chose de radicalement opposé. C’est important d’avoir une certaine cohérence entre le live et l’EP mais avec des versions différentes en live.

« Je réajuste mon live de date en date sur le son, la transition ou la tonalité. D’une date à une autre, le show n’est pas le même » © Anoussa Chea
A. : Abordons d’ailleurs la réédition de ton premier EP. Pourquoi l’avoir appelé Étendues ?

U. : La première version de l’EP n’avait pas de titre. Il s’appelait juste UssaR. Avec la réédition, il y a ce côté « UssaR étendu ». C’est la traduction littérale de « extended ». Et, comme tout l’EP tourne autour d’un voyage entre Paris et la mer, l’intérieur et l’extérieur, c’était intéressant de le nommer Étendues. Ce titre raconte vraiment l’EP parce que je m’autorise à aller dans des endroits différents. Je trouvais que c’était bien de proposer une palette, des étendues.

A. : Tu as juste sorti le titre 6 Milliards puis la première version de l’EP…

U. : Je ne pouvais pas sortir juste le titre 6 Milliards. L’EP se pose dans son entièreté. 6 Milliards n’existe que parce qu’il y a Loin, La Violence. Plus je morcelais, moins j’arrivais à raconter mon projet. J’avais besoin de sortir des titres pour montrer l’entièreté de mon univers.

A. : Étendues comporte 4 nouveaux titres. Quelle est l’histoire de ces morceaux ?

U. : Ce sont 4 nouveaux titres qui existaient déjà et que je jouais en live mais qui n’avaient pas été retenus pour le premier EP. Je suis hyper content d’avoir pu rajouter des titres qui sont beaucoup plus abstraits et basés uniquement sur des boucles. Par exemple, Il pleut dehors, qui est l’un de mes titres préférés, est un morceau de milieu d’album qui est hyper agréable à écouter sur un disque de 10 titres. Sur un disque de 6 titres, il fallait peut-être montrer plus de chansons et je n’avais pas envie de me priver d’une chanson comme Antilles Normandie, par exemple. Ce ne sont que des questions de choix. Ces nouveaux titres ont tous été ré-arrangés. Je suis notamment très fier de Le Havre, qui est aussi l’un de mes préférés. J’ai passé autant de temps sur ce titre que sur les 3 autres morceaux.

A. : Pourquoi ce titre t’a pris tant de temps ?

U. : Parce que ce titre possède vraiment un storytelling et il est dur dans sa forme, dans son mix. Je voulais vraiment qu’il y ait plusieurs parties, un crescendo, quelque chose qui avance, que ce soit surprenant. Je voulais aussi qu’il finisse l’EP et qu’il soit le répondant à Loin qui est le premier morceau de l’EP. Dans Loin, je termine en disant « Rouler solo à bord périph » et je commence Le Havre en disant « Je crois que j’ai roulé à contre sens ». Il y a une espèce de symétrie qui pose l’EP.

A. : Dans le making of de 6 Milliards, tu dis « UssaR, c’est la guerre des sentiments, le plaisir de se laisser aller à une mélancolie sans y succomber ». Peux-tu développer ?

U. : Dans la mélancolie, il y a quelque chose de l’ordre du sucré. Pourquoi les morceaux tristes nous font tant de bien ? Ils ne te mettent pas dans le mal car c’est une espèce de baume, de catharsis. Au final, les morceaux tristes nous font beaucoup de bien et tu t’y complais un peu. T’as plaisir à aller retourner voir un morceau qui te fait un peu de mal. Le but est de dompter cette mélancolie, de la regarder avec un petit sourire aux lèvres, de la faire sienne. Avec mes morceaux, j’essaie d’être dans la sensibilité sans tomber dans la sensiblerie, le pathos ou le misérabilisme.

A. : Et qu’entends-tu par « la guerre des sentiments » ?

U. : C’est un peu un combat d’assumer mes morceaux, de les défendre, de les sortir de moi, de les présenter devant le public car ce sont des choses très personnelles. Le meilleur moyen d’assumer ce combat intérieur est de dire que c’est un combat et que c’est dur. Ça ne se voit pas mais je suis extrêmement pudique. Sur scène, ma pudeur s’efface et mon exhibitionnisme passe par mes morceaux. Emmanuel est pudique mais UssaR est exhib’ et se met à poil.

A. : Est-ce également un combat pour toi de monter sur scène ?

U. : C’est un vrai plaisir. Je me livre et c’est vraiment très fort. J’ai l’impression de prendre de plus en plus de plaisir, d’être sur la bonne voie, d’être de plus en plus honnête sur scène et d’être dans le vrai à chaque concert. Ce qui est très important.

