L’Interview Instagram de SiAu : la poésie des mondes artificiels
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Parisien d’adoption, SiAu dévoile aujourd’hui le clip du morceau “Hypnotisé” issu de son EP éponyme. Une œuvre planante qui évoque notre addiction aux écrans.
Il vient de Montpellier, compose avec la mélancolie urbaine de Paris, et se saisit d’un monde où les distances n’existent plus : SiAu est un artiste qui parle de l’omniprésence du numérique, établi partout, tout le temps. Peu importe d’où l’on vient : à peine parti que l’on y retourne à la vitesse de la fibre. Dans son premier EP “À La Lueur” (2018), l’auteur-interprète nous racontait déjà la nécessité des souvenirs, de préserver les éclats d’enfance, face aux désillusions du tourbillon métropolitain.
“À la lumière de l’ordinateur, chaque journée m’éloigne de la nature”
Avec son nouvel opus sorti début avril, “Hypnotisé”, l’artiste chante la perte de repères dans le dédale des écrans, comme si après avoir échappé au premier danger, il plongeait dans un second dématérialisé. Sa parfaite maîtrise nous envoûte d’une mélancolie vocale et instrumentale : les envolées lyriques de ses textes sensibles, et les airs quasi-religieux de ses synthés. Auxquels il faut désormais ajouter la puissance des images, grâce au clip co-réalisé par Elise Le Garrec et Jules Mercier.
Marin : Hello SiAu. Si on remonte un peu dans le temps, ta première photo sur Insta est le clip de “Ce soir je sors”. Pourquoi avoir choisi ce premier single très différent de ce que tu fais maintenant pour dévoiler ton projet au public ?
SiAu : C’était la première chanson que j’ai écrite pour SiAu, l’EP n’était même pas enregistré. C’est le titre qui a donné l’élan au projet. “Ce soir je sors” est produit de manière plus pop, presque variété, mais ça reste un de mes titres préférés.
Je le joue beaucoup plus épuré en live, il est plus progressif avec une montée crescendo sans mettre le paquet dès le premier couplet. J’ai envie de le ré-enregistrer pour qu’il soit plus à l’image du projet aujourd’hui.
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Marin : Quel est ton process de création en studio (qu’on voit ici) ?
SiAu : À cette époque, j’habitais à Pontault-Combault dans le 77 au-dessus d’un centre de contrôle technique et d’un vendeur portugais de poulet à emporter (rires). Cet appartement était pommé au milieu de nul part à côté d’un rond-point. C’était en banlieue mais c’était plus pollué qu’à Paris à cause d’une grosse départementale où des poids lourds passaient tout le temps.
Au bout d’un moment, je me suis demandé ce que je fichais là-bas. Depuis j’ai déménagé deux fois (rires).
Marin : Cet environnement sonore a eu un impact sur tes morceaux ?
SiAu : Complètement ! Le morceau “De L’inconnu” (qui ouvre mon premier EP “À La Lueur”) est ponctué de sons saturés comme un poids lourd qui passe, ou quelque chose qui craque. Avec du recul, ça a eu un vrai impact dans mes arrangements et mon écriture.
Dans mon nouvel EP “Hypnotisé”, il y a le titre éponyme qui a été écrit dans cette pièce là, à un moment où je manquais cruellement de nature. Je me suis rendu compte que je passais mon temps dans la voiture pour rentrer chez moi, et qu’une fois chez moi j’allais devant mon ordi pour envoyer des mails. Mon train de vie c’était les embouteillages et puis l’ordi. D’où l’envie d’écrire cette chanson dont la première phrase est : “À la lumière de l’ordinateur, chaque journée m’éloigne de la nature”.
Mais maintenant je suis dans le 11ème, le studio insonorisé est plus calme (rires).
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Marin : Cette fleur tropicale est naturelle pourtant elle a l’air factice. C’est aussi une composante de ton identité musicale, le mariage entre le naturel et le synthétique ?
SiAu : C’est une plante qui s’appelle “Anthurium” et que j’aime beaucoup esthétiquement. Effectivement, elle fait très artificiel avec son côté brillant, presque plastique.
C’est complètement ce que je recherche dans la musique avec mes synthés et mes boîtes à rythme : trouver l’organique dans le synthétique. Je veux créer la sensation d’un orchestre de flûtes ou de bois alors que c’est un synthé analogique ou des voix transformées. J’ai envie de créer un effet trompe-l’œil.
À la base j’avais une culture beaucoup plus pop et grand public, que je mêle maintenant avec des références électro : Nils Frahm, mais aussi les albums solo de Thom York, James Blake, Bon Iver. On ne sait jamais trop s’ils jouent un élément électronique, acoustique, ou un sample. Les artistes qui s’affranchissent de l’étiquette “musique électronique” m’ont toujours beaucoup plu.
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Marin : Voici une capture d’écran du clip de “Port Marianne”. Pour parler visuel, comment abordes-tu la création vidéo ?
SiAu : Je regarde souvent des clips sur Nowness pendant l’écriture de mes morceaux, les mots résonnent différemment quand on met des images dessus. Pour parler des clips, “De l’inconnu” et “Port Marianne” ont été réalisés par ma sœur Louise Autain. On travaille ensemble à partir de visuels, notamment des Anthurium dont on parlait à l’instant, qui apparaissent dans les deux clips.
