L’interview Instagram de MORA MORA, la thérapie pop
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
© Lëah Cold Pictures
La chanteuse d’origine malgache a sorti le 21 mars un premier EP suave et curateur, « The Healer« . Partie défendre son live à travers la France, nous l’avons rencontré à quelques jours de son concert au Hasard Ludique.
Quand on écoute MORA MORA, une paix intérieure nous saisit. Ce n’est pas un hasard si l’expression signifie en malgache « doucement, tranquillement », comme un appel à la contemplation, celle que l’on oublie de chérir dans la frénésie parisienne. Lâche tes antidépresseurs : prends ton temps, ose les détours, MORA MORA sera là pour t’accompagner. Si l’EP « The Healer » nous sert d’antidote urbain, il incarne un renouveau essentiel et fulgurant pour sa chanteuse Joanne Radao suite à un accident survenu trois ans auparavant. La guérison du corps et de l’esprit par la pop.
En concert, Joanne est entourée de quatre musiciens qui forment sa famille de scène. C’est d’ailleurs Vincent Charpin, le batteur, qui l’a accueilli dans sa maison de famille des Alpes du Sud pour réaliser l’EP. Si les morceaux ont bien été écrits à Paris, la distance a favorisé la création d’un son sophistiqué, ondoyant, et apaisé. Son premier single « Goldpaint » clippé par Nouma Foé et Antoine Saint-Faust nous a donné le coup de grâce d’une esthétique lumineuse, suivi du clip de « Sweet Beer » réalisé par Jonathan Schupak. Au fil des sensations, MORA MORA nimbe sa pop salvatrice d’une imagerie soignée.
Marin : Hello Joanne. Ton premier post sur Insta est un extrait de ton premier single « Goldpaint ». Tu nous en parles ?
Joanne Radao : Il faisait partie des derniers titres en chantier dans l’EP, ça me semblait logique de commencer par celui qui était plus proche de ce que je faisais musicalement et dans l’écriture.
Le clip est sorti il y a un an. C’est ma meilleure amie qui l’a tourné dans le jardin de mes parents et dans le Parc de Sceaux, le parc de mon enfance. Il y a une grosse valeur affective par le titre qui me représentait bien à l’époque, et par le visuel qui incarne mon enfance.
La chanson parle de la façon dont on grandit suite à certains événements, et ça me semblait hyper juste de jouer avec les lieux qui ont participé à ma construction.
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Sur cette photo, t’es dans le showroom de Gibson France, une marque légendaire utilisée par les guitaristes Keith Richards et Jimmy Page (entre autres). Comment te places-tu face à cet héritage ?
Mes influences sont beaucoup moins rock, mes parents ont écouté beaucoup de soul et Ray Charles. Mon premier coup de cœur, un artiste qui était constamment en fond sonore, c’est Bob Marley. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, je devais avoir 4/5 ans.
J’ai fait le Conservatoire pendant quinze ans donc également beaucoup de musique classique avec le tube de Mozart, « La Flûte Enchantée » (rires). Et pour terminer Lauryn Hill, qui m’a donné envie de chanter.
Dans la scène contemporaine, je suis attirée par des références très éloignées de ce que je fais. Je suis fascinée par ce que je ne sais pas faire ou ce que je ne fais pas pour l’instant. Le flow de Damso me fascine, les thèmes qu’il aborde, son registre. Je fais une grosse fixette en ce moment sur Half Moon Run, mais aussi Ibeyi, Gael Faye, Orelsan.
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Marin : T’es ici avec ton batteur, Vincent Charpin. Comment se passe votre collaboration en studio ?
Dans la vie, c’est mon binôme. Souvent t’as des gens que tu rencontres très tôt et tu les gardes à vie. Vincent, c’est ça. On a commencé la musique il y a 8/9 ans, donc le travail est facile.
C’est le deuxième cœur et le deuxième cerveau de Mora Mora. Parfois, il amène des prods, on en discute, et on les retravaille à deux. D’autres fois, je viens avec un piano/voix, et on les ré-arrange à deux. C’est vraiment un entrelacement de création.
Marin : Sur tes photos, tu respires une joie de vivre communicatrice. Le titre de ton EP « The Healer » fait clairement mention à une guérison par la musique. C’est une thérapie pour toi ?
Dans la vie quotidienne, je me fais très facilement submerger par beaucoup d’émotions. J’ai commencé la musique au Conservatoire à 4/5 ans, et comme toutes les choses que tu commences assez tôt, tu l’inclues dans ta vie et dans ta manière de te comporter. La musique m’a permis d’exprimer des sentiments que j’étais incapable de verbaliser.
