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Interview : Max Cooper et Bruce Brubaker font danser le piano de Glass

Interview : Max Cooper et Bruce Brubaker font danser le piano de Glass

Marin Woisard

Le producteur irlandais Max Cooper et le pianiste new-yorkais Bruce Brubaker ont uni leurs forces dans une réinterprétation audacieuse du travail de l’iconique Philip Glass. Enregistré en live à la Philharmonie de Paris et retravaillé en studio, leur album Glassforms fait danser les partitions du compositeur américain dans un ballet de sonorités électroniques.

2020 est l’année du retour en force du piano. Subtil avec Hania Rani, énergique avec Laake, cinématographique avec Baptiste Allard (on t’en parle bientôt), l’instrument revit ses heures de gloire loin de l’apparat élitiste où il avait pu être cantonné. Toujours sur la brèche, la maison parisienne InFiné n’y est pas pour rien. Après avoir sorti en début d’année la réinterprétation de Bach par le prodigieux Arandel, c’est désormais au tour de Philip Glass de subir sa cure de jouvence. Par l’alliance des doigts experts du pianiste new-yorkais Bruce Brubaker, concertiste international et enseignant à la prestigieuse Juilliard School jusqu’en 2004, et des machines ténébreuses de Max Cooper, producteur acclamé pour son album Human (2014), fer de lance de la scène expérimentale londonienne, et docteur en bioinformatique, l’oeuvre de Philip Glass n’a jamais semblé aussi palpable et actuelle. Les secrets de l’immortalité appartiennent à ceux qui savent la renouveler.

Marin : Hello Bruce et Max. Votre album Glassforms est né en concert grâce à la commande de la Philharmonie de Paris. Comment avez-vous intégré les multiples variations d’un live dans la version immuable d’un disque ?

Bruce : La base de l’enregistrement est la performance que nous avons jouée en live à Paris. On a ensuite retravaillé les sons électroniques et les balances. La performance en live de Glassforms prend de nombreuses directions et la musique évolue toujours. Le disque que l’on sort est une version que l’on aime – mais ce n’est pas la seule.

Max : Le disque est en fait un enregistrement du premier live à la Philharmonie, avec une post-production additionnelle en studio. J’ai arrangé une grande partie des synthés en ajoutant de nouvelles parties pour compléter celles déjà présentes, tout en travaillant les balances, etc… Tous les éléments nécessaires pour garantir un son de qualité sont là, en opposition à la version légèrement plus rugueuse et chaotique du live où la lutte et l’interaction entre les instruments nous accaparaient, plutôt que les subtilités d’un son contrôlé en studio. L’espoir étant que les deux aspects ressortent dans l’album.

M. Certains n’ont pas eu la chance d’assister aux performances. Pouvez-vous m’expliquer le dialogue qui se crée sur scène entre vous deux ?

B. La technologie que l’on utilise nous donne beaucoup de libertés pour les performances. Les morceaux sont interconnectés entre eux avec ce qu’on appelle des « preludes », où l’on improvise. À chaque fois, ils sont entièrement différents. Sur la base des morceaux de piano de Glass, le logiciel répond aux particularités du jeu de piano. Un nouveau flux d’infos est généré. Max surfe sur cette vague.

M. Bruce joue sur un piano à queue connecté en MIDI, et le flux audio est également capté par des micros. Je reçois les deux infos. J’ai travaillé avec le développeur de logiciels de musique Alexander Randon sur un plugin personnalisé qui facilite la modulation en live des notes, afin que je puisse combiner ma propre mélodie avec ce que joue Bruce. Pour certains morceaux, j’ai mis en place en amont un système qui permet de faire tourner les mélodies de synthés autour de ce que Bruce joue, ce qui transforme le flux audio de manière imprévisible. Pour chaque morceau de Glass, nous avons mis en place une interface différente de piano-électro, chacune constituant un instrument électro différent, que Bruce et moi avons du apprendre à jouer en collaboration. Ce système m’a permis, en tant que non-instrumentiste, de pouvoir m’exprimer en live, et à Bruce de contrôler les synthés, tout en restant fidèle aux partitions originales de Glass. J’ai également ajouté mes propres progressions d’accords à certains moments.

M. Bruce, on connait ta réinterprétation du travail colossal de Glass avec ton album Glass Piano [NDLR : réinterprétation du répertoire de Philip Glass sortie en 2015]. Max, tes productions sont depuis toujours chargées en émotions. Quel lien émotionnel avez-vous avec la musique de Philip Glass?

B. Dans tellement de ses morceaux, Philip Glass se connecte de manière simple avec quelque chose de profondément humain et de vraiment émotionnel. Il y a une pureté dans sa musique qui touche beaucoup, beaucoup de gens.

M. Philip Glass a été l’un de mes premiers émois musicaux, quelque chose m’a attiré chez lui bien avant que je ne m’intéresse sérieusement à la musique. En y repensant, cette musique contenait déjà une majeure partie des outils et des intérêts que j’ai continué à développer en tant que musicien électronique, en termes de répétition, de polyrythmies, d’arrangements et de connexion humaine à des formes mélodiques simples et honnêtes.

M. Les compositions de Glass sont prédisposées à la musique électro post-moderne par ses structures minimalistes et répétitives. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette nouvelle mutation de son œuvre ?

B. L’impact de la musique minimaliste et répétitive est très fort – que ce soit dans la pop, la world music, les musiques de films, pour la télévision ou les jeux vidéos. Avec Glassforms, on voulait trouver un moyen de mettre en évidence l’interaction entre la musique acoustique jouée en temps réel et la musique électronique, dans un espace où l’auditeur peut sentir la réciprocité qui se produit.

M. Historiquement, la musique classique a été créée en partie grâce au financement des riches et des puissants, et à titre personnel, je ressens souvent un message pompeux et grandiloquent. Mais ici la musique se met à nu dans une structure simple, alors sa richesse doit être subtile pour se connecter à nous. Ça me semble plus humain de faire valoir la beauté d’un résultat riche à travers un système simple, comme la nature ou les êtres humains que nous sommes.

M. Max, ton approche est super intéressante. Aurais-tu un exemple en tête ?

M. Par exemple, le morceau Two Pages ressemble à une boucle continue de 11 minutes. Mais en travaillant dessus, j’ai trouvé une structure intégrée via une accentuation de notes, une structure dont on n’est peut-être même pas conscients. Prendre un système apparemment simple et en démêler une structure inattendue à mesure qu’il se développe est une perspective musicale passionnante pour moi. Et le lien avec la nature que j’ai mentionné, c’est que la complexité du monde qui nous entoure est souvent liée à de simples systèmes et lois naturelles. Je suis fan de l’idée que les systèmes les plus simples produisent les résultats les plus riches. Et une partie de la beauté vient de cette idée de compressibilité. J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet pour la sortie de mon album Yearning for the Infinite.

M. Est-ce que malgré le contexte sanitaire actuel de nouveaux concerts sont prévus ?

B. Oui, nous jouerons de nouveau Glassforms en Europe et aux États-Unis en 2021.

M. Et comme c’est la tradition chez Arty Magazine, quelle est votre définition d’un artiste ?

B. Je crois qu’un artiste est quelqu’un qui dit la vérité, ou en tout cas qui crée un espace pour vivre une expérience ou des sensations. L’art est une activité de groupe. Il y a toujours un transfert qui s’y joue. L’artiste crée quelque chose et certaines personnes le voient ou l’écoutent – en tout cas, elles le reçoivent.

M. Un artiste est quelqu’un qui choisit de s’exprimer à travers un médium non essentiel.

Écoutez Glassforms sur Spotify.

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