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La Fine Equipe : « Cycles n’est pas la fin du groupe mais un redémarrage »

La Fine Equipe : « Cycles n’est pas la fin du groupe mais un redémarrage »

Marin Woisard

Une époque s’achève avec Cycles. La Fine Équipe clôt le chapitre ouvert en 2019 avec leur album 5th Season pour mieux préparer la suite – dont ils nous parlent dans une discussion au long cours.

À quatre, on y va. Ce n’est pas le remake d’une comédie romantique de Jérôme Bonnell, mais une maxime pleine de promesses qui conviendrait bien aux quatre beatmakers de La Fine Équipe, toujours en mouvement et bardés d’entrain. À peine de retour avec leur pétillant Cycles, variation en six titres de leur album 5th Season, que les producteurs se préparent à rallumer les moteurs sur le chemin du studio pour rouvrir une boucle.

Avec Cycles, on prend plaisir à retrouver leurs modulations électroniques combinées à des convictions écologiques, portées par les voix de Gaël Faye, Madjo, Orifice Vulgatron et Penelope Antena. Qui succèdera à ce casting cinq étoiles ? Sans doutes le récit familial se poursuivra t-il sous d’autres formes : la renaissance des compilations La Boulangerie, la mise en chantier d’un nouvel album et le retour du live dès que faire se pourra. On a rencontré trois des quatre équipiers dans leur fief, au Bunker 105 dans le 11ème arrondissement, pour parler musique, cycles et renouveau.

Marin : Salut les gars ! On s’était vu la dernière fois pour la release party de 5th Season à la Gaîté Lyrique. Que s’est-il passé pour vous depuis ?

Blanka : On a arrêté les concerts depuis (rires).

 

oOgo : En plus à la Gaîté Lyrique c’était le début de la tournée de 5th Season.

 

B. : On a développé la tournée pour 5th Season avant que ça ne soit compromis. On a aussi continué à produire des morceaux qui sont sur l’EP Cycles qui vient de sortir.

 

O. : Blanka a déménagé dans le sud où il a installé son studio Kasablanka Mastering. De mon côté, j’ai écouté beaucoup de musique. On a aussi chacun nos activités en dehors de La Fine Équipe avec Nowadays Records, Kowtow Records pour Chomsky et le studio OneTwoPassIt pour Mr. Gib.

M. : Vous avez aussi lancé le Club Nowadays en livestream ?

O. : C’était un moment où j’avais envie de faire danser les gens. Les soirées Club Nowadays, c’est ce qu’on voulait faire avant le confinement. La première date devait avoir lieu le 14 mars 2020, le jour où les concerts ont été interdits. Du coup on l’a fait en livestream. L’envie de faire davantage de soirées, de compilations et de réunir les gens avec Nowadays Records est toujours présente.

 

Chomsky : Il y a aussi un retour en arrière qui est assez sain. Sans les tournées, c’est l’opportunité de retourner à la maison pour faire de la musique. C’est inédit et bénéfique de ne pas avoir la pression de sortir des morceaux tout le temps, de pouvoir se remettre à composer tranquillement.

M. : Ça a du bon, finalement ?

C. : Totalement ! Par exemple, je me suis mis à explorer les synthés modulaires. J’ai le temps pour expérimenter de nouvelles choses, c’est vraiment agréable.

M. : Le nouvel EP de La Fine Équipe s’ouvre avec Don’t Panik, que j’avais entendu en ouverture de vos concerts. C’est un titre qui vient du live ?

B. : Don’t Panik vient effectivement du live, c’est un morceau que l’on prend beaucoup de plaisir à jouer. Les gens nous demandaient où on pouvait le trouver, on l’a naturellement placé sur l’EP.

 

O. : C’est un titre qui représente vraiment bien le live. Quand je l’écoute, j’ai les sensations du début de concert qui remontent : les odeurs, les ambiances et le stress. Il représente bien la tournée de 5th Season, l’EP se place d’ailleurs dans la continuité de l’album.

La Fine Équipe en tournée pour Village 42
M. : C’est quoi cette idée de « cycles » ?

O. : Cycles signifie pour nous la fin d’un cycle, mais comme dans 5th Season où l’on parlait de la fin de l’humanité, c’est toujours dans l’idée d’une renaissance. L’idée c’est qu’il n’y a jamais de fin. Il y a de nouvelles choses qui arrivent en repartant de zéro, et aussi comme le disait Chomsky, la possibilité de retourner à l’essentiel. Une nouvelle étape s’ouvre à nous et le clou a été enfoncé par la période Covid. Ce n’est pas la fin du groupe mais un redémarrage.