Pour « The Healer », c’était le climax du blocage. Il y a trois ans, j’ai eu un accident suivi d’une période très sombre pour moi. S’il n’y avait pas eu la musique, je me serais engagée sur des sentiers plus obscurs qu’aujourd’hui. Ça me fait plaisir que tu dises que ma joie de vivre ressorte, puisque c’est pas forcément évident pour moi au quotidien.
C’est pas intellectualisé, réfléchi ou stratégique, c’est juste hyper naturel.
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Ton morceau « Lawless » m’a particulièrement marqué par ton amplitude vocale. Tu peux me parler de sa création ?
Il ne ressemblait pas du tout à ça au départ (rires). C’est marrant que tu m’en parles parce qu’on a trouvé l’alchimie parfaite avec Vincent sur ce titre. Pour le texte, je regardais la tournée commune de Jay-Z et Beyonce, et je me suis dit « Quel couple d’escrocs : ils ont un côté gangsta comme s’ils avaient fait le hold-up de l’industrie musicale ».
Je me suis imaginée une version moderne de Bonnie et Clyde, un couple au-dessus de tout qui crée un royaume, et qui domine le monde avec leurs sons et leur marketing.
Je te parlais tout à l’heure de mes fixettes, Beyonce et Jay-Z en sont une. Ce n’est pas pour autant un modèle. Quelle est la part d’humanité dedans ? Qui est Beyonce Knowles au-delà de ses stades et de ses tenues ? Je ne sais pas.
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Première date parisienne, premier sold-out, et pas n’importe où : au Pop-Up du Label. Tu te rends compte de la chance que t’as ?
Quand je penses à tous les artistes qui sont passés au Pop-Up avant moi, j’avais l’impression de faire un Olympia (rires). Mais très sincèrement, je ne me rends pas compte que la chance que j’ai. J’essaie d’apprécier et d’être dans le présent, mais tout va si vite. On s’appelle « Mora Mora » pour rester à la cool et ne pas oublier ce message.
Ce soir-là, j’étais bien dans le présent. C’était l’un des meilleurs moments de ma vie. Cette date, j’en parlerais à mes enfants (rires).
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Le clip de « Sweet Beer » est particulièrement représentatif du soin que t’apportes aux visuels en mêlant la violence du western et la douceur de ta voix. Comment est née cette idée ?
L’idée du western moderne est née autour d’un café avec le réalisateur Jonathan Schupak, avec comme référence « Les Frères Sisters » de Jacques Audiard.
Pour moi tout n’est que conflit entre la violence et la douceur, et même personnellement, j’ai un côté très violent dans comment je me vois, comment je me regarde, et parfois dans mon rapport aux autres. Au fond de moi, il y a une colère même si j’ai une douceur que je préserve.
Le personnage s’affronte elle-même dans le clip, son double adulte, le côté qu’elle refuse peut-être. La lutte fait partie de nous et de ce morceau.
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Pehoz t’as récemment invité en featuring sur le track « Pleine Lune » qui t’ouvres à des productions plus électro. Tu nous racontes ?
Je connais Pehoz depuis 2 ans, il m’a appelé début 2019 pour faire une session en studio. Ce que je ne sais pas faire m’attire, il est très inscrit dans la scène de beatmakers parisiens avec des influences venues du Japon. C’est un exercice de genre, un défi. Comme Vincent, il me pousse à explorer de nouvelles choses tout en étant en confiance.
https://www.instagram.com/p/Bw3-aE7pe0v/
C’est l’un de tes derniers posts. Puisque t’y parles de rêves, quel serait ton plus bel accomplissement ?
En vrai, j’aimerais te répondre : « Me souhaiter la paix ». Je cherche ma paix intérieure, c’est en cours.
On termine avec la question emblématique chez Arty Paris : quelle serait ta définition d’un artiste ?
Réussir à cartographier les émotions et exprimer sa manière de voir le monde. James Baldwin disait que le point commun à tous les humains était la tristesse, on sait tous ce qu’est d’avoir le cœur lourd. Il faut essayer de trouver des points de conjoncture par les émotions.
C’est aussi Picasso qui disait qu’un peintre n’est pas qu’un pauvre gars avec son pinceau, c’est un vrai combattant. On est constamment en lutte avec nos émotions, avec celles des autres.
Merci beaucoup Joanne !
Écouter « The Healer » sur Spotify
MORA MORA EN CONCERT Jeudi 16 mai à 21H Au Hasard Ludique - 128, avenue de Saint-Ouen, 75018 Paris Prévente à 10€ / Billetterie Événement Facebook