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Rencontre avec Cascadeur, le super-revenant de la scène française

Rencontre avec Cascadeur, le super-revenant de la scène française

Guillemette Birkui

Pour la sortie de son 4ème album intitulé Revenant, Cascadeur fait le grand saut en combinaison aéroplanante pour répondre aux questions d’Arty Magazine. L’artiste le plus mystérieux de la scène française, dont le visage est masqué depuis plus de 10 ans, continue son périple avec un nouvel opus de haute voltige.

Depuis 2011, la révélation grand public de son tube Walker et son premier album The Human Octopus, Cascadeur ne cesse d’avancer avec perfectionnisme et pudeur. Après deux albums, une longue préparation et une image repensée – du costume aux clips en passant par la scénographie, l’auteur-compositeur nous emporte une nouvelle fois dans son univers sensible. Cette fois, en direction du ciel.

Alexandre Longo, l’artiste sous la combinaison, se dévoile un peu plus avec son nouvel opus Revenant. Les 13 titres de l’album apportent chacun à leur manière une musicalité particulière et des thématiques touchantes, rendues plus tangibles grâce au choix du français. Jusqu’au-boutiste, l’artiste construit patiemment son univers en transmettant à chaque fois de nouvelles émotions, intégrées dans un storytelling total. Rencontre les yeux dans la visière.

Guillemette : Bonjour Cascadeur. C’est ton grand retour depuis la sortie de ton album Camera en 2018, comment te sens-tu ?

Cascadeur : Je suis heureux de renouer avec le public, ça fait du bien dans cette période particulière. Je ressens aussi de l’impatience et de l’appréhension car les premiers échos arrivent sur la réception de l’album (ndlr, propos recueillis en février). Ce sont toujours des périodes un peu spéciales, mais c’est agréable de montrer son travail, ce qui nous a animé depuis plusieurs années. Ce sont des moments assez riches.

G. : Avec tes deux albums Ghost Surfer et maintenant Revenant, on voit la thématique récurrente du fantôme. Quelle est la logique derrière ces titres ?

C. : Oui c’est sûr, Revenant est un clin d’œil à Ghost Surfer. Je voulais qu’il y ait un rebond entre les morceaux, et puis, la figure du fantôme c’est quelque chose qui m’est cher. Le « revenant » on peut aussi le lire comme une variante du fantôme. C’est aussi le retour à la vie, le retour de tout ce qu’on a pu négliger. Et puis enfin l’idée du comeback, notamment en musique. Ce sont comme des renaissances au sein d’une même vie, ça me touchait pas mal.

G. : Un revenant accompagne aussi l’idée d’une période vécue, de changement. Chez toi, il prend la forme d’un nouveau costume créé par Ludovic Houplain, de l’agence graphique H5. Quelle envie guide cette nouvelle direction artistique ?

C. Oui, ce nouveau costume est aussi lié à ma renaissance. Mes trois premiers albums étaient comme un triptyque, là j’avais soif de mutation, d’être fidèle à ce que j’avais assemblé durant ces dix premières années pour ouvrir une nouvelle voie, avec sa continuité et ses nouveautés.

 

Pour l’apparence graphique, j’avais des idées en tête dont on a débattu avec Stéphane Levallois, le storyboarder. C’était un travail de projection avec une cohérence entre ce que je pouvais suggérer dans le disque et ce qu’on pouvait entrevoir sur scène. C’était une construction intéressante à faire avec différents intervenants, pour poursuivre le personnage. Je voulais que ce soit lumineux car l’album Camera était plus sombre. C’est aussi un travail qui rejoint l’enfance avec des zones sombres et une figure qui se détache. Cette mutation m’intéresse. Et puis, on retrouve l’idée du vol plané, car la figure des gens qui font de la chute libre m’intéresse beaucoup en tant que cascadeurs. Voilà, il y a plein de résonnances. 

Après un voyage intergalactique, Cascadeur est de retour en wingsuit
G. : On sent dans tes clips des inspirations liées à l’enfance, dont tu parles ouvertement avec nostalgie dans La Promesse. Pour toi, quelle place a la notion d’enfance dans cet album ?

C. : Ça a toujours été constitutif de Cascadeur, j’ai beaucoup poussé dans l’enfance pour construire le véhicule sonore et graphique de mon personnage. Je crois que le rapport à l’enfance est aussi dans le traitement musical. Il y a des voix enfantines sur tous les albums, et quand je chante, je cherche à chanter plus haut que je ne pourrais le faire, donc il y a aussi la voix de l’enfant, la voix avant la mue. Retrouver une voix perdue, quelque part.

G. : Justement, on sent dans tes morceaux le choix des belles voix, un peu rêveuses, notamment dans Young avec The 4 French Girls. Qui sont-elles, et pourquoi elles ?

C. : C’est une histoire d’adolescence et de fidélité. Ce sont des jeunes filles que j’ai connues il y a plus de 10 ans. Ce sont elles qui chantent sur la version la plus connue de Meaning (ndlr, single de l’album The Human Octopus, 2011). À ce moment-là, elles étaient en première et terminale. On a toujours gardé contact et elles étaient présentes sur le deuxième album (ndlr, Ghost Surfer, 2014). Là, je les aie invitées à nouveau sur celui-ci. Je travaille de façon très fidèle avec mes ami.e.s, c’est important de s’inscrire dans le temps avec des êtres humains et de constituer des équipes comme celle-là. C’est essentiel et impressionnant de voir qu’elles ont aussi la même voix et qu’elles sont différentes à la fois. Elles étaient autres, en étant les mêmes.

