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« Radioactive », la fable féministe en demi-teinte de Marjane Satrapi

« Radioactive », la fable féministe en demi-teinte de Marjane Satrapi

Marin Woisard

Adapté du roman graphique du même nom, Radioactive de Marjane Satrapi retrace les découvertes de Marie Curie et de son mari, interprétés par Rosamund Pike et Sam Riley. Fable féministe et historique entrecoupée d’allégories visuelles, sa réalisatrice l’ancre dans les productions post #MeToo, pour le meilleur… Et pour le pire.

Commençons cet article par une histoire personnelle. Le rédacteur que je suis a grandi plus jeune, comme des milliers d’autres français, dans une avenue portant le nom des Curie. Plus précisément aux prénoms de Pierre et Marie Curie, soit l’homme avant la femme. Et c’est cela que la réalisatrice Marjane Satrapi cherche à renverser – ou égaliser, avec son adaptation du roman graphique de Lauren Redniss.

Satrapi dresse un portrait de vie ample introduit sous l’angle de plusieurs flashbacks, tandis que le film s’ouvre aux derniers souffles de la scientifique. De sa rencontre avec Pierre alors qu’elle n’est encore que Marie Sklodowska, jusqu’à l’envol de sa carrière et ses nombreuses vies en tant que chercheuse, professeure et soutien à l’effort de guerre, la réalisatrice offre un récit riche et tangible qui séduit par ce qu’il raconte, mais déroute par sa manière de le raconter.

Radioactive est aussi le récit d’une rencontre entre les deux scientifiques, d’un attrait intellectuel et amoureux

Une fresque humaniste convaincante…

En mai dernier, Marjane Satrapi expliquait sa motivation pour Radioactive : « J’ai eu envie de faire ce film parce que je voulais réaliser un portrait de femme. Plus qu’une féministe, je suis une humaniste ». Cet humanisme se traduit par la vision complexe et anti-manichéenne que la réalisatrice porte sur le parcours de Marie, la relation qu’elle entretenait avec Pierre jusqu’à la mort de ce dernier et (spoiler) la love affair avec le meilleur ami de celui-ci.

Surtout, Satrapi pose un regard à parti sur les prises de liberté de la scientifique, contrecarrées par les normes bourgeoises de l’époque, qui avaient fait alors grand et mauvais bruit. En pleine montée des nationalismes, celle dont le nom de jeune fille est Sklodowska n’était pas en odeur de sainteté. Cette habileté d’écriture entre la petite et la grande Histoire s’explique par la participation du scénariste et dramaturge anglais Jack Thorne, qui s’est notamment illustré en co-écriture avec J.K. Rowling pour la pièce de théâtre Harry Potter et l’Enfant maudit.

Marie Curie face aux hommes, l’éternelle histoire d’une vie

… Pour une mise en scène qui l’est moins

Le film pêche quand sa réalisatrice tente de l’inscrire dans une Histoire plus grande. À travers des flashforwards douteux, les bénéfices et les drames incombant à la découverte du radium et du polonium sont énoncés : catastrophe de Tchernobyl, début de la radiothérapie, tests dans la Zone51… Mention spéciale à la reconstitution du bombardement d’Hiroshima digne d’une mauvaise blague avec l’arrivée de la Bombe A au ralenti. Ces vignettes hors-histoire se font oublier quand d’autres illustrent poétiquement le ressenti de Marie Curie face aux événements de sa vie : émois amoureux, disparition accidentelle, mort dramatique.

Quand la science, l’amour et l’ésotérique se croisent et ne forment plus qu’un, Satrapi atteint une forme de grâce métaphorique et filmique. En symbolisant par exemple la fécondation de l’ovule de Marie Curie par le spermatozoïde de Pierre, loin d’être la chose la plus sexy à représenter au cinéma, elle image une explosion nucléaire qui engendre une étoile – leur fille. Les regards de Marjane et Marie se confondent alors dans une reconstitution subjective et émouvante de quelques secondes. Mais malgré ces rares instants appuyés par une superbe distribution, avec l’étincelante Rosamund Pike à l’aura sans pareil, ce film à gros budget perd parfois toute sa grâce quand la réalisatrice embrasse une vision historique, en énumérant lourdement les conséquences de la découverte de radioactivité.

Radioactive ne réussira sûrement pas à changer l’avenue de mon enfance en Marie et Pierre Curie, mais sa magie radio-créative a le mérite d’opérer dans son ensemble.

RADIOACTIVE
Réalisé par Marjane Satrapi
Avec Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin Barnard
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