fbpx
En cours de lecture
« Adieu les cons » : Albert Dupontel croque notre époque avec cynisme et poésie

« Adieu les cons » : Albert Dupontel croque notre époque avec cynisme et poésie

Marin Woisard

Trois ans après Au revoir là-haut, l’acteur-cinéaste présente une nouvelle variation de ses personnages bancals en quête de sens. Au revoir la 1ère Guerre Mondiale pour laisser place à nos temps modernes désabusés, où plane la douce odeur de la mort, entre esprit grinçant et espoir burlesque.

Deux personnages que rien ne lie et que tout rassemble. D’un côté, Jean-Baptiste Cuchas (Albert Dupontel), fonctionnaire voué corps et âme à sa tâche, crack en informatique et vulgaire numéro aux yeux de ses supérieurs – qui s’apprêtent à le remplacer manu militari par du sang neuf. De l’autre, Suze Trappet, coiffeuse au brushing impeccable, mère d’un enfant né sous X et dont les jours sont comptés – une sombre histoire de maladie auto-immune. Cuchas et Trappet ne devaient jamais se rencontrer. Mais Dupontel en a décidé autrement pour notre plus grand bonheur.

Au détour d’un suicide raté dans un open space déshumanisé, celui des services sociaux que Madame Trappet remue pour retrouver son fils perdu, le destin de ces deux paumés va se croiser pour ne plus se séparer. Au duo de tête, s’ajoute rapidement un troisième larron avec M. Blin (Nicolas Marié), un archiviste aveugle, qui fera office de caution burlesque tout au long du film. Sur le fil du rasoir d’une existence inexistante, les trois coéquipiers vont assembler leurs forces, parfois contre leur gré, pour constituer l’équipage bancal de la nouvelle comédie grinçante d’Albert Dupontel.

Dupontel, comme souvent à la fois acteur et réalisateur, renoue avec ses premières amours pour les histoires au romanesque délirant, après l’orphelin benêt de Bernie (1996), la juge enceinte d’un serial killer de Neuf mois ferme (2013), ou encore l’escroc masqué de Au revoir là-haut (2017).

« On m’avait pourtant dit que les toilettes étaient à gauche ? »

Une charge tous azimuts

Si on rit jaune tout au long du film, la tendresse apportée par le regard du cinéaste est sans égale. La société, déshumanisée à son paroxysme, apparaît comme un film de Jacques Tati qui prendrait place sur l’esplanade de la Défense, avec sa foule d’anonymes aux coupes impeccables et aux cravates lustrées. C’est aussi le constat d’un monde en plein changement qui efface celui qui l’a précédé. Jean-Baptiste Cuchas, après quelques décennies de bons et loyaux services, est prêt à être remplacé au pied levé. L’enfant de Suze Trappet, né sous X, est un inconnu pour celle qui l’a engendré. Et la solitude est prégnante pour M. Blin, archiviste relégué au placard, après qu’une opération de police l’ait rendu lourdement handicapé.

Dupontel pose sa caméra sans ciller sur le jeunisme dans le milieu professionnel, l’absurdité administrative, les violences policières ou les dérives sécuritaires, pour y injecter une folle dose de poésie. Le souffle est salvateur.

Où est Charlie ? au pays de Jacques Tati

Manque d’incision et d’anticonformisme ?

Le cinéaste ne peut s’empêcher de révérer son autre idole et ami, Terry Gilliam, qui assure un caméo jouissif. Tout cela, en s’entourant des nouveaux visages de l’absurde français avec Grégoire Ludig et David Marsais (Le Palmashow) qui passent une courte mais hilarante tête. Ses acteurs fétiches ne sont pas en reste avec des seconds rôles truculents pour Michel Vuillermoz, Philippe Uchan, Laurent Stocker, Bouli Lanners… L’occasion de vérifier que le dialoguiste n’a rien perdu de sa verve, saynète après saynète, qui s’intègrent sans coup faillir au parcours tumultueux des protagonistes. Car si l’on a beaucoup parlé des trajectoires des personnages, que dire de l’interprétation de Virginie Efira, étoile rendue indispensable au paysage cinématographique français, qui nous bouleverse et nous transporte dans son rôle tragi-comique. Qui aurait parié un kopeck après son départ de M6 en 2008 ? Peut-être Albert.

Mais voilà, il y a toujours un « mais ». D’autant plus au cinéma avec des films que l’on attend beaucoup, et qui ne nous satisfont jamais vraiment. La limite de Adieu les cons réside dans son format entre deux eaux, moins propice au romanesque que Au revoir là-haut, moins grinçant que Neuf mois fermes, moins fucked up que Bernie. Dans la magie ciselée que Dupontel réinsuffle à nos ordinaires modernes, le cinéaste manque de folie pour donner le sentiment de vivre un grand film. De ceux qui cassent nos tumultes, entachent nos cœurs et font vibrer quelque chose de nouveau. La profonde désillusion de son regard, aussi juste et lucide soit-elle, ne parvient à transcender la formule convenue d’une fuite en avant, que l’on aurait aimé plus incisive et anticonformiste.

Adieu les cons est la chronique contemporaine d’un monde qui perd pied, sans que Dupontel ne lui tende la main. Une fois évacués les enjeux dramatiques, le réalisateur retourne à ses effets de manche nihilistes pour un final pétaradant. Alors qu’on s’attendait à une embellie finale à la Thelma et Louise pour palpiter une dernière fois, le réalisateur souffle sa flamme vacillante dans un soupir de désespoir.

ADIEU LES CONS
Réalisé par Albert Dupontel
Avec Albert Dupontel, Virginie Efira, Nicolas Marié
Trouve ta séance

© 2023 Arty Magazine. Tous droits réservés.

Retourner au sommet