M. : Le morceau Pemmican l’explicite bien avec les paroles de Gaël Faye : « J’ai des visions de fin du monde / J’ai des visions d’un nouveau monde ». Vous travaillez comment avec les artistes présents en featurings ?

O. : Parfois le texte vient naturellement et ça se fait tout seul, mais c’est souvent une discussion avec l’artiste d’aborder ce thème là. On fait de la musique instrumentale, donc ça reste toujours assez abstrait. Souvent tu cherches un peu une raison et un sens à ce que tu peux faire instrumentalement. C’est agréable d’échanger avec des artistes comme Gäel Faye, qui a mêlé un côté ego-trip avec l’ambiance dans laquelle on était.

M. : Vos productions peuvent traduire ces intentions consciemment ou inconsciemment ?

C. : Je ne pense pas que tu puisses vraiment exprimer des messages via la production. Ce qui est d’ailleurs bien dans la musique, c’est que tu ne peux pas l’idéologiser. C’est davantage via les textes et comment on l’a présenté visuellement.

 

O. : Tu crées une ambiance et après tu en donnes le sens. Par exemple sur le morceau Ouroboros, le dernier de l’album 5th Season qui fait un peu apocalyptique, le titre n’est pas venu par hasard. Quand on donne un titre, c’est que ça représente quelque chose pour nous.

 

C. : Ça vient toujours après coup. Quand on compose la musique, on n’a aucune autre attente que la musique en elle-même.

 

B. : C’est aussi parce qu’on a la chance de faire de la musique, certains le conçoivent dans l’autre sens : on leur donne un texte avec un mot-clef, et on leur dit de sortir un morceau autour de ça. On n’est pas du tout dans cette démarche, on fait la musique, et ensuite on se pose la question d’en savoir le sens. On n’est pas conditionné par quelque chose dès le départ. C’est une grande chance en fait.

 

O. : C’est important de créer un univers pour nous qui n’avons pas de textes. Ça arrive quand tu crées la tracklist d’un album, c’est comme composer la BO d’un film qui n’existe pas. Tout prend un sens à ce moment et des images peuvent venir. J’aime bien raconter une histoire avec un album, mais c’est toi qui te l’invente.

M. : L’EP s’ouvre avec Don’t Panik : vous nous dites en quelque sorte de ne pas paniquer face aux choses qui vont se produire. Et l’EP se termine par Happy End

O. : Don’t Panik porte le message dont tu parles et Happy End en est le négatif. C’est un morceau uptempo et positif qui a une vraie fin. C’est un titre au second degré : soit on passe au travers de ce qui va nous arriver, soit on va tous mourir, mais en tout cas on y va gaiement. C’est un générique de fin de film des années 80. L’EP prend sens sous cette forme, mais musicalement ça part dans tous les sens à l’intérieur.

 

C. : Happy End est issu des mêmes sessions que les morceaux de 5th Season, on était en résidence dans une maison en étant entourés de synthés et d’un piano à queue. On l’a composé pendant toute une après-midi.

 

B. : Ça a duré longtemps, pendant 3/4 heures. On n’arrivait pas à l’arrêter.

 

O. : On en rajoutait des couches, des couches et des couches. On l’a travaillé à quatre, avec beaucoup d’éléments, et on l’a retravaillé sur une longue période ensuite. Il y a une vingtaine de versions de ce morceau.

 

B. : Ce qui est vachement bien, c’est que sans deadline on arrive à avoir du recul sur les morceaux. Des fois, tu te dis que c’est super, et le jour d’après tu te rends compte que ce n’est pas si bien que ça. Quand tu peux mûrir la production, avoir plusieurs étapes, à la fin tu es sûr de ton coup quand tu le sors.

De gauche à droite : Chomsky, Mr. Gib, oOgo et Blanka © Frame Pictures
M. : Quelle a été la chronologie de création des titres ?

C. : Happy End et Don’t Panik ont été créés pendant les mêmes sessions de l’album, sinon la chronologie est assez éclatée.

