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La Femme, entre flegme et paradigmes

La Femme, entre flegme et paradigmes

Camille Laurens
Retour gagnant pour les ovnis de la scène musicale française. La Femme réinvente la trame de son histoire avec une liberté déconcertante. Entre visuels oniriques, morceaux ésotériques et interviews mystiques : Welcome in Paradigm Land.

17H, une nostalgie nappe notre rencontre du parfum du monde d’avant. Posé à l’Hôtel Amour, les souvenirs festifs habitent le lieu, entend-on presque les bruits des verres qui trinquent, des éclats de rire aux baisers volés. Pour l’heure, le duo d’artistes est venu partager son retour avec un troisième album, Paradigmes, qui, comme son nom l’indique, déroute : « On aime bien déstabiliser, tester, renverser, créer, remettre en cause le monde qui nous entoure, peut-être qu’en réalité, nous ne sommes pas là ? » Si. Rencontre réelle teintée d’absurde.

Camille : Salut Marlon, Sacha, ça fait plaisir de vous retrouver après cette longue absence ?

Sacha : Tellement ! Même les interviews, au bout d’un moment, ça manque beaucoup.

C. : Et l’Hôtel Amour, pourquoi ?

Marlon : On vient souvent ici d’habitude, hors Covid. Il y à la fois un aspect symbolique car on est habitué, et pratique car Sacha habite à Biarritz, et l’atmosphère du bar est réjouissante.

C. : Du coup, depuis 4 ans, comment s’occupe la Femme ?

S. : En réalité, notre dernier album (ndlr : Mystère) est sorti il y a 4 ans, mais entre temps il y a eu les tournées, les projets de notre côté, le studio, l’écriture… On n’est pas resté inerte durant la période pour revenir soudainement ! Et avec la Covid, il y a eu un an suspendu.

C. : L’écriture de Paradigmes, comment vous vous y êtes pris ?

M. : Très spontanément. Il y a quelque chose de viscéral, on fait rarement de longues pauses, mais ça vient naturellement. En règle générale, on crée énormément, et un jour, on va se retrouver et choisir les morceaux qui nous parlent le plus.

C. : Vous avez explosé assez jeune, depuis de manière continue, la pression de la page blanche reste-t-elle présente ?

M. : Non, car notre succès a été tempéré. Une multitude de « mini mini succès » qui rendent cela plus modéré qu’un buzz énorme. Et là, la pression pèse car il faut rester au top, tandis que nous, c’est linéaire mais en courbe croissante. Ça veut dire quelque chose (rires) ?

C. : Tu penses que les gros buzz sont néfastes pour les artistes ?

M. : Quand tu es une Angèle, un Stromae, il faut tenir la barque sur le long terme ! La machine t’emporte, alors que nous, c’est quand même plus mitigé. Notre premier Zénith, on l’a fait au bout de 7 ans. On n’osait pas avant, ça s’est fait petit à petit.

C. : Vous avez toujours voulu faire des grosses tournées ?

M. : Non. Au début, La Femme c’était un délire de potes. Quand ça a commencé à prendre, la tournure est devenue plus sérieuse et là on était sûr de vouloir en faire notre vie : des tournées, des stades, des tours du monde. Maintenant, on a hâte !

« Au début, La Femme c’était un délire de potes »
C. : Et Paradigmes, parlons-en !

S. : Paradigmes, c’était une évidence. On a glitché d’abord sur l’esthétique du nom, ça sonne bien, c’est beau. On a eu un rapport au mot avant le sens, il sonne comme énigme, et il est proche du mot « paradis », dont on parsème notre univers musical et visuel. Puis le sens, une vérité que l’on peut démonter à tout moment.

 

M. : C’est une vérité que quelqu’un porte en soi, mais qui n’est pas LA vérité. Par exemple, même les fondements que l’on pense indémontables : l’eau qui bout à 100 degrés. Et bien, elle bout à cette température, avec notre gravité, notre grille de lecture. Mais sur Mars, je ne pense pas. Donc tout est paradigmes. Même les vérités universelles.

C. : Il y a un côté un peu fourre-tout, dans ce mot

S. : Totalement ! J’aime bien que cela veuille tout et rien dire. Notre album d’avant, Mystère (ndlr : sorti en 2016) avait la même capacité d’englober le vide et le plein. Et aussi, les femmes sont mystères, sont énigmes, alors sont-elles un paradigme ? Ah ! Que le mot apporte autant de discussions, de questionnement, en soi, c’est déjà une matière intéressante pour nous.

