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Interview : Since Charles, l’adolescence à double sens

Interview : Since Charles, l’adolescence à double sens

Marin Woisard

L’auteur-compositeur marseillais Since Charles revient sur la conception de son EP Portamento, entre souvenirs d’adolescence et histoires d’amour avec son public, dans son interview « morceau après morceau ».

Il suffit de dire « éternel adolescent » pour penser tout de suite à Tanguy, portrait générationnel d’un pré-trentenaire qui se refuse à le devenir. Comme si l’état adulte était une finalité, le cinéma et la musique n’ont cessé d’entretenir la mélancolie de l’âge perdu, avec toujours le même cadre : l’adolescent a entre 13 et 16 ans. Et s’il continue de l’être ensuite, c’est qu’il n’a pas réussi à grandir.

Avec son second EP Portamento, l’auteur-compositeur Since Charles bat cette idée en brèche pour élever l’adolescence comme un état transitoire éternel. Le corps change toute une vie. Les relations se font et se défont jusqu’à la dernière. Et les sentiments ne sont pas l’apanage de lycéens qui s’embrassent en cachette au fond de la cour. À 16 ans tout commence et rien ne s’arrête ensuite.

Un teen movie phocéen

Issu de la nouvelle vague pop marseillaise, comme son acolyte de calanques Antonin Appaix, Charles Sinz se démarque par sa sensibilité pop, étanchée d’une soif de dancefloor. Son projet est un mélange des deux. Si bien qu’il parvient à saisir entre langueur et frénésie ce qui nous agite depuis les années collège, avec comme soutien visuel, les sublimes clips de Théo Sixou.

À la faveur d’une interview Paris/Marseille en haut débit, l’artiste nous présente son EP Portamento morceau après morceau, entre souvenirs d’adolescence en Ardèche, histoires d’amour avec son public, et parfois aussi, brèves de vie plus douloureuses.

Marin : Salut Charles ! Bienvenue dans l’interview « track by track », où l’on suit morceau après morceau le fil de ton EP. Le titre d’ouverture est Langueure, que tu écris avec un « e ». Pourquoi cette féminisation ?

Since Charles : C’est un clin d’oeil à mon premier EP, où se trouve le morceau Douceure. C’est aussi une manière de féminiser mes titres. Langueure, c’est le morceau le plus adolescent de cet EP, qui parle de la découverte du sentiment amoureux. C’est le morceau que j’ai écrit de manière la plus spontanée.

M. : Cette sensibilité est un trait de caractère que l’on ne voit pas assez chez les hommes ? La culture traditionnelle, pour ne pas dire machiste, a tendance à l’effacer pour l’ostraciser en sentiment féminin…

S.C. : Il y a quelques années, je t’aurais répondu oui. Mais je pense que c’est en train de changer. Tous les codes sont en train de tomber, et tant mieux. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire et incarner à travers ce projet hyper sensible, qui revendique cette non-binarité. À travers mes chansons, j’assume les sentiments et les sensations qui me parcourent.

M. : C’est cette émotion qui me touche énormément dans ton projet. Comme tu le chantes dans Langueure « ma vie sentimentale en slow motion », pourrait-on dire que tu es un « chanteur sentimental » ?

S.C. : Que je sois foncièrement sentimental, complètement. C’est souvent ce qui me pousse à écrire des chansons.

M. : Et le slow motion, à quoi fait-il référence ?

S.C. : Langeure fait référence au sentiment amoureux quand on est transi par une personne, mais aussi quand ce sentiment retombe. Dans les périodes de transition ou de célibat, on peut avoir cette sensation de faire du sur-place. Alors qu’en plein dans le sentiment amoureux, il y a tellement de choses qui viennent que la lenteur disparaît.

M. : Dans Portamento, le morceau qui donne son titre à ton EP, tu chantes : « Je glisse encore comme à Portamento ». J’y trouve une sonorité très maritime, comme une vague où l’on se laisserait glisser, dans le flux du sentiment amoureux. Mais je crois savoir que la signification est bien autre ?

S.C. : Quand j’ai commencé à réfléchir à cet EP, j’ai beaucoup réfléchi au terme « adolescent ». Quand tu remontes à la racine latine adulescens, tu découvres qu’il n’était pas figé sur la notion du passage de l’âge enfant à l’âge adulte, mais d’un état à un autre quelque soit l’âge. C’est quelque chose qui m’a beaucoup plu. Bien sûr, je parle beaucoup d’adolescence, mais quand j’écris « je glisse encore » c’est pour marquer que l’on vit ce sentiment adolescent toute sa vie, car on est en état de transformation permanente, de glissement d’un état à un autre, d’une personne à une autre.