 

B. : Des fois certains morceaux sont super vieux, mais ils prennent tout leur sens plus tard. Ça me fait penser à cette anecdote avec le producteur Hi-Tek qui avait ce morceau qui était resté au fond d’un tiroir. Il l’a retrouvé, il l’a envoyé à Anderson .Paak et ça a donné Come Down, l’un des singles de l’album Maliblu. Des fois ça ne veut rien dire, tu fais des morceaux que tu juges vieux mais qui ne le sont pas. Je ne sais pas quand est la naissance d’un morceau : si c’est quand tu fais ta maquette ou quand tu trouves le bon featuring.

 

C. : On a l’impression que ce sont les morceaux qui nous utilisent, plus que nous qui les utilisons (rires).

 

O. : Surtout quand il y a une seconde phase avec les featurings, ça prend une toute autre dimension.

M. : Vous retravaillez vos productions après que les artistes aient posé leur featuring ?

B. : Oui, souvent. Une fois que tu as les paroles, tu as envie d’aménager le morceau pour que ça colle parfaitement à la voix.

 

C. : Il faut nettoyer la production, on a tendance à surcharger comme on n’a pas la voix dans un premier temps. Et tout d’un coup, la voix devient le nouveau lead.

M. : Il y a un titre dont on n’a pas encore parlé, c’est On Point avec Penelope Antena…

C. : Penelope m’avait envoyé le morceau avec beaucoup de synthés et une boucle de voix. La voix est d’ailleurs un commentaire qu’elle a récupéré sur une vidéo YouTube, ça l’a fait délirer et elle a décidé de le chanter. Ensuite on a récupéré le track et on a mis de l’ordre : on a ajouté la basse, les drums, le groove. Ça s’est fait super rapidement par mail.

M. : C’est quasiment une réunion de famille avec Penelope, Gaël Faye, Madjo…

C. : C’est vrai ! Il y a des nouveaux aussi avec Orifice Vulgatron de Foreign Beggars, avec qui on avait envie de collaborer depuis longtemps.

 

O. : On a rencontré Orifice Vulgatron plusieurs fois en soirée et on avait joué ensemble au Zénith en première partie de Gramatik. Tom et Eva d’Excuse My French (ndlr : agence de management voisine des bureaux de Nowadays Records) bossaient aussi avec lui, on a eu l’occasion de lui dire qu’on aimerait faire quelque chose ensemble et il était chaud. C’est un rappeur que j’adore. On le connaît plus pour les productions dubstep qui envoient à fond en live, mais quand t’écoutes les albums avec Foreign Beggars il y a des prods à la J. Dilla, il a vraiment cette culture. On cherchait aussi des rappeurs qui étaient à l’aise sur de la musique électronique.

M. : La grande surprise de cet EP, c’est aussi de proposer une Face B avec des inédits présents seulement sur le vinyle ?

O. : On a voulu mettre d’autres sons que l’on voulait avoir absolument sur le vinyle, et qui sont effectivement uniquement disponibles sur la version physique. Un vinyle c’est l’occasion de se dire : « On a de la place, autant ajouter des sons que l’on aime beaucoup ». On a toujours fonctionné comme ça depuis les compilations La Boulangerie. On a donc mis notre remix de Choose The Heart de Madjo qui a beaucoup tourné sur Nova. Il y a des remixes aussi de Hugo LX et de Patchworks que l’on aime beaucoup. Enfin il y a L’autre Dimension, un titre inédit qui est hyper-speed et qui a été fait pour le live.

M. : L’empreinte du live est super forte sur l’EP ?

O. : J’ai toujours aimé la House Music. On a quelques titres à 140 BPM avec Maluca (ndlr : présent sur leur album 5th Dimension), E.V.A et Happy End. C’était dans cette mouvance super rapide en imaginant un délire en fin de concert. C’est drôle mais avec le recul, ça me fait penser au projet que l’on avait avec Chomsky qui s’appelait Hoosky. On a un peu rajouté ces ambiances plus clubs et uptempo dans La Fine Equipe. J’aimerais bien faire plus de morceaux pour faire danser les gens.

M. : En attendant de danser ensemble, on peut admirer la magnifique pochette depuis chez soi…

O. : La pochette a été créée par l’illustrateur Lili des Bellons, qui a aussi réalisé le clip de 5th Season. Les polices et le design graphique sont d’Émile Sacré alias VECT. Je suis très content de cette pochette, tu pourrais presque l’acheter sans la musique (rires).

 

B. : D’ailleurs j’en profite, Lili des Bellons a dessiné en partie la série The Midnight Gospel qui est dispo sur Netflix. Il y a 8 épisodes et c’est ultra bien. Si tu aimes la pochette de l’album, je te conseille d’aller checker.

