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Qui est Yuna, la star malaisienne du RnB qui dit non aux majors ?

Qui est Yuna, la star malaisienne du RnB qui dit non aux majors ?

Marin Woisard

À la tête de son propre label, Yuna Room Records, la chanteuse malaisienne basée à Los Angeles a sorti le 11 mars dernier son EP Y1, prélude à quatre autres formats courts qui formeront son album Y5. Présentation d’une artiste anticonformiste à la voix de velours.

C’est l’une des plus belles voix du RnB indépendant. Mais sous le velours pop, Yuna est aussi de celle qui clame le plus fort son désir d’affirmation culturelle et sa vision de la féminité. Née dans la ville d’Alor Setar en Malaisie, Yunalis Zarai, de son vrai nom, s’est offerte un temps les services de Pharrell Williams en tant que producteur et avait tapé dans l’œil d’Usher… Avant de prendre son envol en indépendante.

Retour en 2012, quand la presse indépendante bruisse pour un album sorti de nul part, le premier long format de YunaPorté par le single Live Your Life, véritable hymne duveteux, le disque offre une exposition internationale et un succès d’estime à l’artiste. Cet engouement s’explique en partie par sa signature sur le FADER Label, tenu par les influents créateurs du FADER Magazine, référence absolue de la culture indépendante aux États-Unis.

Pour le reste, c’est un nom qui fait tourner les têtes : Pharrell Williams, grand manitou des Neptunes, appose sa touche en tant que producteur du disque, et adoube officiellement la jeune malaisienne. Sa carrière semble alors toute tracée.

Affirmation de ses racines et de sa culture

Fidèle à ses convictions, l’artiste se produit avec le couvre-chef traditionnel musulman, le hijab. Yuna offre au monde une image sensiblement différente des superstars féminines du RnB. Elle se confronte alors rapidement à des réflexions, qui sous prétexte de prôner la libération de la femme, lui intiment : « vous devriez laisser vos cheveux sortir, vous ne devriez pas être opprimée – vous n’êtes plus en Malaisie. Vous devriez montrer vos courbes et en être fière » comme elle le confie dans une interview pour Billboard, ce à quoi elle répond « mais je suis fière – c’est mon choix de couvrir mon corps. Je ne suis pas opprimée, je suis libre. »

« La musique doit changer », signale Yuna, et cela passe par son affirmation au sein d’une industrie musicale quelque peu décontenancée par tant d’assurance : « Je suis une femme asiatique musulmane, faisant de la musique dans l’industrie musicale américaine. C’est un peu du jamais vu. Étant une femme asiatique musulmane qui parle de son identité, je n’essaie pas de me cacher au vu de [l’environnement] politique. » De ce chamboulement, l’artiste en fait une matière créatrice.

Dans son superbe hymne down-tempo à la tolérance, Likes, Yuna reprend les critiques contradictoires et déconcertantes auxquelles elle est confrontée. Elle chante sur le refrain : « Oh, elle ne fume pas / Elle ne montre pas sa peau / J’ai entendu dire qu’elle ne boit pas / Pour qui se prend-elle ? » puis enchaîne sur la mesure suivante : « Oh, elle est musulmane, pourquoi / Elle chante sur scène ? / Elle montre son cou en public ? / Je n’aime pas ça / Ça n’a pas de sens pour moi. »

Trois ans plus tôt, sur son album Chapters, la chanteuse offre avec Crush une vision pluriculturelle et inclusive sous la caméra de Daniel Carberry. Plus grand succès de Yuna, certifié or et cumulant plus de 100 millions de vues sur YouTube, le single conte une bluette avec le sex symbol Usher, en noir et blanc sur les marches du City Hall de Los Angeles. Mais sous l’écrin de douceur, un volcan bout. Et il ne va pas tarder à établir son archipel, en toute indépendance.

Un nouveau souffle en indépendant

Finies les signatures chez Universal Music. Finis aussi, les prestigieux featurings. Le 11 mars 2022, Yuna a repris son indépendance avec son EP Y1, prélude à quatre autres formats courts qui formeront son nouvel album Y5. C’est sa première sortie en dehors d’une major depuis 10 ans, mais aussi les retrouvailles avec son label Yuna Room Records, où elle avait sorti l’EP l’ayant révélée en 2010, Decorate.

À l’époque, Yuna avait créé son label en réaction aux exécutifs de labels malaisiens qui lui demandaient de se conformer au stéréotype d’une artiste à succès : « Nous avons appris à créer un label avec mon manager Wawa après que les labels aient refusé de me signer à moins que j’enlève mon foulard [de la tête] et que je ne chante que des chansons en malaisien », expliquait t-elle dans une story Instagram en 2018. Désormais, Yuna Room Records est la porte ouverte pour son émancipation face à l’uniformisation de l’industrie musicale américaine.

Pour garantir le succès artistique de son nouvel EP, la compositrice s’entoure en studio du producteur Malay multi-acclamé pour sa collaboration avec Frank Ocean sur Channel Orange. Au visuel, le réalisateur Adam Sinclair, qui est aussi son mari, offre aux trois singles de l’EP une fresque esthétique et lumineuse. Résultat ? Une impression de renouveau rafraîchissant et de sensibilité ultra-maîtrisée.

C’est enfin et surtout l’occasion pour Yuna de se laisser aller à des thèmes parmi les plus personnels. Après l’intro de l’EP, la compositrice dédie Hello en hommage à son cousin décédé l’année dernière, puis écrit Pantone 17 13 30 comme un hymne de confiance en soi pour s’assumer dans sa propre peau, avant de comparer la durée de vie d’un artiste dans l’industrie musicale – dont la péremption est rapide, à une Cigarette qui se consume.

Fidèle à ses racines et plus que jamais fière de les revendiquer, Yuna offre un nouveau tournant excitant à sa carrière, jusqu’alors captive d’une vision trop uniformisée et industrialisée. Si le reste du chemin sera plus difficilement pavé de singles d’or, la liberté et l’authenticité artistique ne semblent avoir aucun prix.

Y1 de Yuna est à écouter sur Spotify.

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