« Pieces of a Woman » sur Netflix : la réalité brute d’un événement tragique
Après une formation en droit, Elena trouve une seconde vie…
Pieces of Woman, abordant le sujet tabou du deuil périnatal, nous propose une œuvre magistrale et profondément intime. Aux côtés de la scénariste Kata Wéber, sa propre femme, le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó relate un drame éprouvé par de nombreux couples, dont le sien, à savoir la perte d’un enfant avant terme. Attention, l’œuvre impose un regard averti et conscient de la tragédie qu’y s’y joue.
Pieces of a woman est le premier film que Kornél Mundruczó tourne en anglais. Évoquant une tragédie personnelle, l’œuvre présente tout du long des émotions dans leur réalité la plus brute, sans artifice. La question sous-jacente, à travers celle du deuil prénatal, est surtout celle de la manière dont, au sens figuré, chacun de nous vient au monde – c’est-à-dire se construit et se solidifie, à l’image d’un pont, au fil de ses expériences intimes.
Mise en scène sobre et implication émotionnelle
Sur la forme, les images mises en valeur relèvent du minimalisme paisible, qui ne met que mieux en lumière l’intensité des émotions suscitées par les évènements. Les dialogues sont courts, justes, n’occupent pas l’espace plus que de nécessaire. Il y a en fait peu de mise en scène, rien de rocambolesque, rien qui ne tend à verser dans le sentimentalisme : c’est une expérience vécue brutalement et montrée brutalement, dans toute son authenticité, sans en faire plus, ni moins. Ce minimalisme montre les uns et les autres, sans artifice : le couple, la sage-femme, la famille, le juge, les médecins… Ainsi, quand bien même le couple tente initialement de rechercher un coupable, cette notion de culpabilité s’estompe au fur et à mesure tant elle est inadaptée à la description de l’événement, qui ne peut en réalité relever d’aucune explication objective.
Sur le fond, le film est important en ce qu’il met l’accent sur des aspects de la vie des femmes peu abordés. La scène de l’accouchement, d’ordinaire écourtée, est ici très longue. Nous y voyons la souffrance qu’un tel moment représente pour une femme ainsi que des réalités sur celui-ci qui sont tues, car jugées « sales » : oui, il est fréquent que les femmes se défèquent dessus pendant un accouchement. Le film aborde plus implicitement les souffrances physiques postérieures à un accouchement, comme le fait pour la femme de devoir porter des couches plusieurs semaines voire plusieurs mois, ou encore la souffrance de la pression exercée par son compagnon pour avoir une relation sexuelle rapidement après – question abordée récemment dans cet article absolument brillant.
La réalité abrupte des souffrances féminines et de la pression conjugale
Pression dans tous les sens puisque la femme, évidemment, souffre, et que tout le monde, amis comme membres de sa famille, pense savoir mieux qu’elle ce qui est bon ou non pour elle, et de quelle manière elle doit se comporter pour vivre son deuil ; aussi de quelle manière elle doit se comporter avec les autres. Ce film nous rappelle que notre souffrance est intime et que personne n’est légitime à juger de la manière dont une personne est censée la vivre ou non ; personne ne peut savoir mieux que nous-même comment vivre et comment nous comporter afin que la souffrance daigne enfin prendre les amarres. Le film n’est pas que la démonstration d’une expérience douloureuse mais également une ode à la liberté des femmes, écrit par une femme, pour les femmes. Personne n’est légitime à faire des choix à notre place.
Les images incessantes du pont en construction, les références multiples aux ponts, que l’on évoquait en introduction, ne sont par ailleurs pas sans rappeler le chef d’œuvre Le Pont sur la Drina, d’Ivo Andrić, dans lequel l’auteur bosnien illustre la notion de stabilité à travers la permanence de la figure du pont. Les mots même du Nobel de littérature 1961 pourraient décrire ce film : « Les désirs sont comme le vent, ils déplacent la poussière d’un endroit à un autre, obscurcissant parfois l’horizon, mais finissent par se calmer et retomber, laissant derrière eux l’éternelle et immuable image du monde ».