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YouTube : Thérèse revient sur la censure de son clip « Skin Hunger »

YouTube : Thérèse revient sur la censure de son clip « Skin Hunger »

Marin Woisard

Chanteuse, musicienne et militante, Thérèse a sorti le 9 juin dernier le clip de Skin Hunger réalisé par Génial Pictures. Son hymne à l’amour sensuel et laiteux s’est vu invisibiliser par le mastodonte YouTube malgré l’absence de contenu à caractère sexuel.

Après les solitudes exacerbées des confinements successifs, Skin Hunger de Thérèse est apparu comme le précieux exutoire face au manque de contact, que les matchs sur toutes les applis du monde ne sauraient remplacer. Le clip réalisé par Charlie Montagut et Thomas Daeffler de Génial Pictures transcende la chanson dans un immense frisson de peaux frôlées, au milieu duquel apparaît la déesse des amours Thérèse, qui attire à elle tout un cercle d’adeptes. Mais sa sortie sur YouTube ne s’est pas passée comme prévue.

Censure arbitraire dans la jungle algorithmique

L’algorithme YouTube n’a pas attendu longtemps avant de censurer la miniature (bien qu’aucun contenu à caractère sexuel n’y soit visible) avant de s’en prendre à la vidéo elle-même en l’invisibilisant sur le moteur de recherche de la plateforme. Résultat des courses, certains utilisateurs ne trouvent pas le clip en tapant « Thérèse – Skin Hunger ». La problématique est épineuse quand il s’agit comme ici de promouvoir un projet propulsé en indépendant et financé en fonds propres.

Depuis peu, YouTube semble vouloir durcir ses conditions générales d’accès – en témoigne la restriction d’âge qui a récemment pénalisé le clip Gang Naturiste de Charlotte Fever, malgré une mise en ligne il y a deux ans et demi. Si la presse ne se substituera jamais à la viralité d’un contenu, les relais de Causette et Auféminin pour Thérèse témoignent de la nécessité d’évoquer le sujet du shadow ban arbitraire, et soutenir les artistes indépendants pris au dépourvu.

On est allé rencontrer l’artiste pour prendre la température à quelques jours de son concert au Crossroads Festival.

Marin : Salut Thérèse ! Tu as sorti ton EP Rêvalité le 12 mars dernier, que s’est-il passé pour toi depuis ?

Thérèse : Je ne sais pas tellement par où commencer. C’est une année un peu folle ! Il y a d’abord eu une résidence d’écriture et de composition au Makeda à Marseille, puis à Lille avec Adam Carpels (il faut bien préparer la suite !) et j’ai aussi écrit avec d’autres artistes. J’ai tourné une vidéo avec Waxx en tant qu’artiste « coup de cœur » du Prix Ricard Live. J’ai fait ma première couverture de magazine pour Causette, ma première TV Belge et plein d’autres géniales interviews.

M. : As-tu repris les concerts, depuis le temps que l’on attend ça ?

T. : J’ai fait une petite résidence au Flow à Lille pour préparer la tournée et enfiiiiiin, les dates ! Lille dans le cadre d’Expériences Urbaines, Paris à domicile au FGO Barbara, La Rochelle pour les FrancOff, Civray pour le festival Au Fil du Son, puis la reprise récemment à Orléans chez La Sardine, co-organisée par la team de l’Astrolabe. Puis là, il y a toute la tournée qui continue sur la saison avec une bonne vingtaine de dates qui se profilent.

M. : Et en dehors de la musique ?

T. : À côté de ça, j’ai continué mes interventions en lycées dans le cadre de la musique ou non ou sur des tables rondes, accepté d’être marraine du tremplin Give Me Five (réseau MAP) et j’ai continué mes projets de stylisme pour des artistes, la TV, des pubs. J’ai aussi collaboré avec quelques marques dont je soutiens la démarche : Savage x Fenty, Gucci Beauty pour British Vogue, Vinted, Undiz x Aya Nakamura, Mamoja, l’Honorable, Sophie Cano…

Thérèse les yeux dans les yeux sous la caméra de Charlie Montagut et Thomas Daeffler
M. : Tu sondes avec Skin Hunger notre rapport au corps dans un monde digitalisé. Comment as-tu travaillé sur sa transposition visuelle avec Charlie Montagut de Génial Pictures ?

T. : Avec Charlie et Thomas, on travaille vraiment en famille. Charlie et moi on se connaît depuis un bout de temps, c’est un ami proche. On a des références communes, des similitudes dans la façon d’appréhender le monde, de l’esthétiser. Skin Hunger au départ, c’est littéralement une chanson de cul. En discutant avec Charlie et en prenant du recul sur mes paroles, on s’est rendu compte que ce qui nous intéressait, c’était surtout de parler du sentiment général de « faim de peau » / manque d’humanité. On a beaucoup discuté du « pourquoi » et je lui ai laissé réfléchir au « comment ». On s’est rapidement mis d’accord sur le scénario.

