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Gael Faure : « Ouvrons les horizons et arrêtons de tout rendre attendu »

Gael Faure : « Ouvrons les horizons et arrêtons de tout rendre attendu »

Anoussa Chea

Trois ans après Regain, Gael Faure dévoile L’eau & La peau, un EP à la fois épuré, spirituel et qui fait surtout la part belle aux cuivres.

Au mois de juillet, nous étions partis à la rencontre de Gael Faure au Jardin des Tuileries, à l’ombre des marronniers et des tilleuls en floraison. Cette conversation passionnante, spirituelle voire philosophique aura donné lieu à deux interviews en une.

Il y a quelques semaines, on te dévoilait la première partie au cours de laquelle on abordait son nouveau clip qui accompagnait Renoncer, le premier extrait de L’eau & La peau. Aujourd’hui, on te dévoile la seconde partie de cette entrevue qui aborde plus en détails ce nouvel EP. Avec ce disque, le chanteur ardéchois opère un tournant en assumant pleinement ses choix en tant que réalisateur, en nous confiant ses questionnements et ses émotions. Une mise à nu, comme jamais il n’en avait faite auparavant.

L’eau & La peau est donc un disque qui témoigne d’une grande sagesse et introspection dont n’importe quel auditeur pourra tirer des enseignements riches de sens, inspirants et épanouissants.

Anoussa : Ton EP s’appelle L’eau & La peau. Que signifie ce titre ?

Gael Faure : Quand je suis parti de Paris, je suis arrivé dans la Drôme provençale, à Pont-de-Barret à coté de Rochebaudin, près de la forêt de Saou. C’est un endroit magique avec une eau qui vient directement du Vercors. L’été dernier, j’allais me baigner tout le temps dans l’eau translucide de la rivière, je plongeais et j’aimais la sensation de l’eau qui perle sur ma peau. C’est un élément qui me rend fou, me fascine, que je trouve dingue, qui peut être très beau et qui fait aussi peur. Tu peux nager dans une petite crique paradisiaque, et dix mètres plus loin, ça peut devenir tout sombre. C’est l’élément le plus puissant.

 

« Eau » et « Peau » sont aussi deux mots graphiques, ça s’écrit E-A-U et c’est beau. Je voulais un titre simple, pas trop élaboré et qui sonne. Ça rappelle aussi quelque chose d’organique et d’agréable au niveau des sensations.

A. : Tu as co-réalisé cet EP avec Emiliano Turi. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

GF. :  C’est un très bon ami depuis 8 ans. Il a enregistré tout l’album Regain qui avait été réalisé par Renaud Letang. C’est un musicien hors pair, qui a commencé par le jazz et qui est capable d’avoir plusieurs cordes à son arc. Il est brillant. Il a aussi le sens de la famille et des responsabilités. Il a le goût du travail bien fait, il est pointilleux mais en même temps ouvert.

A. : Comment s’est déroulée votre collaboration ?

GF. : On est hyper complémentaires, on se fait confiance. Ça a été assez efficace et gagnant. On a vraiment pris le temps. Il a beaucoup bossé et m’a laissé beaucoup travailler sur l’EP. C’est pour ça que je me permets de dire que j’ai co-réalisé l’EP parce que j’ai beaucoup plus d’idées qu’avant que j’assume plus. Par exemple, sur Renoncer, j’ai écrit toutes les parties des cuivres à la guitare. Emiliano a fait toutes les batteries de l’EP. Ce disque est un truc de copains qui sonne.

A. : J’aimerais d’ailleurs revenir sur la présence des cuivres sur ton EP. C’est rare d’en attendre traités de cette manière et ça apporte vraiment quelque chose ! Pourquoi avoir voulu mettre des cuivres comme tu l’as fait ?

GF. : Je voulais changer, évoluer. J’avais envie de proposer quelque chose d’assez chic, classe et posé mais tranquille. Je voulais ce mélange d’organique et de synthétique qu’on ressent bien dans l’EP, avec des synthés un peu partout, des cuivres et un piano droit. Il n’y a presque pas de guitare alors que tout l’EP a été composé à la guitare.

A. : Peut-on dire que L’eau & La peau se situe, d’une certaine manière, dans la continuité de Regain ?

GF. : Oui et non. L’eau & La peau est moins léché et sonne plus live que Regain. Dans Regain, il y avait quelque chose de plus lourd et chaud. Le mix de l’EP a été pensé plus « rentre dedans ». Et, les sonorités changent pas mal. Je voulais aussi avoir de longs fleuves, ne pas couper les chansons, que ça voyage. Par exemple, le morceau L’œuvre de nos vies dure plus de 6 minutes. J’aime le fait d’avoir de moins en moins de structures. Quand j’écoute ce titre, j’ai envie qu’il continue et qu’il ne s’arrête jamais, un peu comme si tu rentrais en transe !

A. : Comme dans Regain, l’EP comporte un titre en anglais. Il y a également une chanson dont le refrain est chanté en espagnol. Ça te procure quoi de chanter dans des langues étrangères ?