Sur la photo du clip de “Port Marianne” (ndlr : ci-dessus), on voit la terre volcanique du Lac de Salagou où se situe le port artificiel dans un quartier de Montpellier. Quand j’habitais à Pontault-Combault, j’ai eu une prise de conscience nostalgique de tous les souvenirs que j’avais laissé à Montpellier – je suis montpelliérain à la base. Tout est revenu de manière très puissante et ça m’a inspiré cette chanson.
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Marin : Ton dernier EP “Hypnotisé” est sorti le 05 avril dernier. La cover nous a hypnotisé avant même de l’écouter. Tu peux nous en parler ?
SiAu : Ça me plaît bien que tu me dises ça, parce c’était justement le but que cette photo tape dans l’œil… Sans mauvais jeu de mot (rires). C’était un délire avec le photographe Séverin, et je ne pensais pas qu’elle deviendrait la cover.
Il y a cette chemise rouge brillante qui fait un peu flamenco, et ce vrai faux œil que j’avais dans la bouche – ce n’est pas de la post-prod. Le graphiste Tazzio a eu cette super idée d’utiliser l’œil pour le point du “i” de SiAu et le “o” d’Hypnotisé. C’est très raccord avec ce que raconte la chanson : ce besoin de voir et d’être vu en restant connecté.
Il y a d’ailleurs un côté sado-maso avec cette boule dans la bouche. Parfois, on a ce désir de jouer avec les réseaux comme on jouerait à quelque chose qui nous fait du mal. On a conscience de la douleur qu’on s’inflige, mais on le fait quand même.
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Marin : En légende ce post, il y a la tracklist de ton EP : “Voyage à l’envers”, “Hypnotisé”, “2_Soleils”. Quelle était la ligne directrice de ce maxi très personnel et très planant ?
SiAu : Le morceau “2_Soleils” est une idée de la ville vue d’en haut, comme un instant suspendu au-dessus d’un endroit qui grouille. “Voyage à l’envers” est également un moment suspendu mais dans les transports. Les trois titres parlent d’échapper à une prise d’otage moderne.
Pour le premier EP (ndlr : “À la lueur” en 2018), j’ai du adapter les morceaux en version live. Là j’avais envie d’un EP qui découle du live, et de l’enregistrer ensuite en studio. L’EP “Hypnotisé” est plus épuré avec le même synthé pour tous les morceaux, un Prophet 08.
Marin : J’ai repéré cette photo en apparence anodine dans ton feed : le calme apparent, le toit qui protège, entre ciel et terre. Ce serait une bonne définition de SiAu, une accalmie intérieure loin de la frénésie citadine ?
SiAu : J’ai un rapport à la nature qui est ancré de par mon enfance, en ayant grandi à quelques kilomètres de Montpellier. Je suis retourné dans un lieu où j’allais beaucoup en vacances, à Vieux-Boucau-les-Bains dans les Landes. C’est le lieu qu’on voit sur la photo.
J’ai des souvenirs de longues heures de contemplation où il ne se passait pas grand chose mais en même beaucoup de choses. Cet ennui, je le retrouve quand je plonge dans mes chansons, dans la recherche de l’écriture. C’est une nostalgie de l’enfance.
Marin : La photo me fait beaucoup penser au cadrage chez Terrence Malick, tourné vers les cimes et le ciel ?
SiAu : J’adore Terrence Malick, notamment la grande liberté de ses derniers films où le spectateur s’autorise à s’ennuyer. C’est rare de voir ça au cinéma. J’aime beaucoup aussi le travail de Jeff Nichols sur “Take Shelter” et “Midnight Special”.
Dans la dernière chanson de l’EP, “2_Soleils”, j’imaginais un ciel tout blanc, entre deux soleils, où une vie se termine et une autre va commencer. Dans l’entre-deux, entre la joie et la tristesse, un instant méditatif où on n’analyse pas les choses.
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Marin : Tu sors aujourd’hui le clip de ton morceau “Hypnotisé”. Peux-tu nous raconter sa création ?
SiAu : La petite exception avec ce clip, c’est que ma sœur Louise Autain n’est pas réalisatrice mais directrice de la photographie. L’ensemble des décors et des costumes a été créé par un binôme de plasticiens, Elise Le Garrec et Jules Mercier. Ils ont également co-réalisé le clip.
Tous les deux créent des décors très esthétiques et classes avec trois bouts de ficelles à la manière de Michel Gondry. L’idée était de prendre le contre-pied d’Hypnotisé qui parle du numérique en prenant de vrais matériaux. On suggère avec les tubes et la lumière bleue que l’ordinateur nous a aspiré.
Marin : C’est les 20 ans de la sortie en salles de Matrix. Tu serais entré dans l’ordinateur ou pas ?
SiAu : Je serais rentré en me rendant compte que c’était une connerie (rires).
Marin : On termine par la question incontournable chez Arty Paris : Quelle est pour toi la définition d’un artiste ?
SiAu : C’est intéressant, parce que la définition d’un artiste n’est pas la même qu’il y a 20 ans. C’est bien entendu avoir la maîtrise de son art, comme ça l’a toujours été. Mais être un bon artiste aujourd’hui, c’est bien connaître les rouages de son milieu.
Savoir ce qu’est un manager, un attaché de presse, le tourneur, le label. Savoir ce qu’il se passe à la Sacem, ce qu’est une demande de subvention. Tous ces mots ne sont pas sexy, mais j’ai la sensation qu’il faut être rêveur et savoir s’en extraire pour défendre ce que l’on a à dire.
Merci SiAu de nous avoir accordé cette interview.
Retrouvez SiAu sur Facebook et Instagram. Son EP “Halluciné” est disponible sur Spotify.