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« Mandibules » : Au royaume des lucides, les idiots sont rois

« Mandibules » : Au royaume des lucides, les idiots sont rois

Alma-Lïa Masson-Lacroix

Initialement attendu le 2 décembre en salles, Mandibules de Quentin Dupieux pourra enfin trouver son public à partir du mercredi 19 mai avec David Marsais et Grégoire Ludig du Palmashow, Adèle Exarchopoulos et India Hair.

Jean-Gab et Manu, deux amis simples d’esprit, trouvent une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture volée. Leur idée de génie : dresser l’animal afin de faire de l’argent. S’ensuit alors une sorte de non-aventure faite de quelques rencontres incongrues et des décisions douteuses.

Jean-Gab et Manu, c’est les kékés du fond d’la classe, ils aiment le tuning, et dressent les mouches sur la place

Une mouche et deux idiots

Après le pneu de Rubber (2010) et la veste du Daim (2019), le dernier objet de la folie créative du cinéaste Quentin Dupieux s’incarne sous la forme d’une mouche gigantesque aux gestes robotiques et aux regards mystérieux. Comme à son habitude, le cinéaste construit son scénario autour d’un objet phare, et d’une idée. L’idée d’une idiotie poussée à l’extrême, ou plus précisément de la rencontre entre l’idiotie et une mouche, de laquelle naît un plan d’idiot, permettant d’obtenir la seule chose importante pour un idiot : de l’argent.

Le film se construit comme une forme d’étude de la bêtise, une plongée vertigineuse dans une logique enfantine, à la recherche de quelque chose ; peut-être l’essence de l’humour, ou encore un minimalisme intellectuel, quête qui n’est pas sans rappeler celle de Lars Von Trier vingt ans plus tôt avec ses Idiots.

« – Bzzz bzzz » « – Qu’est qu’elle dit Jean-Gab ? »

Bourdonnement créatif et comique

En allant jusqu’au bout de ses idées, toujours plus loin, Dupieux ouvre ici la voie à une autre façon de penser, qui tend à simplifier non seulement la logique mais également le scénario, comme si le cinéaste mettait à profit l’enseignement qu’il offrait. Car en effet, qu’est-ce que l’idiotie sinon la dominance de l’instinct premier, l’intuition enfantine et l’absence de perception de toute difficulté ? De cet étrange cocktail sont donc créés deux personnages, deux grands enfants dont la bêtise devient bien vite synonyme de créativité et humour, et il faut avouer que leur univers paraît bien plus limpide et brillant que celui des autres.

De cette recherche de l’extrême idiotie naît en réalité une forme d’épure étonnante. Car l’idiot se cantonne à l’utile (nourriture, argent) et ses paroles ne se multiplient pas pour ne rien dire, bien au contraire. À cette épure du scénario et des dialogue s’ajoute celle des décors, profondément minimalistes, qui se distinguent notamment par une lumière d’une grande blancheur qui inonde le film dans sa totalité. C’est la lumière d’un projecteur retirant toute zone d’ombre, montrant un monde simple tel qu’un idiot le comprend.

Quand Adèle se demande dans quoi elle s’est embarquée

L’humour absurde donne des ailes

Si Quentin Dupieux explore les abysses de cette absence de réflexion, la puissance de son film relève surtout de sa capacité à ne pas nous offrir d’autres regards que ceux de Jean-Gab et Manu, qui deviennent pour nous le seul point de vue auquel s’identifier. Le film parvient à faire adopter à ses spectateurs la logique de ses personnages, c’est-à-dire que le film rend idiot tout en rendant heureux – il nous offre une forme de retour à l’enfance. Par exemple, à travers leurs yeux, et donc les nôtres, le personnage d’Agnès (Adèle Exarchopoulos) qui, est la seule a posséder un regard clair sur la situation malgré un handicap d’expression, devient un personnage de folle. Au royaume des idiots, les lucides sont faits bouffons.

Enfin, n’oublions évidemment pas l’humour. Si le jeu d’acteur et le dialogue aux intonations comprises entre l’enfant, l’idiot et le beauf peuvent s’avérer durs à soutenir durant la totalité du film, cela ne suffit pas à ternir la qualité absurde de son humour. En effet, d’un côté, l’humour pipi-caca des personnages nous ramène aux blagues de notre enfance, avouons-le, encore inégalées, et d’un autre côté, l’absurdité presque beckettienne produite par la rencontre entre deux mondes – les idiots et la mouche VS les fous normaux – est à l’origine de situations qui en dérideraient plus d’un.

Sorte de dés-aventure burlesque dans les tréfonds de la bêtise humaine, le film parvient à nous plonger dans les méandres d’une non-réflexion dont l’idiotie devient la qualité première. Par cette idiotie, nous empruntons un autre regard, plus épuré, plus simpliste, et c’est ce regard qui fait du film une expérience tout aussi étonnante qu’hilarante.

MANDIBULES
Réalisé par Quentin Dupieux
Avec David Marsais, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos
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