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Bong Joon-ho : « La télé, c’était comme une cinémathèque pour moi »

Bong Joon-ho : « La télé, c’était comme une cinémathèque pour moi »

Thierry Champy

Bong Joon-ho était l’invité du Grand Rex pour présenter une version restaurée de The Host en 4K, une première mondiale. L’occasion pour le réalisateur sud-coréen de revenir sur son parcours, au cours d’une masterclass animée par Thierry Frémaux. Arty a assisté à la Bong Joon-ho day et te dit tout.

Dimanche 26 février. Boulevard Poissonnière, deuxième arrondissement de Paris. À l’angle de la Tour d’ivoire du cinéma, dont le sommet avec les initiales R-E-X ne passe pas inaperçu, se distingue une file d’attente digne d’un concert des Stones. L’invité du jour : Bong Joon-ho ou BJH pour les intimes.

À l’occasion de la sortie de The Host restauré en 4K, The Jokers Films, son distributeur, avait organisé la « Bong Joon-ho Day ». Coup de com’ oblige. Au programme : masterclass du réalisateur et projection de The Host et de Parasite, primé aux Oscars. De quoi satisfaire les cinéphiles en tout genre.

Dans les loges avec BJH © The Jokers Films / Louis Lepron

Bong Joon-ho mania

Il y a foule au manoir. L’hystérie atteint un point tel, que gruger devient une norme. Absurde nous dirait Jean Tardieu. J’accède enfin au Colisée. Avec sa façade art déco, sa voûte étoilée et son plafond attaché à un cône recouvert de perles de verre, difficile de ne pas être séduit par la salle principale du Grand Rex. Je prends place. Les lumières s’éteignent. Marie Palot, journaliste cinéma d’origine sud-coréenne, cheveux rose, vêtue d’un kimono coréen, entre sur scène et anime le show. Annonce de l’entrée du réalisateur. L’attente est palpable. Faux Bong. Deuxième tentative. Deuxième faux départ.

Afin de combler l’attente, on fait monter un YouTubeur sur scène. Son talent ? Humoriste me dit-on à l’oreille. Il s’accapare du micro : « Salut la salle ! En attendant mon spectacle, voici quelques blagues en avant-première. Vous savez pourquoi les poupées Mattel n’ont pas de sexe ? Parce que Ken les a ken ! » annonce-t-il. Malaise. S’ensuivent d’autres mauvais moments du même gabarit. Aussitôt éjecté, l’animatrice reprend du poil de la bête. Troisième annonce. Cette fois-ci, c’est la bonne. Le suspense est à son comble. Ouverture de la grille. Sous les feux de la rampe, le monstre de cinéma traverse le tapis rouge, affronte le public en pleine effervescence et accède à la scène. Plus de 2700 personnes en ovation pour le maître. Un moment inoubliable.

Succès colossal au budget de fourmi

D’apparence, The Host pourrait sembler avoir bénéficié d’un budget colossal. Or, pendant l’entretien animée par Thierry Frémaux, le réalisateur démontre le contraire : « Pour un film coréen, il s’agit d’un film à très grand budget (le film aurait coûté 11,8 millions de wons, soit 8,5 millions d’euros, ndlr). En revanche, si on le compare à un grand film de monstre américain, on peut se dire que l’enveloppe est dérisoire. » Voilà qui est dit. Conscient de cette contrainte budgétaire, Bong nous confie avoir réduit les différentes apparences du monstre dans le film, car intégrer des images de synthèse et autres effets spéciaux coûtent bonbon : « Au total, on comptabilise 15 scènes où l’on voit apparaître le monstre. Chaque plan coûtait très cher. Il fallait donc chiffrer le nombre de plans dans le but de réduire le budget, car on avait une énorme pression là-dessus. On a beaucoup réfléchi et fait parler notre créativité. C’était un projet risqué mais j’ai eu le soutien de mon producteur. »

Force est de constater que les suites et diverses adaptations au cinéma ne séduisent plus. Doit-on accuser un vide dans le cinéma occidental ? Le public en quête de subtilité est devenu intransigeant. L’entrée au cinéma doit être rentabilisé. Fin de la projection de The Host. Le succès est manifestement toujours au rendez-vous. Comment expliquer un tel triomphe ? Sa force ? La critique. À travers ce film de monstre, la dimension sociologique – leitmotiv du réalisateur – occupe à la fois l’espace filmique et scénaristique ; élément que le réalisateur (Bong Joon-ho a fait des études de sociologie, ndlr) tente humblement d’exprimer malgré le fait qu’il n’ait pas du tout « un regard de professionnel. »

L’œuvre reflète dans une certaine mesure la folie des hommes en référence à la récente épidémie mondiale : « Lorsque j’ai écrit The Host, il y avait le SRAS. Le pays n’était pas du tout préparé. Les scientifiques étaient dans des conteneurs extérieurs pour les personnes dites contaminées. Le film est aussi une comédie noire, cela peut paraître réel mais c’était exactement ça. » Quel que soit son degré, l’humour est une excellente arme pour désamorcer le drame.