 

M. : Peut-être que c’est seulement à la fin de notre vie, que l’on saura ce qu’est le paradigme ! Et la quête de sens, c’est le but d’une vie ! On est un peu philosophes aujourd’hui.

C. : À part le mystère, quelle est l’autre touche propre à La Femme ?

S. : Le sonar ! On a un bruit de sous-marin que l’on met presque dans tous nos morceaux.

C. : Il est perceptible ?

S. : Totalement. Au début, on lui préférait la cymbale et finalement, le bruit du sous-marin est beaucoup plus agréable pour les transitions entre le couplet/refrain. C’est une touche qui nous définit.

C. : Même si cela peut être réducteur de se résumer à un genre musical, comment définiriez-vous votre musique ?

S. : Indéfinissable ! Les étiquettes servent dans les bacs des disquaires, mais nous on aime se décrire comme totalement libres de tout style. Dans l’album, il y a du rap, du rock, de l’électro. Si tu veux être global, disons pop.

 

M. : On a notre son qui est singulier, qui confond tous les styles. Prenons plutôt la question à l’envers. Qu’est ce que l’on ne fait pas ?

C. : Bonne idée. Qu’est-ce que vous ne vous voyez pas faire ? Ou que vous n’avez pas encore eu l’occasion de toucher ?

M. : On essaie tout au maximum, quitte à être rocambolesque. Mais je dirais peut-être la bossa nova et le classique. Les accords en bossa nova, je ne les connais pas, ils sont très complexes. On aurait besoin d’une initiation poussée mais on aimerait bien, ce serait un nouveau challenge excitant.

 

S. : Il y a certains artistes qui aiment rester dans un univers précis, comme Brassens ou Brel, et ça leur réussit si bien. Nous, on préfère tout tester.

C. : Et comment vient l’inspiration ?

S. : Souvent, une grille d’accords, une mélodie. Et aussi une ambiance ! Quand tu n’es ni trop triste, ni trop heureux, le moment est parfait.

C. : C’est difficile du coup…

S. : Il faut réussir à capter la bonne longueur d’ondes. Le mythe de l’écriture salvatrice… Quand tu as la tête au fond du seau, tu n’y es pas vraiment. Je suis triste, donc je ne veux pas écrire de musique triste que j’auto-alimente, c’est un cercle vicieux. Non, pour composer, j’ai besoin de trouver l’entre-deux pour être dans un élan créatif.

C. : Il y a des moments où votre duo n’était pas sur la même longueur d’ondes ?

S. : C’est arrivé une seule fois, pour des chansons paillardes. Sinon, on avance toujours ensemble.

C. : Et pour Paradigmes, les morceaux ont été écrits pour l’album ou ils étaient déjà prêts ?

M. : On pioche souvent dans une bibliothèque que l’on a déjà prêt. Parfois, ce n’est pas le bon moment. Cool Colorado date par exemple d’il y a plusieurs années.

C. : Alors que l’on compare pas mal le morceau à Mac DeMarco… Vous l’aviez écrit avant !

M. : C’est assez simple, on a les mêmes inspis. Les guitares en chorus c’est The Cure. En vrai, on s’est aussi inspiré d’une boucle que Wax Tailor avait samplé d’un groupe des années 70. Mais on adore Mac DeMarco !

C. : Et d’autres personnalités avec qui vous aimeriez jouer ?

M. : Les Farfadets du Lirou. Des elfes de Narbonne qui font du médiéval festif, allez voir ! Ou Boris des années 90. Mais mon rêve en ce moment, c’est de faire le Boom Festival au Portugal.

C. : Dès que possible, foncez ! Pour revenir à vos morceaux, les titres sont puissants, parfois sombres, pourquoi ?

M. : Ce sont des thèmes récurrents, et peut-être une certaine facilité à parler d’univers un peu dark. Mais beaucoup de morceaux parlent aussi d’évasion et de voyage, donc on n’est pas uniquement dans l’autoflagellation.

C. : Dernière petite question signature chez Arty Magazine. Qu’est-ce qu’un artiste pour vous ?

M. : Un artiste est celui qui va exprimer des sentiments par le biais d’un support. Et de matière continue !

C. : Et la scène dans tout ça ?

S. : C’est un des moments clés, de la même manière que le disque ou le studio. Les moments les plus forts que j’ai eu en écoutant de la musique, c’était au casque, avec quelques paradis artificiels. La scène, c’est jouissif mais pas uniquement ! Marlon est plus performeur que moi, mais on reste nous-même. On a hâte d’y retourner en tous cas !

Paradigmes est disponible sur Spotify.

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