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« Dans un jardin qu’on dirait éternel » : Notre critique sans détours du film posthume de Kiki Kirin

« Dans un jardin qu’on dirait éternel » : Notre critique sans détours du film posthume de Kiki Kirin

Alma-Lïa Masson-Lacroix

Le long métrage de Tatsushi Ōmori met en scène la grande actrice japonaise Kirin Kiki, décédée en 2018, dans son dernier rôle. La tradition ancestrale de la cérémonie du thé y occupe une place prépondérante. Mais derrière l’apparat séculaire, le film parvient-il à parler aux cinéphiles d’aujourd’hui ?

Dans un jardin qu’on dirait éternel, 9ème film d’Ōmori Tatsushi, nous présente le cheminement de vie d’une jeune fille, Noriko, jeune diplômée perdue dans une société dans laquelle elle ne trouve pas sa place. Dans sa recherche de sens, elle s’inscrit avec sa cousine à un cours d’initiation au rituel séculaire de la cérémonie du thé. Par l’apprentissage de ce rituel et de la pensée traditionnelle qui s’y rattache, Noriko va s’accomplir. Le film cherche à faire découvrir une culture ancestrale japonaise, à travers une magnifique attention aux gestes, et à se positionner sur la question du lien entre la tradition et le quotidien dans le Japon contemporain.

Ceci dit, bien que l’aspect documentaire de la découverte du rituel soit, je l’admets, passionnant, le film présente à mes yeux une multitude de problèmes. Les premières images du film montrent une famille japonaise de Yokohoma avec une tonalité qui pourrait sembler naïve, presque comique ; puis le ton varie d’une comédie légère à la réflexion sérieuse en passant par le comique de gestes, rendant ainsi le film profondément instable et incohérent. De l’apparente niaiserie aux proverbes sérieux, j’ai passé la séance à me demander si le film était, ou non, au second degré – ce que j’aurais parfois préféré.

Une initiation spirituelle qui semble réduire la pensée japonaise à une suite de proverbes

La seule constante qui m’est apparue demeure la niaiserie, celle du personnage comme de la mise en scène. L’initiation spirituelle de Noriko réduit la pensée japonaise à une suite de proverbes, et la volonté méditative du film se traduit par des plans contemplatifs sur la nature, qui semblent ne répondre à aucune recherche esthétique dans la durée ou le montage. Quant au scénario, il présente à la fois de nombreuses évolutions évidentes mais aussi des incohérences, rajoutant notamment à la fin du film des pans entiers d’histoire en voix-off, sans que l’on comprenne d’où ils viennent… Autant d’incohérences qui me laissent l’impression d’un film bâclé.

Enfin, et surtout, si le film cherche à penser le lien entre tradition et quotidien, à travers le personnage de Noriko qui trouve sa voie par un retour à une tradition ancestrale oubliée, il pose surtout un grand nombre de problèmes quant à mon interprétation de la position du réalisateur. Si je devais n’en citer qu’un, ce serait le message apparemment anti-féministe du film, qui montre une jeune femme abandonnant sa réflexion et son éducation universitaire afin de se complaire dans une tradition ancestrale et patriarcale de la « femme japonaise », en kimono et geta. Face aux gestes de cette cérémonie, elle pose de nombreuses questions qui trouvent comme seule réponse : « Ne pose pas de questions, fais, c’est ça la tradition » (entendu mot pour mot dans le film). La cousine, quant à elle, abandonne joyeusement ses envies d’aventure et son diplôme pour un mariage arrangé et une vie de femme au foyer, sous le regard envieux de Noriko. Le film paraît ainsi prêcher un retour à la tradition en ne proposant ni distance critique, ni réflexion.

Une recherche de l’exotisme qui peine à nous convaincre

En somme, l’univers japonais semble séduire sous un air d’exotisme, laissant penser, face aux plans méditatifs sur la pluie, aux réflexions spirituelles, et à l’initiation à de beaux rituels séculaires, à une volonté artistique. Néanmoins, ce plaisir profondément orientaliste que certains en tirent, ne suffit pas à nous convaincre dans sa cinématographie. Le film n’est ni méditatif, ni spirituel, mais à mes yeux se complaît dans une succession d’images simplistes et de proverbes sans grande profondeur. Surtout, Dans un jardin qu’on dirait éternel semblerait ne vouloir développer aucune réflexion critique sur la société et les rituels qu’il montre, réduisant ainsi la culture japonaise à une succession d’images clichés qui s’exportent bien.

DANS UN JARDIN QU’ON DIRAIT ÉTERNEL
Réalisé par Tatsushi Ōmori
Avec Kiki Kirin, Haru Kuroki, Mikako Tabe
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