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Ce qu’il ne fallait pas manquer au Festival International du Film d’Amiens

Ce qu’il ne fallait pas manquer au Festival International du Film d’Amiens

Thierry Champy

La 42ème édition du Festival International du Film d’Amiens s’est tenue du 11 au 19 novembre dernier. Arty Magazine s’est évidemment rendu à ce rendez-vous incontournable du cinéma. On te débriefe le meilleur du festival, d’Alice Diop à Charles Tesson, en passant par nos coups de coeur, sans oublier le palmarès.

Novembre 2021. Lors de la soirée de passation, Anouchka De Andrade, ancienne directrice du FIFAM, cède son poste à Marie-France Aubert. Janvier 2022. La succession est officielle, l’ancienne programmatrice du festival de documentaires Seytou Africa et d’Enlève tes chaussons rouges, festival de films dansés, Marie-France Aubert tente avec humilité de garder l’impulsion politique et militante de ses prédécesseurs. Cette dernière affirme l’importance accordée au continent africain et au cinéma documentaire. Toutefois, la nouvelle directrice-programmatrice propose cette année une sélection haute en couleur mêlant fictions et documentaires de tout azimut, permettant au public un regard sur les sociétés d’ailleurs.

Carte blanche à Alice Diop

Alice Diop était l’invitée d’honneur de cette 42ème édition avec une carte blanche autour de ses influences cinématographiques. Au programme, deux documentaires : Chronique d’une banlieue ordinaire de Dominique Cabrera et Sud de Chantal Akerman, le tout accompagné de trois fictions : Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche, Le Rayon vert de Éric Rohmer et Losing Ground de Kathleen Collins.

Et la réalisatrice était présente lors de l’un des moments phares du festival : la présentation de son couronné Saint-Omer – en lice pour les Oscars. Un triomphe. Son sujet ? Alice Diop dresse le portrait de deux femmes : l’une est maîtresse de conférence et l’autre, mère accusée d’infanticide. Le film aborde la place des femmes au cœur de notre société. Des sujets comme la grossesse, l’ascension sociale et la couleur de peau y sont aussi évoqués.

Saint-Omer est basé sur des faits réels. En 2013, Fabienne Kabou a pour dessein de mettre fin aux jours de son nourrisson. Quelques jours plus tard, elle passe à l’acte en abandonnant son enfant à la mer. Le procès a lieu en 2016 et la déclarée coupable est condamnée à vingt ans de détention. Comment ne pas être affecté.e par un drame d’une telle ampleur ? Surtout lorsque l’accusée répond avec stupeur « Je ne sais pas » à la question « Pourquoi avoir tué votre fille ? ». Alice Diop s’intéresse alors à l’affaire. Il aura fallu plus de trois ans d’écriture avant l’aboutissement du projet. Elle indique : « Assister à l’intégralité du procès était primordial. Cela m’a permis de reconstituer minutieusement l’univers judiciaire et tout son protocole. Il s’agit de raconter la vérité, on ne peut mentir à aucun moment ».

La réalisation de ce film est un prolongement de ses observations au procès qui lui ont permis d’être la plus authentique possible. Elle mêle ses expériences professionnelles et personnelles afin d’aborder des enjeux plus universels. Elle interroge notamment la définition d’une mère et en quoi cela consiste d’être mère. Bien évidemment, le film en souligne toute la dimension tragique.

Dans ce long-métrage qui oscille entre fiction et documentaire, la réalisatrice n’hésite pas à emprunter la puissance du genre documentaire et à mettre en avant les points de vue aussi divergents soient-ils permettant au spectateur de vivre le procès par substitution. Le film l’amène à réfléchir et à étudier l’ensemble des hypothèses. Saint-Omer prône non seulement l’universalité mais propose une belle définition de l’impartialité.

Marie-France Aubert, nouvelle directrice-programmatrice du Festival international du film d’Amiens.

Masterclass de Charles Tesson, le sensei de la critique cinéma

Anciennement rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma (de 1998 à 2003), Charles Tesson enseigne désormais l’histoire et l’esthétique du cinéma à l’Université Paris III. Il a également été nommé délégué général de la Semaine de la critique à Cannes en 2011. Cette masterclass à la maison de la culture d’Amiens est l’occasion, pour lui, de revenir sur ses débuts et, au passage, de nous livrer un cours dédié à la critique. Magistral.

Aussi curieux soit-il, son initiation au cinéma commence avec Ben-Hur et Laurence d’Arabie. Charles Tesson ne pensait pas que le cinéma pouvait avoir autant d’effets. Après des études de Lettres à Nantes, sa passion pour le cinéma le dévore et son intérêt pour la critique se développe. Les Cahiers du Cinéma lui offrent sa chance. Les astres s’alignent.

Le cours commence. Le maître souligne d’abord que tout le monde peut avoir la faculté de critiquer ou de juger un film. Selon lui, être critique est une forme de partage et de transmission. Seulement, il distingue une différence entre le critique de films et le critique de cinéma. Le critique de film se focalise sur des détails comme le jeu des acteurs ou la bande son, sans grand intérêt d’après le professeur. Selon lui, un critique de cinéma devrait plutôt tisser un lien avec le réalisateur ou la réalisatrice afin de connaître ses origines ou encore ses intentions. La curiosité prime. Il faut choisir un film pour ce qu’il est et non pour son genre, d’où l’importance de la personnalité d’un film. Charles Tesson met aussi en garde les critiques négatives, souvent à des fins polémiques et considérées comme nuisibles.

