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« Tenet » : Christopher Nolan, retour vers le futur

« Tenet » : Christopher Nolan, retour vers le futur

Cyril Martin

Avec la promesse du grand retour des blockbusters au cinéma, Tenet de Christopher Nolan porte la lourde tâche de ramener le public en salles. Déception ou réussite ? On te dit tout (sans spoilers) de ce nouveau film cérébral et labyrinthique.

À l’image du tout nouveau film de Christopher Nolan qui repose sur le concept d’inversion du temps, commençons par la fin : « ! Tenet : un spectacle visuel et sensoriel ébouriffant avec à la revoyure une profondeur thématique et émotionnelle dissimulées. À voir sur un grand écran de cinéma, de préférence en salle IMAX. » Tu peux t’arrêter ou commencer là. Fonce sans hésitation. Sans hésitation fonce. C’est d’ailleurs le principe à l’œuvre dans Tenet. Dans le détail et sans spoilers, quel est « le plan » de Nolan, le magicien prestigieux du temps filmique ?

Le sens et le fond dans la forme

Tenet est avant tout un mot. Et ce mot a une double particularité, d’abord son sens : il désigne un principe, un précepte. Ensuite sa forme : c’est un palindrome, il peut se dire à l’endroit ou à l’envers. Version : « Tenet ». Inversion : « teneT ». Le film est l’incarnation plutôt réussie à l’écran de ce sens et de cette forme. Le voir une première fois, sans autre porte d’entrée que le moment présent, sans ne connaître ni le passé ni l’avenir des personnages, c’est le regarder à l’endroit. Revoir le film, muni des connaissances du futur et du passé des personnages, revient en quelque sorte à le regarder inversé, c’est à dire d’un autre point de vue, plus profond, sensible et éclairé. Le premier voyage est donc le plus exigeant, car comme tous les autres films de Nolan, Tenet épouse au maximum son sujet par la forme et le fond.

Memento était un polar noir raconté à l’envers, sur un vengeur sans mémoire où chaque scène était une fin en soi, un présent sans début. Inception était un film de braquage sur l’impression de réalité produite par les rêves, sur la démultiplication (du temps, de l’espace) et sur l’influence de l’imaginaire sur le cerveau et le cœur. Interstellar était une odyssée intime et cosmique, fondée sur la relativité temporelle, l’influence à travers le temps et l’espace du sentiment amoureux, et de la résilience vitale de l’humanité. Dunkerque était une chronique guerrière sur la puissance de la survie et de l’entraide, face à des configurations temporelles différentes et menaçantes. Tenet, sans rien dévoiler de son contenu, est littéralement à l’image de son titre. Il y a un « Te », un « N », et un « eT » dans la structure même du film.

« Pour aller tout droit : tu passes à droite, en faisant une pirouette temporelle à 360 degrés, avant de revenir à gauche. Ça va aller ? »

Un cousin proche de Memento

Force et faiblesse de la proposition de Nolan : Tenet thématiquement, stylistiquement est un cousin proche de Memento, Inception, The Dark Knight Rises, et Interstellar. Pour tous ceux qui auraient aimé ces formules précédentes concoctées par Nolan, Tenet se rapproche de Memento dans son imagerie du temps inversé et dans certains dialogues sur la perception temporelle. Mais sur le point du montage, de la forme adoptée pour raconter les événements, Tenet malgré son sujet de version et inversion n’a pas le bénéfice (et ne le cherche pas) d’une structure renversante (dans tous les sens du terme). À l’inverse de Memento où deux lignes temporelles opposées se rejoignent à la fin, Tenet tend plutôt vers une structure tourniquet (oui, comme le manège) beaucoup moins tape à l’œil. Pour les matheux : de A à B puis de B’ à A’.

Sous l’influence de son prédécesseur, l’expérimental Dunkerque, quasiment dépourvu d’intrigue, de personnages évolutifs, et de dialogues appuyés, Tenet se débarrasse de l’exposition surabondante d’Inception. C’est un métrage qui gagne en radicalité, en immédiateté et surtout, mise davantage sur l’intelligence, ou au mieux sur l’intuition du public pour s’immerger dans l’action. Plus simple, plus immédiat, plus impressionniste, Tenet est aussi plus confus, plus conceptuel, moins alléchant, moins accessible qu’Inception et court le risque de ne pas emporter l’adhésion générale du public au premier visionnage. Si Inception perdait en force d’immersion au re-visionnage par le surlignage verbeux et systématique tout au long de son théorème brillant, Tenet court le risque inverse : il offre davantage mais dit moins, demande peut-être trop à son public. Inception invitait à être revu, mais sans nécessité. Tenet se doit d’être revu.