Deux maîtres en présence © The Jokers Films / Louis Lepron

Un Bong dans le cinéma

Vient l’habituelle question que tout journaliste pose à son invité « Quelle est votre inspiration ? », ce à quoi le réalisateur coréen répond : « Je suis issu d’une famille assez bizarre car on ne fait pas de sport. On regarde beaucoup la télé et on ne part pas en vacances. La télé, c’était comme une cinémathèque pour moi. Quand j’étais enfant, je n’avais aucune connaissance des films que je regardais, c’est seulement après que j’ai compris que c’était des films de Henri-Georges Clouzot ou Hitchcock. De Palma et Chabrol sont ses héritiers. Je ne cache pas que j’aurais bien aimé faire partie de cette lignée hitchcockienne. » Bong Joon-ho évoque ensuite une anecdote concernant la censure : « La Corée du Sud était un pays de dictature militaire et conservateur. De nombreux films étaient censurés. Je me souviens avoir été très concentré devant un film de Sam Peckinpah, un réalisateur que j’aime beaucoup par ailleurs. La scène à laquelle j’étais confronté présentait des choses d’une extrême violence. Je m’attendais à ce que le sang gicle. Puis, on passe tout d’un coup à une autre scène. La censure était flagrante. Cela m’a aidé et permis de développer mon imagination. » Finalement, un mal pour un bien.

Au même titre que Truffaut ou Tavernier, Bong Joon-ho fait partie de ces réalisateurs qui n’ont pas fait d’école de cinéma mais ont tout appris en regardant les films. Vint l’avènement de la VHS. Apparition du magnétoscope, naissance de cinémathèques (lieu de rassemblement de cinéphiles assoiffés), autrement dit la période propice des années 90 pour le cinéma, qui s’est démocratisé à vitesse grand V. La connaissance de la vitalité du cinéma coréen en occident a été tardive. Aux États-Unis ou en Europe, seul le cinéma japonais a été présenté sur la scène internationale, tandis que l’industrie cinématographique coréenne dans les années 60 fut très riche. La Servante (distribué par Carlotta Film, ndlr) réalisé par Kim Ki-young, que nous suggère fortement Bong, est représentatif de cette époque.

Quand on évoque les réalisateurs du cinéma coréen, on pense en premier lieu à Im Kwon-taek, puis les résidents du hall of fame Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Kim Ki-duk, Lee Chang-dong et Bong Joon-ho, naturellement. Ce dernier fait partie de cette nouvelle génération de réalisateurs, mais réfute l’étiquette « Nouvelle Vague » car « un artiste d’une nouvelle vague doit partager une idée en commun avec d’autres artistes. » Bong établit le parallèle entre ces deux générations de cinéastes : « Im Kwon-taek était accessoiriste puis a gravi les échelons. Je pourrais davantage me comparer à John Ford aux États-Unis car il a débuté sa carrière dans une équipe de films, puis vint l’autre génération de Scorsese, Coppola, De Palma, qui était une génération de cinéphile. C’était des personnes qui regardaient les films, les étudiaient puis les ont fait. »

Quant au nouveau film de Bong qu’il évoque en coup de vent, Mickey 17, ce sera son troisième long-métrage tourné en anglais. Dans cette adaptation du roman d’Edward Ashton, Robert Pattinson tient le rôle principal. Le réalisateur opte pour la discrétion et attise la curiosité : « Je suis en plein montage de mon film. Je ne sais pas si j’aimerai. » Il achève son propos en citant Kubrick : « Vous savez, Kubrick disait que le montage est l’authentique forme dans l’art cinématographique, tandis que le tournage s’apparente plus à une lecture de Tolstoï dans les auto-tamponneuses. »

THE HOST

Réalisé par Bong Joon-ho
Avec Song Kang-Ho, Hee-Bong Byun, Bae Doo-na et Park Hae-il
Version restaurée en 4K, au cinéma le 8 mars 2023

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