M. : On ira checker ! Et pour vous, comment s’annoncent les futurs projets ?

O. : On va continuer à faire de la musique. On attend que les tournées reprennent, on a plein de projets, on se note plein d’idées, on se met des choses de côté… On a envie d’enregistrer avec des musiciens. J’aimerais aussi bien refaire une série de nos compilations La Boulangerie, j’ai une liste de 50/100 artistes que j’aimerais contacter. Je ne les ai pas encore appelés mais ça ne va pas tarder. J’aimerais réunir plein d’artistes et de beatmakers, de la nouvelle génération et de l’ancienne, y compris des musiciens qui colleraient au délire. Et puis organiser des soirées autour de ça, des Block Party comme on le voulait le faire au départ.

 

B. : De mon côté, je viens de sortir mon album Flares avec deux musiciens (ndlr : Dan Amozig et Corentin Pujol) qu’on va sûrement embaucher pour la prochaine Boulangerie parce que c’est des tueurs. Et si j’ai déménagé ce n’est pas pour rien, j’ai une idée derrière la tête. J’aimerais faire une résidence d’artistes, je pense qu’on va se réunir une semaine à la maison, à faire que de la musique en studio. J’adore quand on se donne des périodes pour la musique. D’habitude, tu fais 10 minutes de musique, puis tu sors ton téléphone, tu regardes ton mail, donc il n’y a pas vraiment de continuité pour un projet. Quand tu fais tout en une semaine, tu poses les bases, tu crées une ambiance, une entité, comme ce que l’on a fait pour 5th Season.

M. : Tu es en train de me parler d’un nouvel album ?

B. : Oui, pour un nouvel album. L’idée c’est de faire 10/20 morceaux, puis de trier et de les retravailler ensuite. Et puis pour mes projets personnels, j’ai envie de réunir des gens là-bas. J’adore les rencontres en studio, c’est ce qui m’a toujours drivé, et ce qu’on a essayé de faire avec La Boulangerie. Quand des gens sont en studio ensemble, que moi je suis derrière pour la réalisation, je sais qui vaut quoi, ce que chacun peut apporter au truc, et parfois ça crée quelque chose de magique.

M. : Le studio est déjà installé ?

B. : C’est en cours. Je pense que d’ici la fin de l’année le studio sera opérationnel.

M. : Et toi Chomsky, la suite ?

C. : J’ai eu le temps de me remettre dans l’exploration, de chercher dans la musique. J’ai collaboré avec l’artiste chilienne Selma Mutal pour l’album Music for an Imaginary Ballet. À côté de ça, il y a le label Kowtow Records, bien que ça soit compliqué de développer des artistes à cause de la Covid-19. Il n’y a pas un contexte favorable en absence de scène.

La magnifique édition vinyle de Cycles, illustrée par Lili des Bellons et designée par Émile Sacré alias VECT
M. : Ma dernière question vous la connaissez, c’est la signature chez Arty Magazine. Quelle est votre définition d’un artiste ?

B. : C’est un mec qui transporte du matériel à 10 000 euros, dans une voiture à 1 000 euros, pour gagner 200 euros en concert dans un bar.

M. : Pas mal, je ne la connaissais pas ! Chomsky et oOgo vous voulez que je vous relise vos définitions de 2019 ?

C. : Attends, on va essayer de les retrouver.

 

O. : J’avais probablement commencé par dire qu’un artiste est un mec normal, que tout le monde est créatif à sa manière, mais que certains en font leur métier.

M. : Dans le mille !

O. : Je me dis que l’on attend d’un artiste qu’il crée des choses avec de la liberté, d’être assez détaché de ce que la société nous impose tous les jours. C’est cette liberté que certains n’arrivent plus à avoir qui fait rêver les gens. Les artistes sont parfois comme une fenêtre ouverte sur autre part, ça fait du bien.

 

C. : Je rejoins oOgo, un artiste c’est quelqu’un qui a le courage de prendre sa liberté. Ça engage une forme de solitude, pour moi c’est un paria qui le courage d’assumer qui il est, ce qu’il veut faire, sans compromissions.

 

B. : Pour moi, c’est quelqu’un qui arrive à mettre en musique et décupler une émotion.

Cycles est disponible sur Bandcamp, Spotify, chez les Balades Sonores.

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