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« Seize Printemps », la jolie chronique rohmérienne de Suzanne Lindon

« Seize Printemps », la jolie chronique rohmérienne de Suzanne Lindon

Alma-Lïa Masson-Lacroix

Histoire d’amour ou de fascination, Seize Printemps raconte, dans un style emprunt de références à un certain cinéma français, celui des amours de la rive gauche, celui d’un quartier latin aux fantômes des années 80, l’ennui d’une jeune fille qui rencontre l’ennui d’un (pas si jeune) homme.

Suzanne a seize ans. Elle s’ennuie avec les gens de son âge. Tous les jours pour aller au lycée, elle passe devant un théâtre. Elle y rencontre un homme plus vieux qu’elle qui devient son obsession. Grâce à leur différence d’âge, ils pensent ne plus s’ennuyer ensemble et tombent amoureux. Mais Suzanne sent qu’elle risque de passer à côté de sa vie, celle de ses seize ans qu’elle avait tant de mal à vivre comme les autres.

Arnaud Valois interprète Raphaël, de dix ans l’aîné du personnage de Suzanne Lindon

Télescopage de fantasmes

Film bercé de légèreté, on y suit la jeune Suzanne au lycée, dans les booms, dans une adolescence parisienne, mais une adolescence qui s’ennuie. Les rires de ses camarades résonnent autour d’elle sans l’atteindre. Elle ne parvient pas à communiquer. Elle fait peu la fête. Quand elle la fait, les conversations l’ennuient. Elle rêve de grandir, de s’épanouir, de désirer. C’est alors que le film se présente comme une découverte de la sensualité, qui s’incarne dans l’image de cet homme qu’elle croise tous les jours. C’est un homme de loin, qui représente l’adulte, l’amour, le désir et la sexualité qui ne lui est pas encore accessible. Il devient un fantasme, et l’homme de loin ne quitte plus ses pensées.

Mais tôt ou tard, elle se rapproche et il n’est plus si lointain. Elle n’en demeure pas moins fascinée par ce qu’il représente toujours – mais lui, derrière son aura, s’ennuie aussi, et voit en elle une jeunesse retrouvée, la nostalgie des jours de lycée qui s’oppose aux galères de la vie d’adulte. La film raconte donc l’histoire d’une relation faite d’illusions et d’échappatoires, une relation entre deux fantasmes.

Une bière à la main et les pensées ailleurs : une vision assez juste de l’ennui en boom de lycée

Le désir de grandir et d’aimer

Si le choix d’un tel sujet, celui d’une jeune fille mineure et d’un homme de 10 ans son aîné, est aux premiers abords déroutant – surtout conte tenu de l’actualité brûlante de cette dernière année et ses révélations – il sort néanmoins de la tête d’une jeune fille, il faut donc tenter de l’appréhender comme tel. Et consciente de la délicatesse de son sujet, la réalisatrice Suzanne Lindon insiste sur sa volonté de représenter le désir de s’émanciper, et le désir naissant – émotions universelles. Elle insiste sur ces mots : elle veut montrer une sensation universelle et intemporelle.

Néanmoins, il va sans dire que le film possède un profond ancrage, sinon géographique, du moins social, qui perturbe cette ambition, sans pour autant forcément porter préjudice au film. Enfin, si on peut comprendre que le film puisse mettre mal à l’aise, l’aventure est néanmoins traitée avec justesse et intelligence. On voit l’histoire par les yeux de Suzanne, on est du côté de son désir et non pas de celui de l’homme. La fascination, voire l’obsession, est montrée comme telle, et se comprend par le désir de grandir. Pour finir, le film se conclut avec subtilité, dans une émotion délicate et bien placée. 

La réouverture des terrasses provoque toute sorte de réactions

Poésie, danse et hommage aux années 80

Enfin, la jeune Suzanne Lindon interprète son rôle avec délicatesse et possède une belle présence à l’image. Derrière la caméra, elle recherche cette même délicatesse. Elle la trouve notamment grâce à quelques séquences de danse, qui s’assimilent avec poésie à la sensualité naissante de la jeune protagoniste. Ces quelques scènes sont le plus grand atout du film, qui reste sinon un peu trop maladroit. Il se présente comme un hommage au cinéma français des années 80, et semble reprendre un style propre à Pialat, ou encore à Rohmer. On y retrouve d’ailleurs nombreuses références, ainsi qu’un jeu d’actrice à la rencontre entre Sandrine Bonnaire et Charlotte Gainsbourg. Mais le film reste malheureusement prisonnier de ses références, donnant souvent l’impression d’être un film « à la manière de », qui gagnerait à explorer un style plus personnel et moins référencé.

En bref, le premier film de Suzanne Lindon est plutôt réussi, subtil et délicat. Histoire d’ennuis autant qu’histoire d’adolescence, la réalisatrice cherche à renouer avec ce style très français des années 70-80 qui a fait la grandeur de notre cinéma, tout en gagnant dans ses prochains à plus explorer sa propre sensibilité.

SEIZE PRINTEMPS
Réalisé par Suzanne Lindon
Avec Suzanne Lindon, Arnaud Valois
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