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Draumr : « Je voulais que cet album marque un tournant dans ma vie »

Draumr : « Je voulais que cet album marque un tournant dans ma vie »

Marin Woisard

Bercé par la pop des années 90, Draumr plonge dans une nouvelle ère avec la sortie de son premier album, Drawn-Out Daydream, paru le 11 décembre dernier chez DesTours Records.

Depuis 2015 et Nefelibata, le quatre-titres symbolisant l’envolée de Draumr, les mélopées cotonneuses du chanteur nous sont devenues familières, comme un doux songe que l’on caresse du bout des doigts, sans pouvoir en saisir l’ensemble des tenants et aboutissants. Normal, quand on sait que son thème de prédilection est le rêve. Gabriel Cheurfa, de son vrai nom, nous a ouvert ses portes pour parler de sa trajectoire de musicien, du trouble de dérealisation dont il a souffert, et de la mélancolie qui guide ses notes. De quoi lever le voile sur son projet solo, aussi intime qu’intriguant, au cours d’un entretien-fleuve passionnant.

Marin : Salut Gabriel. Voilà maintenant 6 ans que tu as lancé ton projet solo Draumr, peux-tu m’en raconter la genèse ?

Gabriel Cheurfa : Après plusieurs années à jouer de la batterie dans deux autres formations qui ont pris une très grande place dans ma vie, j’ai ressenti le besoin de m’émanciper. Une intuition me motivait à surpasser la peur d’écrire et de chanter mes propres chansons. Une succession d’événements marquants m’ont poussé à aller de l’avant, afin de pouvoir partager et exorciser toutes les émotions par lesquelles j’étais passé. Avec l’espoir de pouvoir aider d’autres personnes à mon tour par le biais de la musique. Je ne me suis imposé qu’une seule condition à la création de ce projet : toujours être honnête.

M. : Ce projet est aussi né en écho à l’angoisse mentale, dite « déréalisation », dont tu as souffert. Quels en sont les symptômes ? En quoi la déréalisation a-t-elle influencé ton processus de création ?

G.C. : La déréalisation est un trouble encore peu connu du grand public, beaucoup de gens en souffrent sans le savoir. C’est ce qui m’est arrivé au moment de ma première crise fin 2011, j’ai eu la chance d’avoir été entouré d’un ami en école de médecine qui m’a aidé à mettre un nom dessus. Ça arrive souvent à la suite d’un événement traumatisant, ou d’une phase de stress très intense. On se retrouve à se questionner constamment sur la réalité du monde qui nous entoure, et si l’on n’est pas en train de rêver, ce qui produit un déboussolement violent qui nous amène à des crises de panique qui peuvent aller très loin, nous portant à croire et craindre que ça ne partira plus jamais. Cela mène bien évidemment à la dépression et à l’isolement. Si j’ai décidé d’en parler aussi ouvertement c’est aussi pour encourager les gens qui en souffrent à ne pas abandonner et de savoir qu’on peut sortir de cette spirale, en se faisant aider. Quand on sort de ça, on est souvent à fleur de peau, très sensible aux moindres détails de notre vie. C’est ce qui m’a inspiré l’écriture de manière générale, et plus précisément le thème du rêve.

 

Parler de mon histoire à travers le prisme d’un monde onirique, avec des personnages et des lieux hors du commun, qui nous sortent de notre torpeur, c’est ma manière à moi de combattre mes angoisses en créant ma propre version de la déréalisation : inspirante et apaisante.

M. : Côté production, on entend ton amour pour les années 80/90, ton travail sur la guitare, les synthés et les percussions. Quelles influences te guident au quotidien ?

G.C. : On ne sait souvent pas vraiment pourquoi on écrit telle ou telle chanson, c’est comme une intuition, ou une réminiscence. Comme si elle avait toujours été là, endormie, attendant le jour où elle prendra sens. Je pense qu’ayant grandi dans les années 90, j’ai été bercé par un tas de sonorités de cette époque, que j’ai tout d’abord rejeté pendant un bon nombre d’années avant d’y revenir. Le clavier avec lequel j’ai composé et enregistré tous mes morceaux jusqu’à mon deuxième EP Ethereal Mildness est un clavier datant de 1997 ayant appartenu à un membre de ma famille, avec un panel de sons digitaux qui semblent, à la première écoute, avoir mal vieilli, mais qui révèle une richesse étonnante une fois apprivoisé.

