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Entretien avec Tiste Cool, l’élégance du kistch

Entretien avec Tiste Cool, l’élégance du kistch

Marin Woisard

Baptiste Homo aka Tiste Cool a sorti vendredi dernier son EP « Caïpiranha » entre la mélancolie brute de Ian Curtis et la coolitude kitsch de Marc Demarco, le tout chanté en français. Cinq titres qui renouent avec une certaine idée de la poésie pop.

De nos balades écorchées dans la nuit de Pigalle, des bitures qui nous ont déposé au petit matin, du lever lascif aux côtés d’un prénom féminin parfois oublié, Tiste Cool est notre plus proche confident. Du spleen délétère qui anime Paris, le chanteur a tout compris. Proche collaborateur de Julien Doré dont il a co-écrit et arrangé Le Lac (2016), & (2016) et Vous et moi (2018), Baptiste Homo était une vieille connaissance sans qu’on le sache. Le multi-instrumentiste a sillonné les bars comme nous, batteur dans le groupe Dig Up Elvis, puis chanteur guitariste pour sa formation Waterllillies. On a tant partagé à distance que son EP solo Caïpiranha sonne comme ces premières fois qui ont trop tardé : évidente.

À la croisée de la coolitude de Marc Demarco et la mélancolie de Ian Curtis, Tiste Cool est son premier projet solo

En cinq titres, l’artiste ouvre son cœur et déclare sa flamme aux muses insaisissables qu’il a vu passer dans sa vie d’hyper-sensible tourmenté. Par l’aboutissement de son style lo-fi, il recrée la réalité granuleuse et pleine de soubresauts que l’on a connu dans nos relations amoureuses, jamais lisses et tranquilles comme un long fleuve docile. De la musique à l’image, le réalisateur Julien Thiverny s’en empare dans l’esthétique DV faussement cheap du clip d’Indépendance Maladive, où les acteurs Maxenss et Andréa Besson sont nos alter-egos. « Nos » alter-egos, oui. Le côté masculin et féminin qui s’agitent en chacun de nous. Les sentiments universels d’un EP qui ne demande qu’à être partagé. Et le Paris dont on écoute désormais la bande-son existentielle.

Clique sur la cover pour écouter « Caïpiranha » sur Spotify
Marin : Hello Tiste Cool. Il y a toujours un déclic à l’origine de chaque projet musical. On dit que ton sens du rythme est né alors que tu n’étais encore pas sorti du ventre de ta mère. Tu nous racontes ?

Tiste Cool : Effectivement, lorsque j’étais encore dans le ventre de ma mère, celle-ci jouait de la grosse caisse dans une fanfare. J’aime à croire que ça a été le point de départ de mon aventure musicale pour le reste de ma vie. Mais après j’ai commencé très jeune, mes parents m’ont inscrit au Conservatoire de Nîmes hyper tôt, où j’ai pu goûter aux plaisirs du solfège et du violoncelle.

À 14 ans j’ai décidé de tout arrêter, un peu dégoûté de toute cette théorie et puis aussi parce que j’étais ado. Moins d’un an après j’y suis revenu en autodidacte à travers la guitare et la musique rock. J’ai alors monté mes premiers groupes à l’âge de 16 ans et petit a petit, de rencontres en répets, j’ai monté le groupe Waterllillies à la guitare-chant, puis intégré Dig Up Elvis a la batterie, puis Marie-Flore, puis OMOH, puis Pointe Noire et enfin à la trentaine j’ai assumé le solo avec le projet Tiste Cool.

Le pouvoir de la french pop
M. Ta poésie amoureuse, le choix du chanté/parlé, et l’expression de tes failles existentielles nous font beaucoup penser à Chagrin d’Amour. Ça ferait partie de tes références ?

T.C. Haha oui, on me l’a déjà sorti cette référence ! Il y a eu les enregistrements cassettes des démos de Mac Demarco qui m’ont vraiment bouleversé et influencé pour le grain du son, l’espèce de lâcher-prise et d’immense liberté qui s’en dégage. C’est tout le son des cassettes de mon enfance qui est revenu dans mes oreilles. Et en fait le point de départ de ce projet Tiste Cool s’est fait lorsque j’ai acheté un 4 pistes cassette Tascam dans un bazar de San Francisco. J’ai enregistré beaucoup d’éléments sur ce 4 pistes. J’adore vraiment le son.

Sinon mes influences musicales et en terme d’attitude sur ce premier EP sont finalement plus anglo-saxonnes. Baxter Dury est quelqu’un qui musicalement me touche beaucoup et Alex Cameron pour son premier album cheap synth qui est hyper bien produit je trouve. Les Sleaford Mods ont été une référence majeure parce qu’en terme de chant, paroles et musique c’est très brut et ça me touche énormément. Concernant les textes, je me sens proche de la poésie prosée de la Beat Génération, et pour l’expression sincère des sentiments, Gainsbourg me touche évidemment beaucoup.

M. Ton projet « Tiste Cool » a pris son envol avec le clip d’Indépendance Maladive à l’esthétique DV faussement cheap. Comment la collaboration s’est initiée avec le réalisateur Julien Thiverny et les acteurs Maxenss et Andréa Besson ?

