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« L’amour Hélas » : Clio dessine la carte contemporaine du tendre

« L’amour Hélas » : Clio dessine la carte contemporaine du tendre

Camille Leigh

Un an après la sortie de Déjà Venise, l’artiste bisontine Clio nous revient comme une respiration salutaire au milieu du printemps avec un 3ème album qui sortira demain, L’amour Hélas.

Mardi 23 février, les quais paisibles et gelés du Canal de l’Ourcq. On a rendez-vous dans le havre de paix du Pavillon des Canaux, décoré façon boudoir romantique avec ses grands canapés cosy et ses voilages aux imprimés floraux. À l’écart d’un Paris trépidant, la maison semble toute trouvée pour prendre le temps d’une rencontre avec Clio, la chanteuse désormais basée à Besançon, qui s’apprête à sortir demain son 3ème album L’Amour Hélas.

Assises sur les confortables coussins au charme désuet, nous avons échangé autour de sa passion pour Alain Souchon, sa collaboration inattendue avec Iggy Pop et ses flâneries rêveuses dans Paris. Le portrait d’une chanteuse intemporelle qui bat la mesure de la poésie contemporaine.

Camille : Ton prochain album s’appelle L’Amour, hélas. On y retrouve les mêmes thématiques que dans tes chansons précédentes ?

Clio : L’amour hélas c’est un peu une manière de m’excuser de n’écrire que des chansons autour de l’amour. Et lorsque j’écris des chansons sur ces choses-là, j’ai du mal à écrire sur le bonheur amoureux, même si, heureusement je ne connais pas que des choses terribles de ce côté-là mais je trouve qu’il y a évidemment bien plus à dire de l’autre côté.

C. : Il y a aussi une forme de tendresse et de douceur dans tes morceaux. Comment arrives-tu à dépeindre si justement les nuances de ce sentiment si complexe ?

C. : J’essaie de trouver à l’intérieur de moi, de ce que j’ai pu ressentir – même si ce ne sont pas vraiment mes histoires que je raconte – j’essaie d’être au plus proche de vrais sentiments. C’est ça que j’aime dans l’écriture : essayer de coller vraiment avec des mots et des mélodies à ce que je peux ressentir.

C. : L’écriture a une place très importante dans ta vie : y a-t-il des lectures, des écrivains, des poètes, qui t’ont marquée et ont déclenché cet amour des mots ?

C. : J’ai commencé à avoir envie d’écrire avant de vraiment lire. Ce n’est pas la lecture qui m’a donné envie d’écrire. C’est vraiment quelque chose de complètement à part. Alain Souchon a une manière d’écrire que je trouve extrêmement touchante et percutante. Je pense plus à des influences comme ça. Je ne crois pas m’être dit qu’il fallait que j’écrive en ayant lu des livres, ça ne vient pas de là.

C. : Comment est-ce que tu travailles l’écriture de tes chansons : les paroles te viennent avant la musique, tu composes les deux en même temps ?

C. : C’est les deux en même temps. J’écris toujours plein de choses dans des carnets, sans savoir trop si ça va devenir des chansons ou pas et après souvent ça part d’une phrase ou deux sur une mélodie au piano. Après, la structure se dessine et dans un second temps, quand la musique est finie, je passe beaucoup de temps à retravailler le texte pour ôter tout ce qui est inutile.

Clio, dans le décor romantique du Pavillon des Canaux, sous l’objectif de Jacques-Henri Heim
C. : Dans tes chansons, tu égraines plein de métaphores très évocatrices : un avion en papier qui cherche son destinataire, une voix pour chanter à notre place quand on veut se taire, la pluie qui tombe. Comment te viennent toutes ces images et qu’est-ce qui t’inspire, dans la poésie du quotidien ?

C. : C’est vraiment ça que j’aime dans l’écriture. Des fois, c’est des petites choses qui me traversent et que j’écris comme ça rapidement, et qui donnent naissance à d’autres images puis parfois à une chanson. C’est souvent comme ça que ça vient, par une petite image qui répond à un autre qui répond à une autre, qui finit par dessiner une chanson.

C. : Il y a souvent un côté hyperlucide voire ironique dans tes textes ?

C. : C’est ma manière de mettre un peu de légèreté sur ces sujets-là. C’est un ton que j’ai sans doute dans la vie et qui correspond à ma manière de mettre ça un peu à distance, sans trop de gravité.