 

J’aime être surpris par la musique que j’écoute, ne pas savoir à quoi m’attendre, mais aussi les beaux accords, une puissante mélodie, dissimulée derrière une étrange fausse simplicité. J’ai beaucoup d’inspirations différentes, allant de Panda Bear à Grouper, en passant par Pink Floyd et les Beatles, mais aussi Vangelis, Ariel Pink’s Haunted Graffiti, Tame Impala, Andy Shauf, Fleet Foxes… La liste est encore très longue. J’ai établi une vaste playlist sur Spotify, regroupant les morceaux qui m’ont le plus inspiré et que je mets à jour régulièrement qui s’intitule Through The Night si des gens sont intéressés !

Le collectif de graphistes Chroniques Cosmiques, composé d’Ivan Herrera, Thibaud d’Elloy et Kathleen Ponsard, a signé l’identité du premier album de Draumr
M. : Ton premier album Drawn-Out Daydream est ouvertement plus pop que tes précédents EP Nefelibata et Ethereal Mildness. Quel cheminement t’a mené à la création de ce format long ? Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

G.C. : L’exercice de l’album est loin d’être évident. Il me fallait une belle histoire, une continuité, et beaucoup de temps devant moi. Les deux précédents EP, en ajoutant tout ce qui va avec (les concerts, les clips, les visuels, la promotion etc…) m’ont pris énormément de temps, car j’avais besoin de trouver ma place, musicalement et personnellement. Je me suis essayé à plein de sous-genres, d’instruments, d’humeurs, en sortant de ma zone de confort à chaque nouvel attelage, pour arriver au résultat d’aujourd’hui qui correspond à mon empreinte à l’instant précis de l’écriture.

 

Je voulais que cet album marque un tournant dans ma vie, et qu’il la représente de la manière la plus forte et honnête possible, c’est pourquoi j’ai pris autant de temps à le concevoir. J’ai réintroduit la guitare électrique que j’avais mis un peu de côté depuis mon EP Nefelibata, et qui a désormais une place prédominante – jouée par Pierre Duval, le très talentueux musicien avec lequel je travaille et à qui je dois beaucoup pour cet album. Igor Bolender, le musicien/producteur avec qui je travaille depuis le début a également apporté beaucoup aux chansons, ayant joué certaines parties de synthé, de piano, et de basse Moog. L’aspect visuel devait également être à la hauteur, c’est pourquoi j’ai passé une année de plus à travailler dessus. L’écriture, la production et la réalisation de chaque clip, pochette, ou photo est extrêmement chronophage.

M. : C’est la première fois que l’on entend la voix aux inflexions Axelle Red de la chanteuse et actrice Dorcas Coppin. Quel a été le processus créatif sur les deux titres Sunlight Tryst et Another Heart ? Menez-vous d’autres projets en parallèle ?

G.C. : C’était à la fois des retrouvailles et une vraie fusion artistique. Je cherchais une chanteuse pour l’album et elle cherchait quelqu’un pour l’aider à concrétiser son envie de faire de la musique. Nous nous sommes recroisés au bon moment. La création du morceau Another Heart en particulier a été la plus ambitieuse de l’album, c’est un genre auquel je ne m’étais jamais entièrement frotté, ce qui a rendu la tâche plus compliquée, mais très stimulante, et surtout extrêmement amusante. J’ai toujours adoré les comédies musicales, et plus particulièrement les duos hommes-femmes : John Travolta et Olivia Newton John avec Summer Nights, ou encore Elton John et Kiki Dee avec Don’t go Breaking My Heart. Il y a une énergie enivrante et une nostalgie presque instantanée qui s’en dégage. C’était ma façon à moi de rendre hommage à toutes ces chansons, et surtout d’avoir les miennes !

 

On travaille depuis plus d’un an sur plusieurs titres « solos » de Dorcas que j’ai produit et co-écrit avec mon ami Pierre Duval – que j’ai mentionné plus haut. Un projet en français, très pop et assez différent de Draumr, que j’ai hâte de faire découvrir, et qui devrait voir le jour dans le courant de cette année.

M. : Tu as mis en images Sunlight Tryst avec le réalisateur Maxence B. Cardon. Je crois savoir que tout est fait do it yourself. Tu me racontes une anecdote révélatrice du tournage ?

