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Interview : Mathieu Saïkaly, l’étoile mélancolique de la chanson française

Interview : Mathieu Saïkaly, l’étoile mélancolique de la chanson française

Marin Woisard

Des reprises guitare-voix de sa chaîne Youtube à la consécration de Nouvelle Star, Mathieu Saïkaly a marqué les esprits d’une voix aussi ample que les millions de particules qui composent son univers. On a rencontré l’artiste pour la sortie de son nouvel album « Quatre Murs Blancs ».

Pour le grand public, Mathieu Saïkaly était le gagnant inoubliable de Nouvelle Star en 2014. Depuis l’artiste a tracé sa route avec son premier album A Millions Particles chez Polydor, sur les ondes avec Nicolas Rey dans l’émission Les Garçons Manqués, et fait un crochet par la case cinéma en tant qu’acteur dans Jusqu’à la garde de Xavier Legrand. Quatre années durant, sa folk viscérale lui est restée cramponnée au corps, présent médiatiquement mais silencieux musicalement, préparant sa renaissance d’auteur. Aujourd’hui, le phénix peut resplendir au-dessus de la mêlée du télé-crochet avec Quatre Murs Blancs, un second disque intime qui porte son univers au-delà de tout ce qu’on lui connaissait.

Un timbre unique, des textes poétiques, la consécration d’un artiste

Avec cet album, le chanteur met les bouchées doubles : une partie en français habitée par sa mélancolie aiguë, l’autre en anglais impulsée par sa ferveur solaire. Sa poésie chaloupée fait résonner nos maux contemporains et leur antidote artistique, naviguant entre la tradition du spleen français et du songwriting anglo-saxon. Mathieu évoque notre incapacité à communiquer, les relents insidieux du paraître, la solitude où se fond la création. Et surtout, cette pureté si facile à abîmer si on ne la préserve pas, comme ces quatre murs blancs peuvent se teindre de pensées sombres d’un claquement de doigts. Que dansent les mots de lendemains qui chantent, Mathieu Saïkaly a percé une nouvelle fenêtre pour nous illuminer de son talent.

Marin : Hello Mathieu. Si on revient quelques années en arrière, tu nous racontes ton parcours après Nouvelle Star ?

Mathieu : J’ai été signé automatiquement sur Polydor après avoir gagné Nouvelle Star. Tout le challenge dans un premier temps a été de me faire comprendre, et de trouver les gens qui me comprenaient. J’ai l’impression que j’étais vraiment dans mon adolescence musicale quand je suis arrivé en major, avec toutes les bêtises que tu peux faire sur un premier album (rires).

M. Je t’avoue que je n’ai pas la télé. Pour un newbie comme moi, qu’est-ce que tu retiendrais de cette période ?

M. J’ai vraiment pris Nouvelle Star comme un terrain de jeu. Au départ, j’imaginais que ce n’était pas fait pour moi, et plus j’avançais dans l’émission, plus j’étais agréablement surpris par le soutien du public. Ça m’a permis de tester plein de directions différentes : explosif et tout sourire, et parfois intime, plus proche de la musique que je fais. Je réfléchissais déjà à l’après, c’est pour ça que j’ai voulu faire des guitares-voix avec l’idée de faire un album intime. Il fallait que j’aie ce recul pour savoir comment ma force se révélait dans l’émission.

M. Tu te démarquais déjà en faisant de la guitare ton instrument de prédilection ?

M. Je joue de la guitare mais j’ai presque l’impression que c’est devenu ringard en 2019 (rires). C’est une vraie passion de travailler la construction mélodique à la guitare. J’ai beaucoup d’influences de la culture anglo-saxonne : les Beatles, Nick Drake, Eliot Smith, Nirvana, Radiohead, The Strokes, Bon Iver, Fiona Apple, Cat Power… Les Artic Monkeys quand leurs mélodies sont à tomber par terre avec une structure harmonique très riche. Même quelqu’un qui n’en joue pas trouvera ça très beau. Dans n’importe quel domaine, j’admire quand t’arrives à faire quelque chose de profond et simple en même temps.

M. Tu te réappropries comment ces références ?

M. J’aime bien prendre l’exemple des Impressionnistes pour leur manière de faire parvenir l’émotion : on peut poser notre regard où l’on veut dans ce mélange de couleurs. Dans mon écriture, je marche beaucoup avec des images qu’on peut se réapproprier différemment selon ce qu’on a vécu. Ce qui est important c’est l’émotion que je mets dedans, et ce que ces images servent à traduire cette émotion. La manière dont une personne va les recevoir en sera une nuance.

M. Cette infinité de nuances est permise grâce à ton approche littéraire ?

M. Il fallait que les mots sonnent dans leur ensemble pour que les mélodies me plaisent. Beaucoup m’ont inspiré dans la littérature comme T.S. Elliot, Sylvia Plath, ou Jacques Prévert et Verlaine en France. Même Gainsbourg. Dans leur manière d’écrire ça rebondit de partout. Et dans la structure des rimes, je suis admiratif de pas mal de rappeurs.