M. : Et avec Thomas Daeffler, la seconde moitié du duo Génial Pictures ?

T. : Thomas Daeffler nous a vite rejoint pour concrétiser la réflexion et on a monté notre équipe de choc « habituelle » (que l’on a agrandie) avec Thomas Wood en chef opérateur, épaulé par Sofiane Hamadaïne-Guest, William Hearsey à la production, ma Marie au make-up et le talentueux Loïc Goraguer pour la partie 3D. C’est la combinaison du talent de toutes ces personnes qui a donné l’âme au projet.

M. : Esthétiquement, c’est l’un de mes clips préférés de ton projet. Quelles techniques avez-vous employées pour arriver à ces plans macros de peau ?

T. : Oh, ça me touche ! Les plans macros de peau ont été réalisés avec une optique macro grand angle. Ça nous a permis d’être très proches de la peau tout en ayant un angle/champ de vision assez large. Puis avec un slider, on a pu créer des mouvements de caméras. Mais c’était très délicat car l’optique se déplaçait tout proche de la peau. Je me suis aussi retrouvée en string avec du gaffer sur les tétons dans des positions pas possibles pour créer une sorte de paysage corporel abstrait. Heureusement que cette team est d’une bienveillance et d’un professionnalisme sans nom parce qu’en y repensant, c’est pas forcément évident ! La création nécessite parfois de se mettre très à nu (au sens propre). Par chance, c’est un processus très thérapeutique me concernant.

M. Le clip a été invisibilisé à sa sortie sur YouTube. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?

T. : YouTube a d’abord censuré ma miniature : c’était mon personnage en 3D entouré de bouts de corps en 3D mais sans aucun organe sexuel visible. L’image a été qualifiée de « sexuellement inappropriée / nudité » et été bannie. Quant au clip, il a été « shadow banned » par l’algorithme. Certain.e.s ne trouvaient même pas le clip en tapant ‘Thérèse Skin Hunger’ dans la barre de recherche et je n’ai même pas pu le sponsoriser pour rattraper la casse… Bref, c’était assez dur.

M. : Quel impact pour toi et ta team ?

T. : On visait les 100 000 vues sur ce clip –Chinoise ? ayant fait plus de 60 000 vues – et finalement, je me retrouve avec 10 fois moins que prévu. Si c’est dur pour la stratégie professionnelle (pas mal d’argent et de temps investis à l’échelle d’un projet indé) et une petite déception personnelle certaine, le plus dur c’était d’accuser la non reconnaissance du travail colossal que toute l’équipe avait effectuée. Ça m’a vraiment fait de la peine et un peu mise en colère. Alors oui, j’aurais pu remonter le clip, ou ne pas le sortir… Mais avec le recul, je suis très fière d’avoir lâché l’objet tel qu’il était, sans toucher au propos artistique. Et permis de ce fait de soulever des questions. Parce que c’est l’essence même de mon projet.

L’objet du drame : voici la vignette que YouTube a décidé de censurer pour « sexuellement inappropriée / nudité »
M. : C’est paradoxal que ce clip soit censuré, il parle de l’influence omniprésente du digital dans nos vies…

T. : Voilà, je parle exactement de cette question-là ! Cette chanson traite du manque d’humanité dû à l’omniprésence des écrans dans nos vies, qui deviennent des filtres, des voiles dans nos relations. Quelle ironie… Je me sens tout à fait « arroseuse arrosée », mais c’est le jeu quand on se frotte à des sujets sensibles.

 

Ça a soulevé un autre paradoxe : celui du corps de la femme et des corps en général. Montrer des culs en string qui twerkent avec du champagne qui coule dessus, pas de soucis – et je n’ai rien contre hein. En revanche, un clip plus prude qu’une pub de gel douche, ça dérange… Est-ce vraiment du puritanisme ? Qui dicte la morale aujourd’hui ? Quel lien nos corps ont-ils avec le capitalisme ? Dans quelle mesure sommes-nous encore en capacité de créer un narratif sur ce qui constitue notre humanité ? À qui appartient notre chair ? Vous avez 4 heures.

M. : Est-ce que tu as reçu des soutiens face à cette situation inextricable ?

T. : Je remercie Causette et Auféminin, tous les médias et les personnes qui m’ont soutenue sur ce clip, mais surtout qui n’ont pas peur de questionner l’ordre établi. Réfléchir sur la société qu’on souhaite est essentiel et on a tou.te.s notre part de responsabilité.

M. : On reste positif : tu seras en live vendredi 10 septembre au Crossroads Festival. Qu’est t-on en droit de s’attendre avec Thérèse sur scène ?

T. : Ne vous attendez à rien. Ça nous permettra à tou.te.s de vivre le truc au présent. On créera ensemble avec le mood du moment !

THÉRÈSE AU CROSSROADS FESTIVAL
Vendredi 10 septembre de 23h30 à 00h00
À la salle Watremez de Roubaix

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