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« Falling » : Viggo Mortensen réalise un premier film touchant et personnel

« Falling » : Viggo Mortensen réalise un premier film touchant et personnel

Alma-Lïa Masson-Lacroix

Le premier film de Viggo Mortensen, sélectionné au Festival de Cannes 2020, raconte la relation difficile de John et son père Willis, conservateur et obstiné à l’esprit déclinant.

John vit en Californie avec son compagnon Eric et leur fille adoptive Mónica, loin de la vie rurale conservatrice qu’il a quittée voilà des années. Son père, Willis, un homme obstiné issu d’une époque révolue, vit désormais seul dans la ferme isolée où a grandi John. L’esprit de Willis déclinant, John l’emmène avec lui dans l’Ouest, dans l’espoir que sa sœur Sarah et lui pourront trouver au vieil homme un foyer plus proche de chez eux. Mais leurs bonnes intentions se heurtent au refus absolu de Willis, qui ne veut rien changer à son mode de vie…

John tente d’aider son père mais les bonnes intentions du fils se heurtent au refus absolu de Willis de changer son mode de vie ou d’accepter celui des autres

Souvenirs douloureux de famille

Avec Falling, Viggo Mortensen s’essaye pour la première fois à la réalisation et à l’écriture de scénario en plongeant dans ses souvenirs d’enfance et dans sa mémoire encore sensible de relations familiales difficiles. Il commence à écrire ce film au retour de l’enterrement de sa mère, dans l’avion, en accueillant les souvenirs qui remontent d’elle, de son père, de son enfance, dans l’ordre aléatoire de leur émergence. En se laissant guider par la blessure familiale, par le deuil, il offre à ce scénario de fiction une vulnérabilité autobiographique palpable particulièrement belle.

De plus, le film se construit selon les aléas de la mémoire. Des images du présent, des discussions entre John et son père, émergent des souvenirs – comme invoqués par un brin d’herbe, un regard ou une parole. Chaque image devient une sorte de madeleine de Proust et les époques se mélangent sans chronologie précise. Cet agencement entre le passé et le présent est profondément instinctif et offre au film une qualité intimiste et douce.

Après 35 ans de carrière, la consécration du Seigneur des Anneaux et de Green Book, Viggo Mortensen passe pour la première fois derrière la caméra

L’essence de la relation père/fils

Mais surtout, le film parvient avec une précision surprenante à capturer l’essence de la difficulté de la relation père/fils. La recherche d’acceptation et le lien familial fait repousser les limites de ce que l’on peut entendre, de ce que l’on peut subir. Face à un père en proie à un début de démence, quel combat choisir ? Lui faire comprendre les évolutions d’une époque qu’il refuse d’accepter, ou bien sauvegarder le lien familial et l’amour envers le père ?

Le film s’ancre dans des problématiques actuelles – l’homosexualité, le conservatisme – selon l’angle des liens familiaux ; et de fait, parvient à dépasser le manichéisme de la situation pour toucher du doigt la complexité des réalités vécues. Et ces réalités sensibles provoquent des émotions viscérales.

Aux côtés de Viggo Mortensen, l’acteur canadien Terry Chen avait jusqu’alors surtout enchaîné les séries télé et les seconds rôles au cinéma

La science du dialogue

En effet, face au film, on est nous-même plongé dans cette frustration, on est nous-même mis face à ce choix impossible – et en ça, le film est puissant et bouleversant. De plus, le film est une tragédie du dialogue. Lorsque l’un parle, l’autre n’entend pas, et Falling se construit entièrement comme un dialogue qui ne parvient pas à aboutir. Les phrases sont coupées nettes, les idées non exprimées, les questions non répondues – alors s’installe dans le film une tension crescendo du silence et des non-dits, qui ne demande qu’à exploser.

Enfin, Viggo Mortensen réalise et écrit un film émouvant. Sa performance se démarque avec ce rôle plutôt inhabituel pour lui, et Mortensen nous propose un jeu très doux, qui monte lui aussi en crescendo jusqu’à une scène finale au jeu bouleversant. Il signe également la musique, minimaliste à l’extrême, qui ponctue le film en laissant aux images toute leur puissance sensible, sans forcer l’émotion. Ceci étant dit, il est possible de soulever un bémol : l’image, le montage, manquent de personnalité. Si quelques plans s’évadent dans la contemplation ou la recherche stylistique, dans l’ensemble, les images nous surprennent peu et leur conformisme est leur plus grande faiblesse. Dans un film aussi intime, on aurait aimé une recherche esthétique tout aussi intime et personnelle.

En bref, Viggo Mortensen signe avec Falling un très joli premier film. Entre intimité et universalité, on plonge avec justesse dans ces relations familiales et familières, et le film nous propose avec cette tragédie du dialogue des frustrations et des émotions qui résonnent en chacun de nous.

FALLING

Réalisé par Viggo Mortensen
Avec Viggo Mortensen, Lance Henriksen, Hannah Gross
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