C. : Tes chansons portent aussi une réflexion sur le temps qui passe et la valeur des souvenirs ?

C. : Le temps qui passe fait partie de ce qui me touche le plus dans la vie. J’écris toujours beaucoup là-dessus parce que c’est vraiment un des trucs que je ressens le plus fort. Et particulièrement dans ce disque, comme j’ai l’impression d’être devenue vieille ces dernières années. À la fois je déplore que le temps passe aussi vite et à la fois je vois tout ce qu’il y a de beau qui est derrière.

C. : On a pu dire de tes chansons qu’elles dessinaient une « carte du tendre ». C’est vrai que certaines de tes chansons sont très ancrées géographiquement. Tu vois aussi l’amour comme une sorte de déambulation, comme un voyage ?

C. : Les lieux et ce qu’ils dégagent m’importe toujours beaucoup. Les villes, les rues, me marquent beaucoup. Tout ce que j’écris en est assez imprégné parce que j’ai du mal à imaginer une situation sans l’ancrer dans un lieu.

C. : Tu as vécu à Paris et tu es maintenant retournée à Besançon. Comment est-ce que ces villes t’inspirent ? La rue de Prague par exemple, tu y as vraiment des souvenirs ?

C. : Oui, bien sûr. Enfin je dis bien sûr alors que ça pourrait être la rue de Prague parce que les sonorités me plaisent mais en l’occurrence là c’était pour de vrai. Je dois dire que je suis quand même assez amoureuse de Paris et que quand j’écris je me balade toujours plutôt dans Paris qu’ailleurs. C’est une ville où j’adore vivre, marcher, regarder, et qui m’inspire beaucoup.

« Je dois dire que je suis quand même assez amoureuse de Paris […]. C’est une ville où j’adore vivre, marcher, regarder, et qui m’inspire beaucoup » ©Jacques-Henri Heim
C. : Dans d’autres morceaux, comme Ai-je perdu le Nord ou Vertige, tu parles justement d’une perte de repères. C’est une évocation de la confusion amoureuse ?

C. : C’est l’idée de la solitude et d’être perdu à l’intérieur de nous. De ne plus avoir de repères parce qu’on est tout seul et qu’on est parti trop loin en dedans.

C. : Qu’est-ce que les précédents albums t’ont appris, musicalement parlant et de quoi tu avais envie sur celui-ci ?

C. : J’avais envie de poursuivre tranquillement le deuxième album. Pour moi, il n’y a pas eu de grosse rupture entre les deux, il n’y a pas eu beaucoup de temps qui est passé. Je travaille avec les mêmes personnes que j’aime beaucoup et avec qui les choses se font simplement de cette manière-là. Je ne me suis pas dit « tiens je voudrais faire ceci ou cela ». J’avais écrit les morceaux au piano uniquement et ensuite on a cherché ensemble et à chaque fois ça s’est dirigé vers des sons plutôt comme ça. Mais sans direction préalable.

C. : Pour les clips de cet album, tu as travaillé avec Isabelle Maurel : comment s’est passée cette collaboration ? Les clips sont un mélange de vos idées respectives ?

C. : Isabelle m’avait écrit il y a un petit moment pour me dire qu’elle aimait beaucoup mes chansons, elle voulait que j’en écrive pour un film qu’elle avait imaginé. C’est encore un projet à venir. Sa manière d’écrire à propos de mes chansons m’avait beaucoup touchée donc on s’est rencontrées. Lui proposer un clip c’était une bonne manière de voir ce que ça ferait de travailler ensemble. C’est génial parce qu’elle regorge d’idées à chaque fois qu’elle entend une chanson. Elle pourrait avoir déjà écrit des clips sur absolument toutes les chansons qu’elle a reçues. C’est une très grande chance parce que je trouve ça difficile de rencontrer des gens à qui proposer des clips, certains peuvent être forts dans leur domaine mais pas véritablement touchés par ce que je fais. Et là en l’occurrence, ça allie les deux. Elle a toujours énormément d’idées. C’est elle qui écrit tout. Après elle me propose tout au fur et à mesure et je dis oui ou non aux différentes pistes.

C. : Dans Ai-je perdu le Nord, on a un univers qui fait beaucoup penser à celui de Wes Anderson avec des images très colorées, le phare et les jumelles. Dans le second clip, on voit des trucages à la Méliès, avec des décors en carton-pâte. Comment les références cinématographiques irriguent-elles ton écriture et l’univers visuel de tes chansons ?