M. : Le glissement, c’est la transformation…

S.C. : C’est ça. Une transformation sous forme de boucle, qui rejoint aussi ma manière de faire de la musique, avec ce côté répétitif dans les phrases musicales et les refrains. Je vois l’adolescence comme un état perpétuel de transformation physique et mentale.

M. : Je trouve que tu saisis les émotions avec l’innocence de l’adolescence, mais dans des situations complexes qui sont plutôt celles de l’âge adulte.

S.C. : Dans les mots que je choisis, je fais toujours attention à aller à l’essentiel du sentiment que je veux traduire. Et quand c’est du vocabulaire plus soutenu, on n’a pas besoin d’en connaître la signification profonde pour en comprendre le sentiment. Tout le processus d’écriture, qui comme tu le dis est de simplifier des situations parfois compliquées vécues en tant qu’adulte, est une manière de s’approprier ces problématiques et de les clarifier. Une fois la chanson finie, normalement ça va beaucoup mieux (rires).

M. : Ces chansons ont été écrites récemment pour avoir cette prise de recul ?

S.C. : Ça s’est fait sur le long cours. Il y a des morceaux comme Des nuits de ça que j’ai écrit très rapidement après le premier EP, et d’autres comme On va finir où il m’a fallu le temps nécessaire pour comprendre de quoi elle parlait. Cet EP m’a décomplexé dans ma manière d’écrire.

M. : Cet EP est une manière de cristalliser l’état adolescent ?

S.C. : Je voulais faire la bande son d’un teen movie qui ne serait jamais sorti. C’est un mélange entre une photographie de mon adolescence, et en même temps de grandes thématiques universelles. Et quand je parle d’adolescence, je ne parle pas de cet âge précis que l’on a tous vécu, mais bien de cet éternel état transitoire. La transformation du corps, par exemple, est quelque chose que l’on vit au quotidien, à travers les années. 

M. : Et tu penses que l’on devient un jour adulte ?

S.C. : Encore faut-il savoir ce que veut dire « devenir adulte ». En tout cas, moi, je suis plus dans une quête de garder cet état adolescent. Je le nourris au quotidien, pour ma créativité.

M. : Avec des Nuits de ça, je me suis dit comment peut-on écrire une aussi belle chanson d’amour, à part s’appeler Since Charles et habiter à Marseille ? Je veux en connaître la recette…

S.C. : Des nuits de ça parle des prémisses du sentiment amoureux, oui, mais aussi d’amour de la scène. Je l’ai écrite en déclaration à mon public, à tout le bonheur que cela peut procurer de partager un moment avec des gens. La thématique du jeu de séduction y est très présente, parce que la séduction entre deux personnes est la même entre un public et son artiste.

M. : Qu’est-ce que ça te provoque d’être sur scène ?

S.C. : Ce partage est hyper important pour moi. Je m’en suis d’autant rendu compte qu’il y a eu un an d’écart entre la sortie des deux EP, avec un petit creux au niveau des dates, et ça a été une délivrance de rejouer de nouveau avec l’arrivée de Portamento. C’est quelque chose qui m’anime.

M. : Tu te souviens d’un coup de foudre marquant avec ton public ?

S.C. : Le premier concert que j’aie pu faire avec Since Charles. J’organise un festival en Ardèche qui s’appelle Oh Plateau!, et on a été contraint d’annuler l’édition de juillet 2020. Et puis les contraintes liées au Covid se sont un peu assouplies, et on s’est dit que l’on allait faire une mini-édition sur une seule soirée avec des artistes locaux. Je venais de finir d’enregistrer mon EP. Ça a été un moment assez intense de le partager dans le festival que j’organise, devant ma famille, dans le village où j’ai grandi. 

M. : Maintenant, c’est quoi le grand enjeu avec ton nouveau live ?

S.C. : C’est une question de lâcher-prise artistique et physique. Je n’ai pas envie d’appréhender les concerts comme un spectacle avec une relation scène public frontale, mais de passer un moment ensemble et que les gens s’approprient les morceaux. Sur mes lives, même si on ne connaît pas le projet, le texte est suffisamment en avant pour être capté. J’aime ce partage d’émotions.

M. : Je dois t’avouer que l’un des morceaux qui m’a le plus ému est À terme. Tu chantes : « retrouver la douceur et l’ivresse du premier matin ». Est-ce qu’on ne court pas après ça toute une vie ?