A. : Quelle direction veux-tu donner à UssaR ?

U. : J’essaie de faire en sorte que le projet soit extrêmement léché. Je prête beaucoup d’attention aux micros de transition, aux petits sons, au mix. Quand j’arrive sur scène, j’aime garder cette attention pour les détails mais il faut aussi que ça soit plus brut, plus direct. Je ne peux pas me planquer derrière le micro son parce que les gens viennent me voir pour mes chansons. Et, même scéniquement, avant je n’étais jamais face au public, j’étais de profil 3/4 alors que maintenant, je suis de face pour pouvoir assumer le regard du public. Même si scéniquement, c’est moins beau, c’est le jour et la nuit et c’est tellement plus un kiff.

« C’est un peu un combat d’assumer mes morceaux, de les défendre, de les sortir de moi, de les présenter devant le public car ce sont des choses très personnelles » © Anoussa Chea
A. : Ton EP est sorti en juillet 2020. Entre temps et en l’espace de 6 mois, tu as signé chez le label BMG et le booker À Gauche de la Lune. La progression a été assez rapide…

U. : Oui, c’est allé un peu vite. J’ai rencontré les bonnes personnes. Anne-Claire, ma manageuse, a énormément œuvré pour que ça aille vite. On a eu la chance d’avoir beaucoup de propositions et je voulais qu’on se décide vite. Je ne voulais pas traîner parce que j’avais envie de commencer à me mettre au travail.

A. : Une telle ascension n’est-elle pas trop source de pression ?

U. : C’est hyper cool mais c’est aussi beaucoup de responsabilités parce que je veux proposer et faire écouter ma musique au plus grand nombre. J’assume complètement le fait d’être ambitieux avec ce projet, dans ma musique, dans mes arrangements. J’ai très envie que ce projet marche. Ceux qui te disent le contraire sont soit fous, soit mythos. Il n’y a rien de honteux à vouloir proposer sa musique au plus grand nombre.

A. : Tu as aussi fait partie des artistes retenus pour le Chantier des Francos 2021. Qu’est ce qu’il t’a apporté ?

U. : C’était un moment intéressant de réflexion sur soi, sur le projet, de se confronter à des visions différentes auxquelles tu adhères ou pas, mais au moins cela permet de te poses des questions. Les intervenants te proposent des choses, te voient d’une certaine manière ce qui t’oblige aussi à te positionner. C’est intéressant d’avoir leurs avis teintés de leurs expériences. Ce sont des périodes où tu travailles sur ce que dégage ton projet et le ressenti et la vision que peuvent avoir les gens face à ton projet et face à toi. Je suis reparti avec beaucoup de questions qui ont cheminé. Repartir avec des questions est l’un des plus beaux cadeaux qu’on puisse te faire. Aujourd’hui, j’ai réussi à répondre à certaines d’entre elles. Au Chantier, personne n’est là pour te donner des réponses. Ce n’est pas le but, ce n’est pas ce qui est recherché.

A. : Nous sommes aujourd’hui au Chorus. Quel sont tes meilleurs souvenirs de festival ?

U. : En tant que musicien accompagnateur, je pense au concert de Kerry James aux Vielles Charrues. Il y avait 30 000 personnes et on a fait un pur concert qui était hyper cool. En tant que festivalier, j’ai un souvenir de Soul Wax à la Halle de la Villette et de The Dø aux Solidays. Récemment, j’ai pris une claque devant Ben Harper – c’est étonnant parce que je ne suis pas un grand fan – mais c’était hyper musical, classe et détente.

A. : Y a-t-il un festival et/ou une scène où tu rêverais de jouer ?

U. : Franchement, je suis hyper content de faire le Chorus. Je joue à la maison. Il y a plein de festivals que j’adore en France : la mythique scène Foulquier des Francos de la Rochelle, les Vieilles Charrues, le Festival du bout du monde à Crozon. Et, j’adorerais jouer au Théâtre de la Mer à Sète.

A. : Dans ta bio, on peut lire qu’au lieu de passer ton partiel de droit fiscal, tu as préféré aller à une session d’enregistrement, ce qui a scellé la suite de ton destin…

U. : J’avais le sentiment que c’était le moment. La musique prenait de plus en plus de place et je voyais que je ne pourrais pas être heureux avec elle juste en hobby. Il fallait que ça me brûle, qu’elle soit tout. Mes parents m’ont beaucoup soutenu parce que les débuts dans la musique ont été un peu durs. Mais, sous le coup de l’énervement, la première réaction de mon père a été de me dire « Va faire pim pam poum dans les caves ». J’ai adoré cette phrase parce qu’on dirait un titre de bouquin de Boris Vian.

A. : On arrive à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?

U. :  Je me suis souvent posé cette question de la différence entre un artiste et un artisan. Quand tu manipules les mots, tu appliques un savoir-faire, quelque chose que tu apprends, un vocabulaire. Et encore plus dans musique et la poésie où j’ai vraiment l’impression de travailler avec des matières. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur d’avoir quelque chose dans la main ou dans les oreilles. Quand j’écris de la musique, j’essaie beaucoup d’aller chercher des sonorités, des textures et des matières. Je me considère comme un artisan qui travaille la matière et qui propose un travail qui lui est personnel.

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