Quant à la Semaine de la critique à Cannes, elle reste dans la continuité de la critique de cinéma. Il s’agit d’un travail de sélection exigent et présente quelques paradoxes. En effet, un film à succès est rarement apprécié. La première règle à laquelle le comité doit se soumettre est le choix du film. Il s’agit ensuite d’expliquer pourquoi ces films inspirent autant. La deuxième règle est centrée sur les attentes et les motivations du réalisateur ou de la réalisatrice à faire des films.

Charles Tesson au micro pour une masterclass de qualité.

How to Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya

Présenté à l’ACID au Festival de Cannes 2022, ce journal intime parle de spleen, d’euphorie de jeunesse et d’amour dans une Russie autoritaire. Marusya Syroechkovskaya, réalisatrice du film et actrice, tente éperdument de répondre à la question que soulève le titre du film : comment sauver un ami d’ores et déjà mort ?

Le film commence par la fin. Le spectateur assiste à un événement intime : les funérailles d’une personne décédée. Puis une narratrice, à l’aide d’une voix-off, nous invite à un voyage temporel afin de nous introduire son ami. Son nom : Kimi. Leur rencontre occupera la première partie du film. Le portrait des deux amants est présenté dans un montage sur-vitaminé, teinté d’images kitsch tout en vénérant Kurt Cobain, dieu d’une certaine rébellion pré-pubère. Sans oublier Joy Division en featuring et une consommation abusive de drogues. Ces images s’avèrent davantage une démonstration d’arts visuels tel un vernissage d’étudiants des Beaux-Arts.

Caméra à l’épaule, la réalisatrice russe montre l’omniprésence de la police – signe d’une politique autoritaire – dans cette « Fédération de la connerie ». Les problèmes socio-économiques y sont dénoncés : jeunesse à l’abandon, difficulté d’insertion sociale, taux de chômage considérable. Cette critique servira de transition à la deuxième partie du film. Kimi développe des tendances suicidaires au fil du temps. Cette intrusion dans l’intimité de son couple permet au public de comprendre son sentiment névrosé et autodestructeur indirectement causé par la société russe. On y voit beaucoup de jeunes adultes qui tentent de se faire interner dans des hôpitaux psychiatriques, ou qui rusent pour se faire ordonner des médicaments à base de dopamine avec des effets similaires aux drogues dures, afin d’échapper à une misère sociale surplombante. Ce long-métrage est à la fois un exutoire face à une société en errance et une lettre d’amour à Kimi.

Une histoire à soi d’Amandine Gay

Dans Une histoire à soi, les personnages ne sont pas filmés. Afin de combler ce vide, leurs voix résonnent en off et leurs visages existent par le biais de photographies d’archive. Leur point commun : l’adoption. Amandine Gay évoque, dans son documentaire, les adoptions transnationales et leurs répercussions, notamment les remarques racistes vécues par ces adoptés au cours de leur vie.

La réalisatrice met en lumière la complexité de l’insertion et de la question identitaire que vont vivre ces jeunes protagonistes. Nicolas, un des adoptés, témoigne et avoue oublier son nom de naissance. « Je vais vivre Nicolas », affirme-t-il. Ces enfants sont dans une ambivalence entre le fait d’être totalement intégrés administrativement mais rejetés dans la cour de l’école. Le film aborde également ce besoin de partir à la recherche de ses racines une fois jeune adulte afin de se construire une identité entière. C’est une fois dans le pays d’origine que le syndrome que vit Bill Murray dans Lost in Translation se fait comprendre.

Le privilège d’adoption pour ne pas dire le privilège occidental n’est pas négligé. Au contraire, « grâce à eux [les familles occidentales], ils [les enfants adoptés] ont une famille ». Mais, nous pourrions très bien dire que « grâce à eux [les enfants adoptés], elles [les familles occidentales] ont un enfant ». La conséquence est la même. Où que ces adoptés aillent, ils sont trop souvent refusés.

Une histoire à soi brille pour sa pertinence malgré une narration très redondante (le montage alterne entre lettres, photos, archives VHS, INA et France 2).

About Sohee, le film qui a tout raflé !

About Kim Sohee de July Jung

La concurrence à l’Education Nationale au sujet des taux de réussite est un véritable problème sociétal en Corée du sud. Le décès d’une élève stagiaire a suscité l’indignation auprès de l’opinion publique. About Kim Sohee se base sur ce fait réel. Selon July Jung, la réalisatrice, faire ce film est un hommage aux personnes victimes de pressions qu’elle dénonce. Car, dans cette société, « ce sont [toujours] les plus faibles qui font les travaux les plus ingrats ».

Le film se compose de deux parties. La première, caméra à l’épaule, permet un regard intime sur l’élève, son stage et les causes de son suicide. On se rend compte que la jeune adolescente subit des pressions ahurissantes de la part de ses supérieurs. La psychologie de l’élève se décompose progressivement. Quant à la deuxième, elle concerne l’enquête policière.

Sous ses faux airs de polar, le film emprunte la puissance du film documentaire afin de mettre en exergue le propos du film, c’est-à-dire une critique virulente du libéralisme croissant dans une société devenue amorale obnubilée par les chiffres. Intelligent et percutant.

Palmarès du 42ème Festival International du Film d’Amiens

  • Grand Prix long-métrage : How to Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya
  • Prix du jury : Our Lady of the Chinese Shop de Ery Claver
  • Prix Documentaire sur grand écran : Children of the mist de Hà Le Diem
  • Mention spéciale : About Kim Sohee de July Jung et Alma Viva de Cristèle Alves Meira
  • Grand Prix court-métrage : Urban Solutions de Vinícius Lopes, Arne Hector, Luciana Mazeto et Minze Tummescheit
  • Prix du jury étudiants UPJV : Children of the Mist de Hà Le Diem
  • Mention spéciale du jury étudiants UPJV : About Kim Sohee de July Jung
  • Prix du public : About Kim Sohee de July Jung

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