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Lësterr : « Avant la mode c’était d’être DJ, maintenant c’est de faire la musique dans sa chambre »

Lësterr : « Avant la mode c’était d’être DJ, maintenant c’est de faire la musique dans sa chambre »

Marin Woisard

Nouveau visage angélique de l’emo-électro, Lësterr nous entraîne avec son EP Summer Woe dans un collé-serré mélancolique qui lorgne vers les années 2000. Le mini-album revisite quatre hits de son adolescence avec un nappage autotune et un saupoudrage électro.

Il pleut à verse, ce jour-là. Sous le porche du Studio Club, on se fume une cigarette en craignant qu’une goutte ne s’invite dans le tabac déjà froid. Au bout de la rue, la silhouette longiligne de Lësterr apparaît contre vents et flaques. On croirait voir Melvil Poupaud rajeuni de vingt-cinq ans, dans une photographie en noir et blanc de Sonia Sieff, la démarche discrète en chaussures plateforme. Ariel Borenstein, de son vrai nom, est aussi acteur depuis qu’il s’est fait remarquer dans 120 battements par minute, où il portait sur ses épaules le destin tragique du personnage de Jérémie. Avec la décennie des années 90 comme fil rouge, le militant d’Act Up-Paris chez Robin Campillo laisse place à l’éternel nostalgique de MTV sous le costume de Lësterr.

Signé sur bORDEL Records, le lupanar de disques ouvert par Maud Geffray et Sébastien Chenut, le sad kid a dicté son tempo avec l’EP Sadness Lessons en 2019, avant de rempiler pour un tour de manège hanté avec The World Sucks en avril 2020, et de laisser percer la positive attitude avec Summer Woe en septembre dernier. Sur ce quatre-titres, le poète des années MTV revisite les Madeleines de Proust de son adolescence : Lolita d’Alizée, Lonely Day de System of a Down, une version gonflée à bloc du Porque Te Vas de Jeannette et Ce soir de Kyo. De quoi faire le plein de rayons ultra-violets en entonnant à gorge déployée « Moi je m’appelle Lolita / Lo ou bien Lola, du pareil au même ».

Marin : Salut Lësterr. C’était qui Ariel Borenstein, avant que Lësterr n’existe ?

Lësterr : J’ai fait des études d’art qui m’ont un peu soûlé, je faisais de la musique depuis toujours et j’ai lancé mon projet. Avant Lësterr, j’étais un enfant.

M. : Tu le présenterais comment ce projet ?

L. : C’est un projet de musique électro pop qui me ramène à mon adolescence. Je pique des bouts d’influences un peu partout, que ce soit de l’emo metal, pop ou trip-hop.

M. : Je t’ai découvert mi-2020 avec ton EP très inventif The World Sucks. As-tu une approche particulière de la production ?

L. : Je passe beaucoup de temps sur mon ordinateur. Je construis mes morceaux par étapes, comme un cadavre exquis. J’ai la particularité d’écrire les paroles tout de suite. Je vais poser mon couplet, je continue, hop un refrain, je continue encore, hop un break, etc. Je ne retravaille pas souvent les structures derrière, je termine généralement un morceau dans la journée.

M. : Qu’est-ce que tu prends le plus de plaisir à faire ?

L. : Ce que je préfère, c’est la production et les mélodies de voix. Ça m’ennuie un peu plus de trouver des accords. C’est pour ça que ceux qui sont passés par le solfège savent que j’utilise six accords en tout et pour tout (rires).

M. : C’est ce côté homemade et spontané quand on entend des craquements de chips sur ton titre Cloudy Memories ?

L. : Le « craquement de chips » que tu entends sur Cloudy Memories, c’est un son basique de snare que j’ai distordu. J’aimerais beaucoup enregistrer un son de verre sur un coup de tête (ndlr : il fait sonner le verre sur la table) comme Jacques, mais je n’utilise que des sons synthétiques. Je suis plus dans la bidouille que dans le sampling.

M. : Toujours sur Cloudy Memories, tu arrives à nous faire danser et à nous rendre mélancoliques, tout ça, en même temps…

L. : Je suis très content que tu remarques ça, j’adore les titres de dance music mélancoliques. C’est ce que j’essaie de faire. En concert, j’aime bien quand la foule bouge en étant triste. Tant mieux si ça dance !

M. : Ton EP de reprises Summer Woe donne justement envie de danser avec une certaine nostalgie des années 2000 ?

L. : Les quatre musiques présentes sur l’EP sont celles que j’écoutais ado et qui ne sont jamais parties. C’étaient les premières musiques que j’ai choisi d’écouter, mes premiers goûts personnels. Avant, tu ne choisis pas vraiment tes goûts quand t’es enfant. Je suis un peu nostalgique de tout l’univers des années 90/2000, même si ça peut faire vieux de dire ça. C’était mieux avant. Tout est un peu lisse maintenant.