C. : Je ne suis pas forcément très fan du côté « voici mes références » mais malgré tout, les films que j’aime me touchent beaucoup et comptent pour moi donc oui, ils sont présents dans ma tête donc dans ce que je produis. Pour les références des clips, ce sont celles d’Isabelle. Après il se trouve qu’on est quand même très raccords sur nos goûts et ce que l’on aime. Je trouve que le réalisateur est un artiste et que c’est chouette de lui laisser marquer sa manière de faire. C’est son œuvre à lui.

C. : Dans ton album, il y a également une belle surprise : un titre en duo (et en français) avec Iggy Pop (L’Appartement). Comment ça s’est fait, cette collaboration ?

C. : Ça s’est fait vraiment simplement et naturellement. J’avais écrit ma chanson, je savais que c’était un duo et j’imaginais une voix très grave d’homme avec un accent anglais. Je ne sais pas très bien pourquoi mais j’avais ça dans la tête. J’en avais parlé à mon manager et c’est lui qui s’est tout de suite dit « tiens, on n’a qu’à demander à Iggy Pop », ce qui était assez fou comme idée. Il a écrit à son agent en France. Tout le monde a fait le petit chemin qu’il fallait pour que ça arrive jusqu’à Iggy Pop. Et lui a répondu très vite qu’il aimait la chanson et qu’il y réfléchissait. Très peu de temps après, il a dit oui. Il a fait plusieurs sessions d’enregistrement parce qu’il n’était pas assez content de lui. Il était extrêmement généreux et gentil. On était tous un peu impressionnés de sa manière de s’impliquer là-dedans.

C. : Ce 3e album arrive à une période très particulière, avec la crise sanitaire. Est-ce que ça a changé quelque chose pour toi en termes de création ? Et le lien avec le public ?

C. : J’avoue que je n’ai pas du tout joué le jeu du lien. Je ne sais pas très bien faire ça et le côté réseaux sociaux, parler aux gens à travers ces trucs, je n’y arrive pas, j’ai pas vraiment essayé. Ma manière de vivre ça, c’est que j’ai écrit beaucoup. C’est grâce à ce confinement que cet album est arrivé aussi vite. C’était ma manière de traverser cet épisode. Ça me plaît bien comme manière de traverser tout ça.

C. : On espère pouvoir retrouver bientôt les salles de concert. Tu as un souvenir sur scène à nous raconter ?

C. : Il y en a certainement beaucoup. Mais juste avant le confinement, en mars 2020, on a joué à la Cigale et on était tous les 4 (Florian, Augustin et Paul avec qui je travaille sur le disque et qui sont aussi sur scène). Dans une salle aussi belle que la Cigale on était vraiment super contents. C’est très particulier ce souvenir parce que juste après, on a appris qu’on n’allait pas jouer tous les concerts suivants, et tous les mois suivants. Ça reste une espèce de truc étonnant, on n’avait jamais joué devant une salle aussi grande et pouf, tout s’est effondré juste après. C’est un souvenir particulier, mais c’était très chouette.

C. :  Dans le titre qui clôture ton album L’amour, hélas, tu chantes : « Les années passent et l’amour hélas, jamais ne me lasse ».  C’est une mise en abyme de ton projet musical : tu vas continuer à nous parler d’amour ?

C. : Cette chanson je l’ai écrite parce que je me suis dit « il faudrait quand même que je fasse autre chose ». Mais quand on commence à se dire ça, on est mal partir pour écrire quelque chose. Parce qu’en fait, je ne me dis jamais un truc à l’avance quand j’écris. On verra, peut-être que je vais changer beaucoup et que je vais avoir envie de dire plein d’autres choses dans mes chansons. Mais je ne suis pas sûre que ce soit pour tout de suite.

C. :  Pour terminer, c’est notre question signature chez Arty Magazine : quelle est ta définition d’une artiste ?

C. : Je dirais que c’est quelqu’un qui crée d’une manière qui n’appartient qu’à lui. Je trouve que la singularité c’est quelque chose d’essentiel chez un artiste. Un artiste c’est quelqu’un qui s’exprime d’une manière qui n’appartient qu’à lui, quel que soit le domaine.

L’Amour, hélas de Clio sera disponible ce vendredi 23 avril.

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