G. : La nouveauté dans le chant, c’est que tu fais le choix du français sur plusieurs titres. Pourquoi ?

C. : Là aussi, c’est un travail dans le temps. Dès que j’ai sorti le premier album officiel, j’avais dit auprès des gens avec qui je travaillais que je voulais cet « endévoilement ». Je me suis masqué sur le premier album, puis j’étais de dos et peu à peu la figure s’est retournée. Sur le 3ème album (ndlr, Camera, 2018) c’était d’autres voix musicales, et je me suis dit qu’on ouvrait une autre étape. Le français est ma langue maternelle, elle fait partie du dévoilement. Je voulais quelque chose de bicéphale, avec ces deux faces entre français ou anglo-saxon. C’était intéressant de tout mêler et de tout construire avec ce double langage. C’est un peu la grande nouveauté aussi le retour du français, la langue française comme une langue revenante. Tout est un peu justifié dans la démarche.

G. : Dans un style plus électro, il y a ton titre Silence qui me ferait presque penser à une BO du Revenant. Quelle était ton intention avec cette autre facette de ton univers ?

C. : Je me suis bien amusé avec ce morceau-là. Je voulais qu’il soit référencé et fasse penser à une sorte de BO des années 70-80 avec un dévoilement sur la seconde partie du morceau. Au début, c’est assez intimiste et suspendu, l’entrée est très cinématographique. Après, il y a une sorte de pulsation qui arrive, un peu mécanique, un peu déréglée, avec une surimpression de sons lâchés comme ça. C’est vrai que c’est un morceau très imagé. Silence c’est plus comme une musique de Kraver, Giorgio Moroder, et des influences plus contemporaines comme la BO de Drive. C’est un retour de sons pour arriver au silence. L’idée, c’est que la musique, c’est aussi jongler avec des ingrédients issus d’autres temps. Je vois ce titre comme un générique d’album.

G. : Justement, tu as réalisé de nombreuses collaborations pour le cinéma ou la télévision, comme la synchronisation de Meaning dans la série Lupin avec Omar Sy. Quelle place occupe ces médias chez toi ?

C. : Le cinéma, c’est ce qui m’a donné envie de faire de la musique. À 6-7 ans, je suis avec mes parents et on voit un film de Sergio Leone qui me marque par son impact sonore et visuel. La musique d’Ennio Morricone m’a marqué avant même de commencer la musique. C’est vrai qu’on me dit souvent que je fais des choses assez imagées, cinématographiques. Ce sont des influences et références invisibles qui m’ont beaucoup forgé.

G. : Comment as-tu mis ça en place dans Revenant ?

C. : Je voulais jouer avec les codes de l’orchestre dans un morceau comme Revenant qui est très symphonique, et après Respirator où il n’y a presque plus rien. Je voulais jouer avec tous ces reliefs. C’est aussi le jeu du cascadeur d’être sur le fil de plein de choses, d’être un équilibriste.

G. : Tu crées des images par la musique…

C. Oui, quand on fait un disque on réalise comme un réalisateur de cinéma. C’est aussi vrai dans le sens où il y a les décors, les costumes, les éclairages, tu choisis ton casting, tu écris un synopsis… Dans ce que je fais, ça s’auto-alimente.

G. : J’ai remarqué ta collaboration avec Stuart Staples sur Wanted. Il a quelque chose de mélancolique, presque sombre dans sa voix et sa manière de chanter. Est-ce que c’est ça qui vous lie ?

C. : C’est drôle parce qu’il chantait déjà sur Crossing dans mon deuxième album. Comme il a une voix de baryton, je me disais que c’était la figure du revenant. Je me dis qu’il y a quelque chose de très visuel dans sa voix et donc c’est l’idée de le faire revenir sur cet album-là. C’est une figure assez charismatique qui est importante dans l’histoire de la musique, à mes yeux comme Christophe. Là, je lui laisse plus de place, c’est lui qui devient le chanteur principal et moi une voix de refrain qui l’accompagne. Ça me plaisait d’être plus un producteur qu’un chanteur à ce moment-là. Laisser la place, en restant dans l’ombre.

 

G. : Cascadeur a l’allure d’un super-héros avec sa super combinaison. Ce sont des codes avec lesquels tu voulais jouer ?

C. : Oui, je voulais jouer avec les codes du super-héros en sachant pertinemment que je n’en suis pas un. Il fallait que ça reste un peu maladroit et enfantin, je ne voulais surtout pas être le sauveur du monde. Ce qui me plaît, c’est le contraste entre l’image guerrière du super-héros, et en même temps ce qu’il se passe musicalement. J’ai l’impression qu’avec ce contraste ce que je fais existe. Si j’étais à visage découvert, ma fragilité serait autre, là je fends une armure. Comme un enfant qui oserait plus pleurer quand il est déguisé en Zorro. Voir un super-héros dans ses failles, ça me touche plus qu’une figure impénétrable.

G. : Pour finir, on termine avec notre question signature chez Arty Magazine, quelle est ta définition d’un artiste ?

C. : Ne pas forcément savoir qu’on en est un. Je ne me considère pas comme un artiste, il y a cette idée de ne pas en être complètement conscient, bien qu’on sache que l’on fait quelque chose de particulier. Il y a aussi cette idée de prendre plaisir à jouer. On joue du piano, de la guitare, et souvent on perd un peu cette notion de plaisir et de jeu. Par ce que je fais, je peux enlever mon armure d’adulte plus facilement et me sentir libéré d’une certaine inhibition quand je deviens Cascadeur. L’artiste est quelqu’un qui ose être lui-même et s’extraire de certaines normes pour revenir aux autres.

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