Quand tu penses aux 34 plans qu’il reste avant la fin de journée

L’émotion reléguée au placard

Autre perte et autre gain. Tenet, comme The Dark Knight Rises, contient un regard sur les abus de la haute classe, un enjeu d’apocalypse à désamorcer, mais il perd en humanité et en iconisation contrairement à TDKR : ses personnages n’ont pas vraiment d’évolution flagrante et de personnalité multi-dimensionnelle. Du moins, au premier visionnage. Si l’intériorité et la complexité des personnages est moins évidente dans la retranscription de Tenet, l’extériorité et la présence des corps elle, l’est beaucoup plus. Contrairement à TDKR et sa gestion parfois limitée de l’action, Tenet marque une grande avancée avec des combats puissants, limpides, rythmés et efficaces.

Enfin, il perd ce qu’avait gagné Interstellar, le grand manquement reproché à Nolan par le passé : l’émotion, les sentiments. Dans Tenet, faute d’enjeux intimes ou de problématiques privées mises en avant, ses personnages se font moins identifiables (pas de noms, ni passé, ni vie privée) et donc moins touchants. Mais il gagne quand même ce qu’il perd en apparence : à défaut de s’offrir par des dialogues, des situations, ou des évolutions psychologiques, l’émotion est cette fois tapie. Elle n’a pas disparu. Comme avec les soldats anonymes de Dunkerque, Nolan veut moins provoquer l’identification aux agents secrets et leurs tourments personnels, mais plutôt que l’on regarde progressivement avec admiration le dévouement de ces figures de l’ombre, qui influencent grandement le cours de l’Histoire, de nos passés et futurs.

« Des personnages sans passé ni futur et donc potentiellement moins touchants »

Master en physique quantique requis

Mais à l’inverse de Dunkerque, qui s’appuyait sur l’Histoire pour faire vibrer les actions de ses personnages, Tenet prend le parti encore plus théorique d’ancrer des actes pas trop fantaisistes, mais un peu quand même, de ses agents rigolards au grand cœur, dans un contexte contemporain et imaginaire crédible. Il ne cherche pas à bien définir les contours de la menace d’un futur science-fictionnel apocalyptique. Distinctement mais similairement au travail de Dunkerque, Nolan, après des années d’actualité internationale marquées par le terrorisme et l’anti-terrorisme, entend rendre hommage, cette fois par le biais de la science-fiction, à toutes ces personnes qui sauvent des vies chaque jour dans l’anonymat. Tenet, c’est la rencontre improbable, parfois maladroite, mais complètement intrigante, entre les précédents films de Nolan, la série Le Bureau des Légendes, la saga des James Bond, des Mission Impossible et les films temporels comme Looper.

Au premier visionnage, les plus aguerris (ceux qui ont un master en physique quantique ou une intuition hors-normes) seront plein d’ébullition et d’admiration intellectuelle face aux mécanismes du film. Les autres, comme le héros au début du film, seront largués pendant et même après la projection (la moitié de ma salle l’était), Nolan, malin mais franc, inclut ce précepte sous forme de conseil dans la bouche d’un personnage : « N’essaie pas de le comprendre. Ressens-le. » Pour la plupart, ce conseil-principe suffira certainement à la réception globale qui s’annonce pour le film : « J’ai pas tout compris, mais c’était un sacré show ! »

John David Washington au moment où il essaie de comprendre le scénario

Ressentir sans bien comprendre

Inception pratiquait son concept narratif sur le public : le film implantait le doute que la réalité n’est pas forcément ce que l’on perçoit ou sait, mais avant tout ce que l’on choisit de croire, comme pour Cobb avec sa femme. Tenet, invite lui à l’inversion des points des vue. Revoir Tenet, c’est suivre son précepte d’inversement : « Ne ressens plus. Essaie de le comprendre. » Au deuxième visionnage, même ceux qui auront tout compris la première fois comprendront encore plus. Et si l’incompréhension peut parfois freiner ou amoindrir un ressenti, la compréhension peut aussi grandement augmenter les chances d’un ressenti amélioré. Voir Tenet, c’est tenter de ressentir et comprendre, et parfois ressentir sans bien comprendre. Mais le revoir c’est mieux comprendre et ressentir encore davantage. Ça va, tu suis toujours ?

Tenet n’a pas les qualités de ses grands frères Nolaniens, mais « chaque génération doit gérer son lot » dit le film. En tant que proposition originale pour la génération post Covid-19, son lot contient les paires d’attributs suivantes : direct mais alambiqué, léger mais sérieux, impressionnant mais minimaliste, conceptuel mais charmeur, classique mais atypique. Finissons… par le début. À voir sur un grand écran de cinéma, de préférence en salle IMAX, un spectacle visuel et sensoriel ébouriffant avec à la revoyure une profondeur thématique et émotionnel dissimulée : Tenet !

TENET
Réalisé par Christopher Nolan
Avec John David Washington, Robert Pattinson, Clémence Poesy, Michael Caine
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