G.C. : Il y a tellement d’anecdotes intéressantes sur ce clip que je ne saurais pas t’en donner qu’une seule ! Tout d’abord j’aimerais souligner que la plupart des scènes principales du clip ont été tourné en plan-séquence et reflètent exactement ce que l’on voit à l’écran (mis à part la rotoscopie et l’animation bien sûr). Il n’y a quasiment pas de triche en post-production. L’univers de la chambre bleue où les protagonistes se réveillent chacun leur tour est un vrai décor que nous avons construit, il n’y a pas d’incrustes. Nous avons également passé beaucoup de temps à créer un dispositif que l’on a accroché à la caméra qui consistait d’un miroir rotatif juste devant l’objectif afin de changer de perspective de reflet et de scinder l’écran en deux sur le premier refrain du morceau. Ce qui a nécessité beaucoup de répétitions et de devoir chorégraphier toute cette séquence. Une dernière anecdote assez folle est que le tournage a eu lieu les 7 jours précédents le premier confinement, l’annonce du président était le 16 Mars et nous avons terminé le 15 au soir !

M. : Plus loin, tu brouilles les pistes avec Elsewhere Forever, dont je ne saurais dire si c’est une love story, un fragment mélancolique, ou les deux à la fois. De quoi cette chanson est l’histoire ?

G.C. : Il s’agit d’une dernière lettre d’amour écrite après ma séparation avec une fille dont j’étais très amoureux et avec qui j’ai partagé ma vie pendant longtemps. C’est un morceau qui a beaucoup d’importance, car il a été le dernier à être écrit au sein de l’album, et le plus difficile à enregistrer. La création de cet album s’est faite en partie pendant cette séparation, et il garde son fantôme planant au-dessus de lui. Ça a été un moment extrêmement difficile pour moi, et j’avais besoin d’inscrire cette histoire dans le temps.

 

Le titre de la chanson : Elsewhere Forever, raconte la distanciation physique due à la séparation, en demeurant « ailleurs pour toujours », mais également le fait d’être « toujours ailleurs » mentalement, ce qui me définit, m’accompagne et m’inspire au quotidien, mais qui a pu aussi malheureusement me coûter certaines relations. Cette chanson était également une manière pour moi de faire une pause et de me retrouver face à un reflet couvert de plaies et de défauts auxquels on a souvent pas très envie de se confronter, mais qui est fondamentalement nécessaire.

M. : Plusieurs de tes titres dont Solace In Loneliness me font ressentir une profonde mélancolie, qui est en même temps chaude et réconfortante. La solitude est-elle un moteur de création chez toi ? Comment l’appréhendes-tu ?

G.C. : L’exercice de ce métier amène inévitablement à devoir s’isoler, passer des jours, des semaines, voire des mois enfermé dans un studio, à écrire sur sa vie, à se la repasser en boucle, à l’analyser, sans voir personne et à se noyer dans les méandres de l’âme humaine. Ce qui engendre très souvent un détachement avec le monde qui nous entoure et une profonde mélancolie. C’est un moteur, mais aussi un fardeau, c’est pourquoi avec le temps, j’ai appris à aimer être seul, par le biais de la méditation notamment. J’ai toujours été très solitaire, mais je n’avais jamais atteint le stade auquel je suis arrivé aujourd’hui, qui est souvent d’y trouver du réconfort et de la joie, même si je pense n’être seulement qu’au début de mon apprentissage. Les réponses à toutes nos questions sont très souvent ancrées en nous même, et se résultent à vivre pleinement l’instant présent ; c’est un des grands thèmes de cet album.

M. : Le morceau Drawn-Out Daydream clôt magnifiquement le disque, sans aucune parole, en apesanteur instrumentale, comme à la sortie d’un rêve. Quelle importance a pour toi ce track, au point de lui donner le titre de l’album ?

G.C. : Ce morceau symbolise l’espoir et la persévérance, qui permet de rester sur les rails et de poursuivre ses rêves. Quand on prend un moment pour regarder autour de nous, avec un sourire bienveillant, et se rendre compte que le temps à bien fait les choses, et que malgré toutes nos angoisses et craintes, la passion qui nous enlace fait durer ce rêve lucide plus longtemps que prévu, d’où le titre Drawn-Out Daydream (littéralement, « Rêverie prolongée »). J’apporte une affection toute particulière à ce morceau, qui a pris forme de la manière la plus simple et docile possible, comme une évidence. Chaque fois que je le réécoute, il me rappelle qui je suis et d’où je viens.

M. : C’est aussi l’un de mes titres préférés par sa puissance limpide. Nous voilà arrivés à ma dernière question, notre signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?

G.C. : Un artiste est un catalyseur d’émotions, il nous rassure et joue le rôle de guide, de prisme par lequel on passe pour interpréter le monde à sa manière et s’émanciper.

Drawn-Out Daydream de Draumr est disponible sur Spotify.

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