M. : Pourquoi avoir choisi ta reprise Moi, Lolita d’Alizée comme single de l’EP ?

L. : J’avais sorti cette reprise il y a cinq ans, elle m’avait saoulé alors je l’avais supprimée. J’écoutais Moi Lolita quand j’avais 6 ans, c’était vraiment une chanson que j’adorais et qu’on adore tous je pense. Mon premier souvenir d’Alizée, c’est une copine qui avait eu le CD pour son cadeau d’anniversaire. J’étais très jaloux.

M. : Tu me parles de ton film de vacances qui fait office de clip officiel pour Moi, Lolita ?

L. : Ce n’était pas du tout prévu. J’ai filmé toutes mes vacances car j’adore faire des films de vacances. Je me suis dit que c’était une merveilleuse idée de le transformer en clip qui mette tout le monde de bonne humeur. En tout cas, moi ça me met de bonne humeur. Ça collait parfaitement car la chanson est plus summer que mes morceaux habituels.

M. : C’est bon à savoir… Si on part en vacances avec toi, il faut s’attendre à finir dans l’un de tes clips ?

L. : Je l’ai quand même envoyé à mes potes avant de le sortir en demandant : « Est-ce que vous vous trouvez moches ? ». On est un peu ivres parfois, mais tout s’est bien passé (rires).

M. : Le paradoxe c’est que tu t’entoures de ta bande pour le clip mais tu es souvent seul pour produire ?

L. : J’ai toujours fait mes productions seul dans la chambre, je commence justement à en sortir. C’est une manière de travailler hyper différente. Parfois on n’est pas d’accord et c’est souvent là où on trouve les meilleurs accords.

M. : Il y a des artistes avec qui tu as envie de collaborer ?

L. : J’adore ce que fait Régina Démina, on a produit un nouveau morceau qui sortira je ne sais pas quand (ndlr : Lësterr a déjà signé un featuring sur son album Hystérie). Pour sa sensibilité, je rêverais de collaborer avec Oklou. Pour la scène dance, c’est Panteros666.

M. : Et la scène canadienne avec Grimes ?

L. : C’est cool que tu m’en parles. Je me suis mis à la musique en écoutant Grimes, c’est le premier exemple de musique de chambre que j’ai eu. J’adore toutes les sorties de son premier label Arbutus Record (ndlr : où sont sortis les deux premiers albums de Grimes, Geidi Primes et Halfaxa, en 2010). Avec plaisir pour un featuring (rires).

M. : Que l’on puisse toucher des millions de personnes depuis sa chambre, ça t’inspire ?

L. : Oui, c’est inspirant. C’est l’exemple de Billie Eilish et de Lorde. À l’époque, nos modèles étaient des stars hollywoodiennes inaccessibles avec des morceaux produits dans des studios, maintenant on se rend compte que l’on peut faire la même chose avec la même portée, sans sortir de sa chambre. Par contre, je n’ai pas envie d’être aussi connu que Billie Eilish. C’est stress. Avant la mode c’était d’être DJ, maintenant c’est de faire la musique dans sa chambre (rires).

M. : Ce qui a tout chamboulé c’est Internet, tu te revendique de la culture « post-Internet » ?

L. : Je ne me revendique pas de l’école « post-Internet » même si j’en adore l’esthétique. J’ai l’impression que ça dépend de qui t’étais ado. Grimes, par exemple, c’était une geek qui jouait aux jeux vidéos et ça se ressent dans son esthétique. Moi, j’étais plutôt MTV. Je suis resté bloqué sur cette époque où l’on pouvait voir à la télé des mecs gothiques comme Marilyn Manson et où on donnait la parole à des gens hors du moule.

M. : La dimension pop de MTV est importante pour toi ?

L. : Mes inspirations sont Marilyn Manson et Britney Spears, donc oui… Je tiens beaucoup à cette dimension « easy listening ».

M. : Ce serait qui ton featuring idéal ?

L. : Mon featuring idéal, ce serait Amy Lee du groupe Evanescence.

M. : Ton plus grand souhait en 2021 ?

L. : Sortir mon album qui est presque fini.

M. : Ma dernière question est notre signature chez Arty Magazine, quelle est ta définition d’un artiste ?

L. : Transmettre des émotions autrement qu’en parlant. Du coup, ça exclut tous les acteurs, désolé (rires).

Summer Woe est disponible sur Spotify.

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