GF. : La joie de se faire plaisir dans la bouche, c’est le plaisir que ça procure de chanter dans une langue différente. Souvent, on parle de cohérence, mais la cohérence ce sont mes compos, ma voix et ça suffit. On n’a pas besoin d’être enfermé à chanter uniquement en français ou cloisonné dans tel ou tel truc. Soyons libres, ouvrons les horizons et arrêtons de tout rendre linéaire et attendu. Quand j’ai composé Ma folie, ma maison, j’étais à Majorque et j’avais envie de casser ce truc. Pour The Healer, j’ai toujours aimé chanter en anglais. J’ai fait appel à La Chica pour l’écriture du titre parce qu’il me manquait quelque chose pour raconter une belle histoire. Je voulais quelque chose autour de la guérison et d’un chamane, qui parle d’expiation de toutes nos peurs et nos craintes.

« J’avais besoin d’écrire sur la constellation familiale, des fantômes de famille, des choses qui sont vraiment en nous alors qu’on n’a rien demandé » ©Thomas Laisne
A. : Tu risques quoi ? est certainement le titre qui m’a le plus marquée par ce qu’elle raconte. Quelle est la genèse de cette chanson ?

GF. : J’adore ce track. J’ai commencé cette chanson il y a 5 ans. À la base, je pensais à un pote qui n’osait pas se lancer. Pendant l’écriture, quelqu’un m’a dit que cette chanson pouvait aussi parler de moi. Parce que je suis toujours là à me prendre la tête, à me demander si ce que j’écris va être assez bien. Ensuite, j’ai commencé à l’écrire pour moi, en parlant de moi. Le « Tu risques quoi ? » est génial parce que combien de fois dans la vie, on entend quelqu’un dire « mais tu risques quoi, mec ? T‘as la vie devant toi, t’as de l’or entre les doigts, t’as peur de quoi ? »

A. : Dans le titre Ma folie, ma maison, tu dis « accepter mon désordre, ne plus juger mes émotions mais les aimer. » Cet EP a-t-il été thérapeutique ? Te sens-tu plus apaisé ?

GF. : Je pense l’être. Cet EP peut faire du bien. En tout cas, il m’a fait du bien. J’ai pris de grosses tartes et j’ai compris des choses. J’avais besoin d’écrire sur la constellation familiale, des fantômes de famille, des choses qui sont vraiment en nous alors qu’on n’a rien demandé mais c’est là parce que ce n’est pas soigné en amont. Dans cette chanson, je dis « j’ai toujours voulu désapprendre puis réapprendre pour reconstruire ma folie, ma maison. » Je parle de ma folie qui fait partie de moi. Elle m’appartient et j’en fais ce que j’en veux.

A. : Tu es donc plus en phase avec tes émotions aujourd’hui ?

GF. : Je n’ai plus peur d’être épris de trop d’émotions. Avant, je m’énervais beaucoup. Maintenant, je me sens plus tranquille parce que j’ai compris, je me suis excusé et je me suis pardonné parce que ça ne venait pas que de moi.

A. : En quoi « désapprendre » pour « réapprendre » est-il important ?

GF. : C’est un travail auquel il faut s’atteler et c’est un des travails les plus durs. Je pense que c’est vraiment important pour se libérer. Certains peuvent passer à coté de leur vie parce qu’ils n’osent pas regarder au fond d’eux mêmes, ils n’osent pas ouvrir leur corps et se demander ce qu’ils veulent. Ces gens se réveillent souvent trop tard parce que la chose la plus précieuse, c’est le temps qui est irrattrapable.

A. : Trouves-tu que ces sujets ne sont pas assez abordés ?

GF. : Je suis un peu critique avec ce qu’il se passe aujourd’hui parce que je trouve qu’il n’y a pas assez de messages positifs, c’est un peu trop perso. Quand tu parles de ta vie, tu parles aussi de la vie des autres mais c’est souvent un peu trop violent, aucune solution n’est proposée. Ça manque d’engagement spirituel et d’amour vrai. On a l’impression qu’aujourd’hui le mot « Amour » est un gros mot. Avec Tu risques quoi ?, il y a une échappatoire.

A. : On arrive à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?

GF. : Cette question est trop bien, j’adore ! Je me suis tellement posé cette question et j’ai tellement eu de réponses différentes. Un artiste sait se décentrer de lui-même pour se mettre dans la vie des autres et paradoxalement, c’est difficile de se mettre dans la vie des autres quand tu n’es pas ancré et inscrit dans la tienne. Un artiste se doit de ne pas oublier la chance qu’il a de faire ce métier, que ce n’est pas commun ; même si avec les réseaux sociaux et Internet, ça le devient de plus en plus ce qui provoque un nivellement vers le bas car tout le monde se croit artiste. Ce mot est trop employé et bafoué.

 

Un artiste est un artisan qui va commencer une chanson avec une guitare et petit à petit, il va la polir, la regarder de loin, avoir une idée pour la creuser pour qu’un jour sa chanson soit prête. Un artiste, c’est un peu d’humilité pour aller toucher une chose plus grande que nous qui est la musique. Il ne faut pas oublier qu’à la base, la musique donnait du courage aux esclaves dans les champs.

L’eau et la peau est disponible à l’écoute sur Spotify.

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