Je me souviens d’Égérie de Nekfeu en 2015 qui a inspiré ma folk dans sa manière de faire rebondir les mots. Et puis j’admire 64 Mesures de Spleen de Jazzy Bazz pour sa manière de donner un sens facile à saisir avec des rimes riches. J’admire beaucoup quand les morceaux sont travaillés et qu’on les reçoit de manière fluide.

M. Cette richesse tu l’as découverte aussi grâce aux Garçons Manqués avec Nicolas Rey ?

M. Ce qui était génial avec les chroniques sur France Inter et le spectacle des Garçons Manqués, c’est que Nicolas Rey prenait à chaque fois de nouveaux textes et moi des reprises différentes. Ça m’a permis de découvrir énormément d’artistes français que je connaissais pas ou peu. Rien que Barbara, j’ai pu la découvrir en profondeur. Nicolas n’a pas le ton lecture, il arrive à incarner les textes hyper bien. Inconsciemment, entendre et chanter beaucoup de français m’a fait progresser à fond.

M. Je ressens cet héritage de la musicalité du mot sur Jeux d’ombres, tu peux nous parler du morceau ?

M. J’étais sur mon logiciel de son avec une guitare électrique et j’ai eu cette progression d’accords qui est venue. Mais quelque chose n’allait pas rythmiquement. Jeux d’Ombres c’est comme si j’avais plein d’ingrédients qui me plaisaient et je touillais dans une marmite en expérimentant feu doux, plein feu, avec du sel… Finalement le squelette s’est dessiné avec cette mélodie et tout a déroulé.

C’est l’un des plus vieux morceaux de l’album, j’avais 22/23 ans. Le point de départ c’est que je venais d’avoir une dispute très intense et en rentrant cet air m’est venu sur le quai du RER. Jeux d’Ombres c’est l’aspect un peu énervé de voir comment c’est facile d’abîmer une certaine pureté. Je voulais parler des relations humaines et de combien les illusions font partie de nos vies. Et  ouvrir le champ des possibles en laissant une sorte de flou dans mon écriture, et que ça puisse être interprété de manière universelle.

M. Souvent le regard amène l’écoute… Et le visuel de Jeux d’Ombres attrape l’œil. Comment t’es venu l’idée du travestissement ?

M. Pour Jeux d’Ombres, je cherchais une manière visuelle de traduire la chanson. J’aimais l’idée du travestissement en tant que symbole de l’illusion dans les relations amoureuses. Le travestissement est un genre qui incarne un autre genre. On le sait, mais on ne le remet pas en question. C’est une illusion qui s’assume. Avec le réalisateur Arsène Chabrier, on a trouvé l’idée du mannequin qui est la poker face ultime. J’aimais jouer avec ces deux symboles de réalité et d’illusion, et aussi, j’avais très envie de me travestir en femme (rires).

M. Ton second clip très fort, c’est celui de Mama Oh I Swear ?

M. Pour Mama Oh I Swear, je voulais aller à l’inverse des ambiances blanches de Jeux d’Ombres. Le clip part du noir, tout y est beaucoup plus sombre. Philippe Billault vient de l’animation avec un style fort, il m’a envoyé un message pour me dire qu’il aimait la musique. Il a longtemps travaillé en studio et avait envie de se concentrer sur des projets plus intimes. L’animation est faite à partir d’images filmées en rotoscopie. C’est un de mes morceaux de l’album préféré.

M. Comme la rotoscopie, tu privilégies souvent le sens caché des mots plutôt que leur visibilité immédiate ?

M. Je m’accroche pour cet album parce que ce n’est pas facile d’être compris en France en n’étant pas frontal avec le sens. D’autres l’ont fait comme Dick Annegarn ou Etienne Daho. Je me sens comme un OVNI mais j’y crois. Je me bats. Pour ce deuxième album, je me suis fait confiance entièrement, mais je n’ai pas réfléchi à l’après, aux tendances musicales du moment.

M. Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour Quatre Murs Blancs ?

M. Je serais très heureux si l’album réussit à s’inscrire dans le paysage musical français. Si je réussis ce pari, ça me confirmera que j’ai bien fait. Ce qui serait dément, c’est d’être compris. Tu fais quelque chose qui sort de ton cœur pour qu’il arrive à d’autres cœurs. J’ai l’impression que dans le public qui me suit, quand ça les touche, ça les touche vraiment.

Clique sur la pochette pour écouter l’album « Quatre Murs Blancs »
M. Ma dernière question est la signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’un artiste ?

M. L’œuvre d’art doit te provoquer quelque chose. Aussi, c’est un miroir de notre société qui passe par notre prisme : je vis, je reçois et j’envoie. Actuel dans son temps et intemporel dans son émotion.

Retrouvez Mathieu Saïkaly sur Instagram et Facebook.

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