S.C. : Oui, totalement. À terme est un morceau assez descriptif du moment où j’ai écrit cet EP, dans la maison de mes grands-parents en Ardèche. Je suis parti au mois d’août avec tout mon matériel mais sans aucune piste de morceau. Au bout de deux jours, j’ai compris que j’allais parler de mon adolescence, de tous les souvenirs forts et heureux que j’ai vécu dans cette maison. Cette phrase fait référence à un millier de moments de joie que j’ai pu connaître plus jeune.

M. : La production suit une longue montée électronique, organique et puissante. Comment es-tu arrivé à la coupler à la mélancolie du texte ?

S.C. : C’est drôle parce que le premier jour où je suis arrivé en Ardèche, le premier arpégiateur que j’ai joué en branchant mon synthé est celui d’À terme. C’est un morceau très spontané. Ensuite, l’écriture s’est faite en piano-voix. À la fin, j’ai collé le texte sur la production, qui était de base beaucoup moins électronique, même s’il y avait déjà cette idée de break progressif qui me plaisait. Ça fait partie de ces moments où à forcer de creuser et tenter des choses, on arrive à un résultat qui nous dépasse. 

M. : Les morceaux sont comme des ados en permanente mutation…

S.C. : Sur cet EP, la musique a toujours précédé les mots, mais une fois que les mots sont posés sur la production, il y a toujours une troisième étape. Le morceau est transformé quand arrive le sens profond, sans même que j’aie à le toucher. Parfois je m’attends à ce que certains morceaux soient très dancefloors ou très mélancoliques, et quand le texte arrive tout change. C’est une sensation déroutante.

M. : Et sur À terme, les deux états d’esprit cohabitent.

S.C. : Totalement. À terme fonctionne en piano-voix, et quand un morceau fonctionne dans ce genre de formule acoustique, je sais que c’est gagné.

M. : Je termine en toute logique cette interview « morceau après morceau » par ton morceau On va finir. On y sent une certaine douleur, est-ce important de l’exorciser à travers la musique ?

S.C. : Verbaliser quelque chose que l’on ressent, c’est une manière de la rendre réel. Il y a le fait de l’écrire, puis de le dire à quelqu’un. Ce morceau est un mélange de plein d’expériences et de sentiments, ce n’est pas évident de dire de quoi il parle. Il parle évidemment de mort, de passage à l’acte, mais aussi de lâcher prise et d’acception.

M. : J’y ressens aussi beaucoup d’espoir.

S.C. : C’est un mélange entre mon dark side et mon bright side. Il m’a fallu beaucoup de temps pour le finaliser, et ce qui m’a permis de le faire, c’est de partir en résidence l’année dernière en Pologne. Je me suis retrouvé dans un petit village balnéaire à côté de Gdańsk, face à des immenses plages de couleurs pastels, entre mer et sable. J’ai réussi à prendre du recul pour le finaliser.

M. : D’où toute la dimension picturale des paroles…

S.C. : Ça fait référence aux paysages qui étaient devant moi. Je me souviens être parti me balader avec, sur mon téléphone, une suite d’accords que je m’étais imaginé pour le morceau . Il n’y avait personne, il faisait -2°C en plein mois d’avril. À ce moment, sur mon téléphone, j’ai écrit les paroles a cappella « comme un paysage qui te tend les bras ». Et en deux jours, j’ai plié le morceau dans le studio de la résidence. J’avais besoin de ce déclic pour lâcher prise.

M. : Comment envisages-tu la suite maintenant ?

S.C. : L’idée de Portamento, c’est un double EP qui forme un album. La suite est déjà bien entamée, et prolongera la thématique de l’adolescence en allant puiser parmi mes souvenirs. Je suis allé en pèlerinage sur d’autres lieux de mon enfance, notamment en Camargue, où j’allais beaucoup en vacances avec mes grands-parents à mes 13/14 ans. J’ai créé les nouveaux morceaux là-bas.

M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine : quelle est ta définition d’un artiste ?

S.C. : Un artiste est quelqu’un en recherche de communion avec les personnes avec qui il partage ses sentiments. Tout tourne autour de l’échange et de la reconnaissance mutuelle. 

Since Charles en concert

Au Petit Bain, 7 port de la Gare 75013 Paris
Mardi 23 mai 2023 à partir de 19H30
Événement Facebook
Son EP Portamento est à écouter sur Spotify.

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