T.C. Oui, encore une fois, pour ce projet j’ai décidé de travailler avec les grains qui me rappellent mon enfance. Musicalement donc, à travers des enregistrements cassettes, et puis visuellement aussi. D’où l’utilisation de la VHS ou de la DV pour mes clips. Je fais également beaucoup de photos avec mes petits compacts 35mm. Toujours pour le grain et aussi pour laisser place à l’accident et à l’aléatoire, qui tiennent une place super importante dans ma création.

Julien je l’ai rencontré grâce à mon amie Paloma Pineda qui est la chef op’ du clip et qui aime beaucoup mettre en relation ses contacts pour que les projets aboutissent. Andréa nous l’avons trouvée via un casting avec l’aide de la boîte de prod Bande Magnétique. Dès la première image je savais que c’était elle qui représentait au mieux la féminité que je voulais exprimer dans la chanson. Et enfin avec Maxence nous nous sommes rencontrés a Nîmes, notre ville d’origine, et de fil en aiguille je lui ai proposé le rôle. À la base je voulais qu’il réalise le clip parce que j’étais vraiment admiratif de ses premières vidéos mais finalement c’est son acting qui m’a séduit sur ce projet là.

M. Dans ton morceau hommage au chanteur de Joy Division « Ian Curtis Has Died Today », t’évoques le temps qui passe avec une douce nostalgie. Le sentiment de solitude laissé par les icônes disparues est un thème qui te tient à cœur ?

T.C. Oui tout à fait, en fait sur ce titre j’ai voulu mettre en parallèle le manque d’affection et d’amour que j’ai pu ressentir lorsque j’étais dans une période intense de tournée, avec le manque que l’on peut ressentir lorsqu’on admire la sensibilité d’un artiste disparu et qu’on sait qu’il ne reviendra jamais. Au moment de l’écriture de ce titre, j’étais très amoureux d’une artiste avec qui j’ai eu une histoire d’amour. Elle était également en tournée, on se voyait peu, et ce mélange d’admiration, de manque créé par la distance et l’amour a donné ce track. La complexité de ces sensations me fascinent, elles me font du mal et ça me fait vibrer. J’ai choisi d’aborder ce sujet via Ian Curtis dont je suis absolument fan.

M. Le morceau « Le Mépris de Godard » est l’un de ceux qui nous a le plus touché avec son utilisation du répondeur. En l’absence de ta voix, la composition est aussi une manière de faire un point introspectif sur ta vie ?

T.C. Dis donc, je ne vais faire que de l’instrumental sur le prochain disque dans ce cas (rires). Oui absolument, ce premier EP est clairement une séance d’auto-thérapie ouverte au public. Cela peut paraître impudique (on me l’a déjà dit) mais après ma rupture sentimentale j’ai eu besoin de ça. Je suis un garçon plutôt discret dans la vie, mais j’ai besoin de crier au monde mes états d’âme pour aller mieux. Et ce projet me permet ça. Et ça fait du bien. J’ai donc décidé de retracer des années de messages laissés par mon ex sur mon téléphone. C’était finalement assez chouette comme exercice parce que je me suis rendu compte que cette introspection ne me faisait pas de mal, au contraire, je me suis senti beaucoup plus léger une fois ce track terminé.

M. Sur le track « Manifeste à Pauline », tu balances toutes tes vérités sans aucun filtre. C’est une conclusion cash, rock et sauvage. Finalement ton EP est une réponse à tous ceux qui disent que « chanteur n’est pas un métier » ?

T.C. Oui, il y a de ça. On me dit souvent : « Tu fais de la musique ? Cool, mais c’est quoi ton vrai métier ? », ou « Tu fais quoi à côté ? », comme s’il était impossible de faire de la musique de nos jours. Je peux comprendre que ça puisse être compliqué à imaginer dans la mesure où il est parfois assez difficile de gagner sa vie aujourd’hui en tant qu’artiste. Mais lorsqu’on me dit ça, je sens derrière ce questionnement une sorte de jugement sur le rôle de l’artiste dans la société. Loin de moi l’idée de jouer au persécuté mais j’ai déjà entendu des propos du type « L’art ça ne sert rien, comment les mecs peuvent-ils être payés pour ne rien faire ». Ou bien même cette espèce de remise en question du statut d’artiste qui selon certain n’est valable que si t’es connu. Cette incompréhension est un moteur. Cette incompréhension, je l’aime beaucoup en fait. Et c’est pour ça que dans cette chanson je règle mes comptes avec un peu tout le monde. Notamment ma famille et mes amis.

M. Cette dernière question est la signature chez Arty Paris. Elle prend une dimension particulière avec l’introspection écorchée de ton projet. Quelle est ta définition d’un artiste ?

T.C. Un artiste c’est selon moi quelqu’un qui arrive à ressentir la sensibilité de toute l’humanité, et qui va la faire ressortir sous forme d’expression artistique libre à travers sa propre sensibilité. Une sorte de super héros qui ne le sait pas. Selon moi, l’artiste c’est l’anti-héros moderne.

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